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Enfin, un Breivik français!


Enfin, un Breivik français!

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« Tu te rends compte qu’au XXIe siècle, on peut encore mourir sous les coups d’un nazi ! » Cette phrase n’a pas été prononcée par un adolescent pré-pubère confondant l’Histoire avec ses petites névroses, mais par un quarantenaire à la pointe de la modernité, qui éduque ses enfants conformément à la théorie du genre, porte à merveille le poncho Manu Chao et occupe un poste à responsabilité dans l’intelligentsia télévisuelle. Un gars talentueux au cerveau aiguisé, qui se trouve par ailleurs être l’un des camarades avec qui je sirote volontiers quelques mojitos sur une terrasse de la place des Abbesses.
L’odieux « assassinat politique » de l’« antifa » Clément Méric devait remettre du baume au sacré-cœur de mes amis « CSP+ mal rasés ». Ils l’attendaient depuis des années, cette parabole du héros terrassé par des salauds. Enfin, ils allaient pouvoir se rouler dans les éditos de Libération comme dans du coton soyeux, avec la fierté du devoir accompli. C’est que, des salons bourgeois où ils jouent à la Résistance, ils l’avaient vue venir avant tout le monde, la tornade fasciste.
Les médias chargés de diffuser la bonne parole allaient pouvoir recycler leur article, d’occasion mais néanmoins définitif, sur le « climat de haine insidieux » et les « idées nauséabondes » (ou « rances », au choix) propagées par une droite « décomplexée », occupée à « faire le lit » de qui on sait. Opportunité inespérée car, en mars 2012, le même article avait dû être, in extremis, ravalé par les rotatives, lorsqu’il avait bien fallu admettre que le tueur de Toulouse et de Montauban n’était pas le skinhead à front bas, le Breivik français dont rêvaient l’intelligentsia bobo, François Bayrou et le candidat François Hollande – lequel en avait profité pour sermonner l’usurpateur : « Il y a des mots qui influencent, qui pénètrent, qui libèrent ; ceux qui ont des responsabilités doivent maîtriser leur vocabulaire. » Le « mariage pour  tous » et la mini-jupe de Frigide Barjot étaient encore dans les cartons, mais on connaissait bien l’identité du fauteur de haine : de la Rolex de Nicolas Sarkozy à la kalachnikov de son bras armé, le lien de causalité était évident.
Et puis, patatras, ce fut Mohamed Merah, au grand dam des journalistes – l’un d’eux avoua, dans un tweet, qu’il était bien déçu. Ces valeureux résistants allaient-ils être contraints de réviser leurs certitudes ? Ils trouvèrent promptement la parade : le tueur était un « loup solitaire », un arbre qui ne cachait aucune forêt. On ne trouva pas trace d’un « climat » délétère ou d’un « terrain » favorable qui l’auraient « décomplexé ». La véritable menace était ailleurs, aussi s’empressa-t-on de dénoncer les « amalgames » et la « stigmatisation ».[access capability= »lire_inedits »]
Un an après, survient alors la mort tragique de Clément Méric. La gauche est au pouvoir, mais le « climat » est toujours aussi lourd et la droite, toujours aussi « décomplexée », jusqu’à ce jus de poubelle de la société prénommé Esteban. Cette fois, c’est du tout cuit, la cause est aussi inattaquable que la taxe à 75%. Du skinhead nazi : on n’en demandait pas tant ! Certes, il se prénomme Esteban et pas Jean-Pierre, mais bon, personne n’est parfait. Disons qu’il est à 95% le coupable idéal. Et après le traumatisme Merah, il fera l’affaire.
Aux terrasses du Sacré-Cœur, mes camarades CSP+ n’ont pas de larmes assez chaudes pour honorer un antifasciste qui affrontait courageusement les hordes à crâne rasé qui hantent, nuit après nuit, les rues de Paris. Quoi, vous n’en avez jamais vu ?
Avec le fascisme à nos portes, même les mojitos ont un goût amer, sans parler des vacances en Corse et de la réservation de cette villa près de Calvi, allons-y quand même, mais le cœur n’y est plus. Il reste encore des miles sur le compte Amex de ton père ? On résistera mieux à ce lourd « climat » de haine dans une paillote plantée sur une plage privée. Aux terrasses du Sacré-Cœur, la bonne conscience (c’est-à-dire la conscience de leur propre bonté) submerge mes amis. Un jeune homme est mort. La faute aux faiseurs de « climat », de Frigide Barjot à Jean-Pierre Pernaut, en passant par les « dégénérés » de la Manif pour tous : « Des cousins germains qui s’accouplent, ça se voyait tout de suite », lance ma voisine en avalant une lampée de jus de groseille antioxydant. Mes amis aiment l’Autre.
Le ciel est black comme leur carte de crédit. Vous n’auriez pas les paroles de No pasaran ? C’est pour mon statut Facebook.
Et puis, à nouveau tout s’écroule. Encore raté.
La faute au réel. Saleté de témoignage d’un vigile qui a repéré les deux bandes dans une vente privée. Saleté de juge qui poursuit pour « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». « Sans intention », un nazi à crâne rasé ? C’est pas une intention, ça, de se raser le crâne ? Et comme si ça ne suffisait pas, il y a cette saleté de vidéo dégotée par la police, où il semble bien qu’on voie Esteban traqué par des « antifas »… Esteban attaqué dans le dos. Et répliquant.
Le réel est une belle putain. Quand viendra le Grand Soir antifasciste, avec des vrais méchants qui permettront à mes amis de se sentir encore plus gentils ? Quand apprendra-t-on enfin aux enfants ce que tout le monde sait place des Abbesses : qu’il existe deux catégories de bourgeois, les dégueulasses de la Manif pour tous et les sympas, ceux qui, pour devenir propriétaires, préfèrent les quartiers populaires (au moins dans les films) du Sacré-Cœur aux allées décomplexées du 16e arrondissement. Quand mes amis cesseront-ils de se couvrir de ridicule pour mettre à profit ce « cerveau aiguisé » qui les rend si délicieux dès qu’on ne parle pas de politique ?
Au fait, que pouvait bien vouloir dire Winston Churchill en affirmant : « Les fascistes de demain s’appelleront eux-mêmes antifascistes. » Pas clair, le gars.
Deux mojitos et l’addition ! Tu vas voir l’exposition « Nouvelles vagues » au Palais de Tokyo ?[/access]

*Photo: Soleil

Eté 2013 #4

Article extrait du Magazine Causeur



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Avocat de formation, Louis Lanher a abandonné sa carrière au barreau pour se consacrer à l'écriture.

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