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Mohamed Al Doura, feuilleton sans fin ?


La mort du « petit Mohamed » Al Doura ? Les choses étaient parfaitement claires : le 30 septembre 2000, au carrefour de Netzarim (Gaza), l’armée israélienne avait tué un jeune enfant au cours d’une fusillade filmée pour France 2 par un caméraman palestinien. Quelques secondes d’images insoutenables. Une émotion planétaire. Et des conséquences dévastatrices : l’affaire a depuis fait couler presque autant de sang que d’encre.

Bien sûr, l’instrumentalisation de ce fait divers géopolitique par certains démagogues antisémites était répugnante ; mais enfin, nous serrions les dents : jadis, déjà, Le Pen exploitait de manière odieuse, lui aussi, des faits avérés.
Bien sûr, une poignée de militants pro-israéliens criait à l’imposture, à la manipulation, au complot. Qu’importait ! Les islamo-gauchistes avaient bien Thierry Meyssan… Et puis le journaliste qui avait endossé ce reportage était estimé.
Bien sûr, on s’interrogeait à voix basse : mais pourquoi diable France 2 refusait-elle de tuer une bonne fois pour toute la polémique en diffusant l’ensemble des « rushes » d’une fusillade dont elle n’avait retenue que quelques brefs instants ?
Bien sûr, huit ans plus tard, subsistait comme un malaise à devoir choisir entre une vérité officielle que la chaîne publique française se refusait à démontrer – alors que les preuves étaient déclarées existantes… – et les arguments, parfois troublants, de militants que l’on disait tout droit sortis de la série X-Files.

Le jugement rendu ce mercredi 21 mai par la XIe chambre de la Cour d’Appel de Paris vient tout bouleverser. Elle relance de fond en comble le débat sur l’affaire Al Doura.

Chargée de dire si Philippe Karsenty, fondateur d’une agence de notation des médias, avait oui ou non diffamé France 2 et son journaliste Charles Enderlin en affirmant qu’ils s’étaient rendus coupables d’une « imposture médiatique », la cour a tranché : au vu des images, il n’y a en aucun cas diffamation. « La Cour d’Appel a fait apparaître mercredi un doute sur l’authenticité des images d’un enfant palestinien tombant sous les balles, devenues le symbole de l’Intifada [et] qui ont fait le tour du monde. Le visionnage des 18 minutes de rushes du reportage ne permettent pas d’écarter les avis de professionnels qui concluent au trucage. » (Reuters, Paris, 21 mai)

Traduction en français : on peut légitimement s’interroger sur la bien-fondé de la thèse de France 2, selon laquelle le petit enfant désigné comme « Mohamed Al Doura » serait bel et bien mort ce jour-là, à cet endroit-là, et qu’il serait mort sous les balles israéliennes et non sous des balles palestiniennes.

Retour à la case départ, donc : ceux qui prétendent que le film de la mort du « petit Mohamed Al Doura » tourné par un Palestinien relève de la propagande, voire de la mise en scène, ne sont donc ni des maboules ni des ordures. La décision de la Cour d’Appel de Paris est sur ce point catégorique : les arguments de Philippe Karsenty méritent d’être examinés. Et doivent l’être.

Car il est anormal que huit ans après les faits, les citoyens d’un pays libre, prospère et éduqué comme la France soient encore et toujours dans l’impossibilité de se faire une idée objective et donc définitive de l’événement. Les dirigeants de France devraient estimer que le temps est venu d’accepter un débat contradictoire au sujet de cette affaire, qui a eu des conséquences épouvantables. Mieux : France 2 pourrait prendre l’initiative de rendre accessible l’intégralité des rushes en ligne, que chacun puisse se faire une opinion concrète.

Il faut désormais nous éclairer : tel est le sens de la décision de la Cour d’Appel de Paris. L’affaire Al Doura, décidément, n’est pas close.



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David Martin-Castelnau est grand reporter, auteur des "Francophobes" (Fayard, 2002).

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