Marine Le Pen à la soirée Time: jusqu’où ira la dédiabolisation?


Marine Le Pen à la soirée Time: jusqu’où ira la dédiabolisation?

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« Nous finirons tous en kitsch », prophétisait déjà Milan Kundera dans L’Insoutenable légèreté de l’Être. Et cette phrase a frappé durement cette semaine. Marine Le Pen en prom queen, robe de gala bleue –marine- avec strass et paillettes, sur un tapis rouge claquant, rejoignant une soirée de la haute société mondiale à New York, entre Kanye West et Kim Kardashian. Et ce bien sûr accompagnée de son compagnon Louis Aliot, remarquablement vêtu du smoking de rigueur. Marine Le Pen en people de classe américaine ! À ne plus en croire ses yeux.

Bien sûr on nous avait prévenu, du côté du camp de la gauche bienveillante : Time Magazine joue un jeu dangereux, il avait mis Marine Le Pen en une de son canard lu aux quatre coins du monde, et maintenant il se permet l’outrecuidance de l’intégrer dans son prestigieux Time 100, la liste des cent personnalités les plus « influentes » du monde. Et cela sans même intégrer un seul socialiste (si l’on excepte Thomas Piketty) ni un UMP, fût-il Hollande ou Sarkozy. Mais là, l’inviter à un gala magnifique en mondiovision, et qu’elle-même accepte, c’est certainement aller trop loin pour les antifascistes vigilants. On crie alors après ceux qui « font le jeu du FN », selon l’expression consacrée. On crédibilise Marine Le Pen, disent d’autres. Elle-même s’en forge une félicité non-dissimulée : « Outre-Atlantique on considère que le Front national est un mouvement sérieux ». Elle pousse même le refrain jusqu’à un brin de prétention en déclarant que « Comme [elle est] la seule représentante politique de la France il était de bon ton [qu’elle soit] présente ».

Dans ce rôle de people, on se demande si elle n’en fait pas trop . Après la virginité républicaine gagnée par le combat avec son père , on a l’impression qu’elle remet une couche de respectabilité en se présentant dans une soirée mondaine d’envergure internationale (Kanye West, vous dis-je !). Cela semble encore exacerbé par le fait qu’elle répète à l’envi qu’elle est « encore très fâchée contre son père ».

Cette nouvelle image, qui semble au premier abord complètement grotesque, ne va-t-elle pas desservir la cheffe frontiste ? Il semble qu’après les dérapages « classiques » de son père, la fille frise le dérapage « à l’envers », c’est-à-dire le pas de trop dans la normalisation et la respectabilité. On se dirait presque qu’un peu plus et la voilà débarquée sur le yacht de Bolloré à discuter Banque Mondiale et FMI en sirotant une Caïpirinha.

Marine Le Pen a beau rappeler qu’elle est bien là pour représenter la France des oubliés, qu’elle ne parle pas bien anglais (nous offrant un magnifique spectacle de frenchitude digne d’un OSS 117 fier de ne baragouiner la langue de Shakespeare que comme De Gaulle), elle prend ici un chemin où son électorat populaire, ouvrier et chômeur aura du mal à la suivre. La fille Le Pen prend des risques, car on voit mal le bleu de travail de l’OS patriote s’associer au bleu strass et paillette de la robe sur tapis rouge.

En fin de compte, s’il y a bien quelque chose de réussi, c’est la surprise. Milan Kundera en rigole peut-être, de la présidente du FN en grande people kitsch, mais nous aussi.

*Photo : Evan Agostini/AP/SIPA. AP21724367_000094.



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