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Mauvais film à Mogadiscio


Mauvais film à Mogadiscio

Une chaîne de cinéma avait programmé l’autre soir La Chute du faucon noir, un film de guerre racontant le fiasco américain à Mogadiscio en 1993. Quelques jours à peine après l’enlèvement des deux officiers français dans cette même ville en plein 14 juillet, ce film est, sinon un avertissement, du moins une piqûre de rappel. De 1993 à 2009, les choses, certes, ont changé. Les fondamentaux restent les mêmes.

Seize ans après l’épisode raconté dans le film de Ridley Scott, la Somalie ressemble toujours à l’Europe de l’an mil : déchirée entre clans et barons et elle est encore très loin d’avoir un Etat capable de garantir paix civile et stabilité. Cette situation continue de générer des tensions dans la Corne de l’Afrique – au large de laquelle passe 70 % du trafic maritime à destination des ports européens – et à aspirer les puissances occidentales dans son trou noir de chaos et de violence endémique.

Les forces aéronavales françaises sont engagées dans ce théâtre d’opérations avec carte blanche des Nations-Unies et dans le cadre d’une mission européenne (NAVFOR/Atalante). En un an, deux incidents ont entraîné un gros retentissement médiatique. En avril 2008, Le Ponant, un voilier battant pavillon français, était pris d’assaut dans le golfe d’Aden. Les trente personnes présentes à bord étaient libérées au bout d’une semaine, après le versement d’une rançon partiellement récupérée un peu plus tard grâce au raid d’un commando de la marine. Certains ravisseurs ont été arrêtés et incarcérés en France.

Un an plus tard, presque jour pour jour, les otages du voilier Tanit sont libérés après une opération militaire qui a coûté la vie au skipper. Quelques jours après, nous avons vu passer en boucle à la télévision les images de l’arrestation de onze pirates qui essayaient d’attaquer un cargo américain.

Contrairement à ces incidents, la crise actuelle n’est pas une affaire uniquement « commerciale », elle comporte une dimension politique. Les ravisseurs exigent une rançon mais espèrent aussi libérer certains des leurs et par la même occasion faire payer à la France son engagement dans la région. Nous sommes peut-être sur le point de recevoir un coup d’éventail d’un nouveau « dey d’Alger ».

Pourtant, la contribution française aux forces assurant cette mission est loin d’être la plus importante. L’opération européenne est dirigée par le vice-amiral britannique Peter Hudson depuis son QG de Northwood au Royaume-Uni, son staff de 80 personnes ne compte que six Français. La médiatisation de l’activité française ne devrait pas faire oublier que d’autres pays européens sont aussi engagés. Elle ne devrait pas nous leurrer non plus : le dénouement plutôt heureux des récentes affaires n’assure pas pour autant des succès dans l’avenir.

La plaie somalienne va saigner encore longtemps. Les décisions des Nations Unies vont s’empiler ainsi que les initiatives internationales visant à assurer un minimum de sécurité de navigation et faire pousser quelque chose qui ressemble à un Etat, même rudimentaire. Pour la France, tout cela signifie un effort long et coûteux semé d’embûches. L’expérience libanaise – de l’attentat du Drakkar aux otages et aux attentats à Paris dans les années 1980 – peut en donner une idée. Mais son statut de puissance, sa place dans le peloton de tête de l’Europe sont à ce prix. Et peut-être plus cher.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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