Deux ou trois choses que je sais de Marion


Deux ou trois choses que je sais de Marion

marion le pen philippot

Il est entendu qu’en France on aime les journalistes qui parlent de tout sauf des sujets qu’ils peuvent éventuellement maîtriser, soit qu’ils les aient étudiés de près, soit qu’une vie parallèle veuille qu’ils les aient fréquentés. Je m’en voudrais, surtout dans Causeur, de ne pas tenter de briser cette loi non dite. Aussi je parlerai, l’épée de Damoclès de la non-objectivité reposant au-dessus de moi bien en évidence, de Marion Maréchal-Le Pen, thème que j’ai l’heur de connaître tant soit peu, même si certains autres journalistes qui eux ne connaissaient pas leur sujet et que pour cela on tient parfois en haute estime ont exagéré la chose. Précisons : je ne suis le conseiller de personne, et d’ailleurs personne n’a besoin que je sois son conseiller.

Une «machine à fantasmes»

Ce qui frappe immédiatement dans cette «machine à fantasmes» qui s’appelle Marion Le Pen, c’est la marque du destin. Tragédie ou gloire, bien malin qui le sait : pourtant le cas semble unique dans l’époque d’un politique, femme de plus, qui naisse là où il le fallait. C’est-à-dire qui, privilégiée familialement par son éducation et prédestinée, assume son rang, et mieux encore que ce qu’on eût pu attendre. Qui n’ayant pas choisi son nom ni son ascendance – comme tout le monde, mais quel nom et quelle ascendance – ni même son engagement, car il est certain qu’à 15 ans elle n’y songeait pas en se rasant, y excelle.

Frappante ensuite son indépendance d’esprit, et remarquable à deux titres : d’abord pour son âge ; et surtout pour ce qu’elle aura pris ce qu’il y a de meilleur chez les Le Pen, cette capacité à penser contre ou autrement. Car si l’on veut bien être neutre deux minutes et oublier de se hérisser le poil à la seule évocation de cette famille diabolique, s’il y a un intérêt et une valeur à s’appeler Le Pen, ils se trouvent dans cette résistance au conformisme. On atteint ainsi ce paradoxe que Marion[1. Précisons que dire « Marion » ou « Marine » tout court ne relève en rien d’une familiarité mais seulement d’une commodité de langage dont chacun a naturellement saisi l’évidence puisque le nom de famille est jusqu’à la fin des temps attribué au grand-père et fondateur.] n’est vraiment une Le Pen qu’en refusant de penser entièrement comme sa tante qui elle-même refuse de penser comme son père. Différences d’ailleurs moins tranchées qu’on ne le dit, sinon sur le discours antisémite et raciste où les deux femmes s’opposent frontalement à l’aïeul.

Miracle ou malédiction ?

Mais ce qui fascine et paraît mystérieux, cette ascension fulgurante dans la sphère publique, s’éclaire quelque peu si l’on veut considérer avec attention un autre mystère, qui est peut-être le seul de l’histoire, en tout cas le mystère fondateur pourrait-on dire, et c’est le lien charnel qu’a créé cette famille avec le peuple français et qui ne souffre pas d’équivalent contemporain en France. Peut-être pourrait-on le dire ainsi, le plus objectivement possible : il y a dans la personnalité des membres de la famille Le Pen, une manière d’ultra-humanité, ou d’ultra-popularité, dans le sens strict de ce qui plaît au peuple, qui provient peut-être de leur propre extrace populaire. Ce côté chouan, partisan, chef de jacquerie, mais de jacquerie qui aura réussi à s’élever au moins à la table des puissants. Poujade avait connu tel succès sans parvenir à le transformer. Eux se sont assis pour n’en plus partir et sur leur dure tête de Bretons les balles ricochent. Si l’on essaie d’imaginer un Front sans les Le Pen, on atteindrait sans doute à peine à un équivalent de Debout la France – sans mépris aucun pour ce parti ou son chef. Mais c’est une réalité. Nul ne peut rivaliser devant le peuple avec un ou plus, une, Le Pen. Depuis les Bonaparte, on n’en voit pas d’autre exemple dans l’histoire de France. On parle du miracle capétien, c’est-à-dire qu’aux débuts de cette dynastie de roitelets mal assis sur leur trône et jamais certains de leur légitimité devant des vassaux plus puissants qu’eux, dix fois se répéta ce qui seul pouvait la faire tenir, la naissance d’un héritier mâle et point trop imbécile, fait unique dans l’Europe du temps. Chez les Le Pen, quand bien même ils sont loin du pouvoir, se répète jusqu’à présent ce « miracle », ou cette malédiction, qu’à chaque génération il y a une héritière. Les Français s’étaient à peine remis de Marine qu’apparaissait Marion.

Qu’on le déplore ou qu’on s’en réjouisse, la moindre des choses est de constater que cet héritage fonctionne auprès d’une certaine catégorie de Français. Les militants du Front national sont certainement les plus légitimistes de France, légitimistes à la façon bonapartiste. La preuve la plus éclatante en fut faite lors du congrès de Lyon en 2014, avant la guerre interne, où il était patent qu’il n’y en avait que pour la famille Le Pen : le Vieux acclamé dès qu’il apparaissait, comme un retour de Sainte-Hélène ; Marine électrisant une foule qui semblait soudain la garde à Waterloo ; et Marion tel un Aiglon.

Cosmétique politique que tout ça, ou farce spectaculaire. Évidemment, la France aime l’histoire sulfureuse qu’on lui tricote. Mais il n’y a pas que ça.

L’un des secrets du succès de Marion Le Pen tient certainement à ce qu’elle ne défend aucune cause à laquelle elle n’adhère entièrement. Si on l’entend peu sur la question de l’euro par exemple, quand elle parle de civilisation chrétienne, ce n’est pas pour une opération marketing qu’on ne sait quel sorcier aurait mise en place, comme un partage des tâches avec sa tante, mais parce qu’elle y croit sincèrement. Et quand elle menace de supprimer les allocations régionales au Planning familial, ce que certains même au sein de son parti lui ont reproché et voulu voir comme sa première faute politique, cela n’entame en rien sa popularité, ou alors il faudrait croire qu’elle eût remporté les élections dès le premier tour sans ce mot.

Les commentateurs de gauche n’y vont pourtant pas de main morte sur son cas : « idées radicales », « pas libérale sur les sujets de société », « proche des catholiques intégristes et des identitaires », « idées archaïques », « homophobie et xénophobie », tout y passe, d’ailleurs sans l’ombre d’une preuve ou d’une démonstration. Vieilles incantations qui n’ont jamais fonctionné parce qu’ils n’ont pas compris que les Le Pen étaient des sortes d’Antée : plus on les jette à terre, plus ils gagnent en force – intérieurement et vis-à-vis des Français.

À bien y réfléchir, appeler intégriste quelqu’un qui va de temps en temps à la messe, c’est aussi insulter tous les catholiques de France. On trouvera d’ailleurs sans peine dans tous les partis des élus qui pratiquent leur religion catholique sans que personne se soit jamais mis en tête de les traiter ainsi. Mystère de l’hystérie médiatique dès qu’il s’agit de la famille Le Pen.

Le clan Le Pen contre les « élites »

Mystère aussi de ce combat sans merci que se livrent depuis quarante ans le clan Le Pen et les « élites » françaises. On ne sait pas tout à fait qui a commencé, à moins que ce soit Mitterrand dans sa ruse florentine. Reste que personne ne provoque tel amour et telle haine. Pour l’illustrer, il faut se rappeler ce jour où l’on a vu trembler la main de la République : c’était le 10 mars dernier, et le Premier ministre devant le Parlement, les artères gonflées, le visage empourpré, avait la main gauche flageolante et semblait plus le petit Hispanien d’Astérix, celui qui retient son souffle jusqu’à ce que l’on satisfasse ses caprices, qu’un grand homme d’État à la tête d’un grand pays d’un grand continent. Le jour où l’on a vu trembler la main de la République, dans cette Assemblée trois cents députés et députées grisonnants applaudissaient pourtant à tout rompre leur chef. Le jour où l’on a vu trembler la main de la République, elle était menacée par une jeune femme, seule, rencognée tout en haut à droite, qui avait seulement évoqué le « mépris crétin » de Manuel Valls à l’endroit de ses électeurs. On eût cru que le 18 Brumaire était proche. Il ne s’agissait que d’une question au gouvernement.

On peut croire évacuer la question Marion Le Pen en traitant seulement de sa féminité, de sa jeunesse, de sa blondeur, de son visage angélique. On peut croire qu’elle n’est que le jouet de tireurs de ficelle cachés dans son ombre. C’est l’erreur la plus grave. C’est ne pas considérer son audace, son alacrité, sa curiosité intellectuelle, sa perspicacité politique, ni son indépendance foncière. Enfin, c’est rater le fond de la chose, qui est, même si ce sont de grands mots, la dimension sacrificielle de son engagement public. Elle n’a personnellement rien à gagner dans son combat, et même tout à y perdre et si elle le mène c’est dans ce qu’elle croit être l’intérêt de son pays. C’est assez rare pour qu’on le signale, et c’est sans doute là que réside son succès actuel auprès des électeurs. Feu de la jeunesse, pourra-t-on dire. Peut-être. En tout cas, on ne peut pas le lui enlever.

*Photo: Sipa. Numéro de reportage : AP21832869_000017.



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est journaliste et essayiste.

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