André Vers, poète du Paris disparu


André Vers, poète du Paris disparu

paris tour eiffel

En province, on fuit les fausses valeurs par instinct. Les margoulins qui polluent la ville y sont vite démasqués. De discrètes maisons d’édition travaillent à l’abri du tintamarre médiatique et des bourrasques éditoriales. Depuis fort longtemps, les vingt-six lettres se sentent à l’étroit dans les vingt arrondissements. On y roule mal, on y mange mal, on y parle mal et on n’y édite pas toujours avec discernement. Les Editions Finitude ont pris racine au Bouscat, en Gironde, sur des terres plus accueillantes. Les écrivains n’ont pas un code barre tatoué sur leur fessier. Et miracle, ils écrivent en français. Les rives de la Garonne ont toujours été propices aux échappées belles.

La littérature prend son aise, développe sous ce climat bienveillant des couleurs chatoyantes comme on disait dans les dictées de mon enfance qui ont disparu comme le calcul mental et le korfbal. Le catalogue Finitude prend de l’épaisseur au fil des années : choix judicieux d’auteurs souvent méconnus, haute exigence littéraire, admirable travail de composition et couvertures hypnotiques. La dernière en date, celle du recueil de nouvelles d’André Vers (1924-2002) ne déroge pas aux règles de la bienséance esthétique.  « Ils étaient chouettes, tes poissons rouges » vous nargue sur les étals des librairies. Son auteur n’est connu que des spécialistes qui ont croisé son nom dans les biographies consacrées à Brassens, Fallet, Prévert ou Hardellet. Ses amis donnent le ton. Ces affinités-là forment une famille de pensée. La fibre populaire coule de source. On préfère le Beaujolais aux alcools forts chez ces hommes-là, question d’éducation, de principes aussi. André Vers n’a commis que quatre livre en quarante ans ce qui explique son relatif anonymat.

C’est peu dirait un observateur du FMI, attentif aux cadences mais un amateur de bons livres y voit justement les signes d’une émotion sous-jacente, d’une fraîcheur intacte. Je me méfie des productivistes, des pisseurs de pages capables de torcher en une année, une bio, un essai, un roman et de passer à la télé et d’écrire dans les journaux. C’est moralement suspect et littérairement inconvenant. André Vers, ancien ajusteur, travaille à l’ancienne, dans l’organdi. Peu d’effets, malgré une langue bien tenue, une mécanique très efficace, percutante avec cette amertume passée au tamis des sentiments. La première nouvelle d’à peine cinq pages vous met dans ce bain doux-amer. En quelques lignes, deux amants se retrouvent, la femme parle, l’homme se tait. Assis sur un banc des Tuileries, ils échangent des banalités, ils se racontent des petits riens qui agissent pourtant comme de grandes meurtrissures dans leurs cœurs. Le charme de Vers réside dans cet art du dialogue, derrière le bavardage anodin, les cœurs grondent, tambourinent, en redemandent. « On était fous » dit la femme jadis aimée. Comme l’indique l’éditeur, André Vers « ressuscite malicieusement un Paris révolu, le petit Paris des années 50-60, celui des Halles, des meublés et du rosbif du dimanche ». C’est vrai qu’il y a de la couleur sépia dans ces nouvelles et quelques bravades bistrotières comme ces algarades entre « les Assis » et les « Debouts ». Les habitués jouent au 4.21 et dissertent sur le fromage de tête. Mais, André Vers vaut mieux que cette image canaille, il parle tellement bien de la dégringolade, de la bêtise, de la Guerre et des amours déçus, les plus beaux, les plus tenaces.

Ils étaient chouettes, tes poissons rouges – d’André Vers – Finitude

*Photo:  MARY EVANS/SIPA. 51066342_000001

 



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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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