Sans passeurs, pas de migrants?


Sans passeurs, pas de migrants?

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Les Guignols, institution morte et ressuscitée par la grâce des politiques, ont dernièrement pris position sur les problèmes des « migrants » venus d’Afrique. Dans le sketch « La croisière abuse », peu en phase avec leur discours habituel, les Guignols nous montrent ces nouveaux immigrés venus d’Erythrée ou de Syrie sur un bateau de « passeurs » qui les traitent comme du bétail. En clair, ce ne sont pas les guerres civiles, les dictatures et la misère qui forcent au départ et causent la mort de milliers de personnes par an. Les responsables, les seuls, ce sont ces infâmes trafiquants d’humains (anonymes, et dont on ne sait rien, c’est plus pratique).

Mais comment être surpris que les très dociles Guignols tiennent ce discours réducteur ? Leur raisonnement est en effet parfaitement conforme à la ligne officielle des institutions internationales et du gouvernement français face à la crise migratoire que traverse l’Europe depuis quelques mois. Un rapport de l’Onu l’affirme notamment : « Le trafic de migrants touche presque tous les pays du monde. Il sape l’intégrité des Etats et des communautés, et coûte la vie à plusieurs milliers d’individus tous les ans. » Les coupables de cette catastrophe humanitaire seraient donc les dirigeants de filières organisant la traversée du sud de la Méditerranée vers l’Europe dans des conditions inhumaines.

Bernard Cazeneuve, lui aussi, a beaucoup insisté sur la nécessité de mettre fin aux « filières d’immigration illégale ». Le 8 avril, lors d’un séminaire de la Police aux Frontières, le ministre de l’Intérieur a affirmé qu’il fallait « continuer à lutter de façon absolue contre ces filières », pour mieux insister sur la hausse continue du nombre de réseaux démantelés (+14% entre 2012 et 2013, et +11% entre 2013 et 2014). Autrement dit, notre politique migratoire doit se concentrer sur le maillon faible de la chaîne de l’immigration illégale, le plus facile à casser à court terme. Des rapports parlementaires sur le sujet ont donc été rédigés pour produire les éléments de langage ad hoc.

Dans un rapport du Sénat, on peut notamment lire ceci : « La région de Calais souffre d’une insuffisance d’ambition de la politique pénale concernant la détection et la poursuite des réseaux et  filières. Ces dernières exercent une influence considérable sur la vie quotidienne des migrants et tentent souvent avec succès de priver les personnes les plus vulnérables, notamment les mineurs isolés, des protections qui leur sont destinées ». Et pour noircir encore le tableau, un rapport de l’Assemblée Nationale nous explique les liens forts qu’entretiennent trafic d’êtres humains et réseaux criminels : « Les trafiquants utilisent les  ressources que leur procure l’exploitation du « filon » des clandestins pour financer et étendre leurs autres activités telles que le trafic d’armes et de stupéfiants, et le blanchiment de l’argent ».

Or, le Secours Catholique éclaire, dans une enquête de terrain, la question des filières d’immigration illégale, en faisant entendre un autre son de cloche. On y note que si certains de ces trafiquants sont effectivement d’une extrême violence, le phénomène de la criminalité organisée reste à relativiser en France où se déroule l’action du ministère de l’Intérieur : « La manière dont les exilés évoquent les choix successifs de leur destination fait ainsi s’évanouir une idée reçue : le rôle prétendument majeur des « filières criminelles » qui exploitent les migrants et les conduisent au Royaume-Uni : De fait, au cours des 54 entretiens réalisés [par l’association caritative, Ndlr], aucun des exilés n’a parlé de filières et de passeurs en Europe. ». Quand M. Cazeneuve nous parle de 226 filières démantelées en 2014, il englobe donc les réseaux abusant violemment des migrants et les organismes fournissant à des personnes en détresse des moyens illégaux de rester en Europe. Le rapport du Sénat précise d’ailleurs que « certaines officines se contentent de fournir de faux documents ».

Certes, ces procédures demeurent illégales mais il faut noter, comme le rapporte le Secours Catholique, que la plupart de ces immigrés illégaux sont potentiellement éligibles au statut de réfugiés politiques car menacés de mort dans leurs pays d’origine. En faisant du passeur la racine du mal et du migrant une victime dépourvue de libre-arbitre, on légitime une politique répressive en la faisant passer pour une politique protectrice de la dignité humaine. S’il est évident que laisser prospérer les trafiquants nous rendrait complices de leurs exactions, les neutraliser ne réglera que notre problème et certainement pas ceux – autrement plus sérieux – des candidats à l’émigration à tout prix. Pour ces derniers, le recours à des passeurs n’est pas une alternative, mais le seul choix possible.

*Photo: Sipa. N° de reportage : 00720096_000001.



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