Catholiques: du confessionnal à l’isoloir


Catholiques: du confessionnal à l’isoloir

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Premier étage du Procope, mi-avril 2015. L’Institut libéral-conservateur Thomas More présente « deux jeunes personnes pleines d’avenir » venues débattre de l’avenir de la droite : Louis Manaranche, 28 ans, et Madeleine de Jessey, 25 ans, normaliens catholiques engagés en politique. Le parterre de cheveux grisonnants réuni autour de la table, dont l’ancien ministre Charles Millon et son épouse philosophe Chantal Delsol, flanqués de quelques jeunes bien mis, conjugue visiblement les notions de droite, de conservatisme et d’identité chrétienne. « J’ai un peu peur de tous ces bonnets phrygiens », plaisante Manaranche à l’entame de son exposé, raillant le décor très 1789 du doyen des cafés parisien, avant de s’interroger : « Comment redevenir une culture dominante ? » L’ancien collaborateur de Laurent Wauquiez, dont il est resté proche, créateur du think tank « Fonder demain », inscrit sa démarche « métapolitique » dans les pas du contre-révolutionnaire Joseph de Maistre. Sa voisine de table opine du chef : « En 2012-2013, on a vécu un kaïros, comme on dit en grec, un moment opportun, une occasion à saisir » pour ancrer la droite dans une « certaine vision de l’homme » incompatible avec « les vieilles doxas anticléricales », affirme Madeleine de Jessey, présidente de Sens commun, le courant « Manif pour tous » de l’UMP. On l’aura compris, ici, c’est la droite bac + 12…[access capability= »lire_inedits »]

Qu’une jeune cadre du parti fondé par Jacques Chirac, formée à l’école des radsocs bouffeurs de curés, et un futur intellectuel organique de la droite aspirent à faire renouer la France avec son identité catholique donne à réfléchir. Pour ces jeunes, comme le prophétisait Péguy, « tout commence en mystique et tout finit en politique ». Avant son accession à l’Élysée, Nicolas Sarkozy, sentant intuitivement le fumet du réveil religieux, avait développé une conception néo-maurrassienne de la religion comme ciment du lien social[1. Voir La République, les religions, l’espérance, Nicolas Sarkozy, Éditions du Cerf, 2014.]. Une telle inflexion du discours politique en direction d’une « laïcité positive » ouverte aux cultes, suivie d’un voyage officiel au Vatican du président élu intronisé chanoine du Latran par Benoît XVI – en présence de Jean-Marie Bigard ! – contient sans doute sa part de sincérité. Le président de l’UMP n’en a pas moins pris conscience de la révolution culturelle en cours : après des décennies d’enfouissement, le catholicisme français s’est extrait de la torpeur, rajeuni… et droitisé. Pour comprendre ce phénomène, il faut remonter aux racines de La Manif pour tous, qui fut le moment de sa cristallisation.

Septembre 2012. Dans une salle parisienne, des réseaux « pro-vie » proches de l’épiscopat (Fondation Jérôme-Lejeune, Alliance Vita, Associations familiales catholiques) sont rassemblés aux côtés de « cathos de gauche » encartés au Parti socialiste (Poissons roses) et de quelques homosexuels anti-mariage recrutés par Virginie Tellenne, alias Frigide Barjot, l’égérie des boîtes gays et du groupe d’intervention Jalons présidé par notre Basile de Koch, son époux à la ville. C’est le début de La Manif pour tous (LMPT) « canal historique ». L’événement n’est pas mince : pour la première fois, des catholiques progressistes acceptent de faire cause commune avec des militants anti-avortement afin de ferrailler ensemble contre le projet de loi Taubira sur le mariage pour tous. À l’exception notable d’Alliance Vita, les différentes chapelles de LMPT s’accordent sur le principe d’une union civile homosexuelle, sorte de PACS amélioré qui garantirait l’égalité des droits (fiscalité, succession…). L’idée, ardemment défendue par Barjot, se voit assortie d’une réforme de l’adoption qui permettrait aux couples gays d’accueillir des enfants sans institutionnaliser un mensonge sur leur filiation. Malgré son côté hétéroclite, ou plus probablement grâce à lui, le mouvement attire les foules : contre toute attente, deux cent mille personnes défilent à Paris le 17 novembre. La mayonnaise prend tant et si bien que plus d’un million de Français – majoritairement catholiques – forment une marée humaine le 13 janvier 2013. Sans armes, ni haine, ni violence, des familles entières marchent leurs enfants sur les épaules, « sans qu’on entende un seul slogan homophobe », se remémore René Poujol, ancien directeur du magazine Pèlerin, et animateur du blog « À la table des cathos de gauche ». Du côté du gouvernement et dans les cénacles très actifs de la gauche LGBT, le désarroi se mue promptement en rage.

La modération de La Manif-version Barjot aurait pourtant dû rassurer le camp d’en face, elle ne fait que l’horripiler : où va le monde si l’ennemi n’a pas la tête de l’emploi ? À gauche, la ligne officielle ne varie pas : La Manif pour tous est de droite extrême, sinon d’extrême droite. Toute de rose enrubannée, la catho born again Frigide est moquée, diabolisée et insultée par les chiens de garde progressistes, de Libération (« Casse-toi, pauvre conne ! ») à Canal +. Et la prophétie antifasciste de s’autoréaliser en marge des cortèges : de paisible « catho pride », les manifs dégénèrent fin mars, avenue de la Grande-Armée, lorsque quelques provocateurs du GUD se mettent à titiller les CRS. Après le vote de la loi le 23 avril 2013, le gouvernement peut d’autant plus crier à l’extrémisme que Frigide Barjot se voit écartée de la tête du mouvement fin mai, en conflit ouvert avec la frange droitière de LMPT qui campe désormais sur une position intransigeante : plus question d’union civile, c’est l’abrogation ou rien ! Du jour au lendemain, Ludovine de la Rochère, responsable de la Fondation Lejeune, et Béatrice Bourges, naguère proche de Christine Boutin, éclipsent Barjot sur les plateaux télévisés. Même dans les colonnes du Figaro, on préfère ces représentantes convenables à la fantasque catho au grand cœur. Du reste, à gauche la haine anti-Barjot ne faiblit pas avec son éviction : aujourd’hui encore, on reste confondu par la violence que le camp du Bien s’autorise envers ses adversaires. Un homo militant confie ainsi : « Que Barjot soit entourée d’homos ne change rien, au contraire, c’est souvent le cas des plus homophobes. » Si vous avez trop d’amis juifs, votre compte est bon…

Aujourd’hui à la tête de sa propre association, L’Avenir pour tous, Virginie Tellenne tend l’autre joue à ces opposants de l’intérieur mais ne peut que constater : « Je n’avais pas les codes, je n’étais pas vraiment de leur monde », malgré la ferveur de sa foi. En qualifiant l’homosexualité de « chance pour la société française », la night-clubbeuse gay friendly avait fait grincer quelques dents au début de La Manif. Sa « garde rose », brocardée çà et là, tranchait nettement avec le noyau dur « tradismatique » de LMPT. Le chercheur Gaël Brustier[2. Le Mai 68 conservateur. Que restera-t-il de La Manif pour tous ?, Cerf, 2014.] avance en effet l’hypothèse que ce « Mai 68 conservateur[1] » est né à la jonction entre le renouveau charismatique de l’Église catholique et les courants traditionalistes fidèles à Rome, la matrice du mouvement. « Les milliers de jeunes de La Manif ont fréquenté indifféremment des églises tradis et charismatiques. Ce sont eux qui ont fait durer le mouvement presque un an et ont pour beaucoup été en garde à vue », me confirme un ami Veilleur. Des communautés charismatiques, dans lesquelles Paul VI reconnaissait « une chance pour l’Église et le monde » dès 1975, telles que l’Emmanuel ou les Béatitudes, inspirées du pentecôtisme protestant, ont fourni pléthore de jeunes à LMPT. Ces derniers présentent fréquemment le même profil : une éducation (modérément) religieuse, dans des familles peu pratiquantes, suivie d’une expérience chez les Scouts d’Europe, puis d’exercices spirituels au sein de groupes de prière comme l’EVEN (École du verbe éternel et nouveau, voir pages xxx) que Louis Manaranche et Madeleine de Jessey ont fréquentée durant leurs années étudiantes. Un parfait exemple de convergence entre rigueur dogmatique traditionaliste et pratiques charismatiques. Au point que Madeleine voit sa participation aux veillées de LMPT comme le prolongement de sa formation religieuse : en marge des manifestations, les Veilleurs lisent et commentent de grands auteurs profanes (Péguy, Bernanos, Orwell…), sécularisant ainsi la lecture de l’Ancien et du Nouveau Testaments telle que la pratique l’EVEN. Dans la génération JMJ (Journées mondiales de la jeunesse), nourrie aux homélies de Jean-Paul II et de Benoît XVI, l’identité catholique s’affiche fièrement conformément aux textes du Vatican sur l’implication des laïcs dans la diffusion de l’Évangile. Pour les curés aussi, l’heure n’est plus à l’enfouissement. « L’Église de France a évolué. Le temps des prêtres ouvriers qui s’habillaient en jeans et cachaient leur croix est révolu. On est revenu aux curés en col romain, à l’encens et à une liturgie plus respectée. Ces changements ont un impact politique », décrypte Matthieu Colombani, jeune délégué national du Parti chrétien-démocrate, fondé par Christine Boutin.

René Poujol, chrétien social, « entre Delors et Rocard », qui a eu 20 ans en 1968, se souvient : « Pendant longtemps, le monde catholique a été beaucoup plus réfractaire que le reste du pays aux idées du FN. Dans Le Mystère français, Todd et Le Bras parlent du “catholicisme zombie” sécularisé imprégnant culturellement la France de l’Ouest, qui a d’ailleurs voté Hollande en 2012. Mais la génération Manif pour tous se droitise. Elle reproche à ses parents issus de Mai 68 de ne pas lui avoir transmis les bonnes valeurs. » Pourtant, les résultats d’une enquête en ligne réalisée par La Manif pour tous en janvier dernier laisse penser que les « frigidiens » sont largement majoritaires parmi les catholiques du rang, lesquels soutiennent à plus de 69 % l’union civile homosexuelle,

Ainsi, seule une minorité des marcheurs anti-mariage gay a « Marion Le Pen comme idole », selon l’expression de Louis Manaranche. La benjamine de la PME frontiste, qui fut de toutes les manifs, a certes efficacement rabattu les voix cathos, mais la défiance envers le Front national reste largement de mise, y compris parmi les plus conservateurs. Matthieu Colombani, opposé au PACS dès son adolescence, renvoie le FN à ses divisions : « La pauvre Marion est sûrement sincère, mais Marine Le Pen a la même conception de la laïcité que Vincent Peillon. Elle considère que les curés ne doivent pas s’occuper de politique. Je n’entends pas le FN contre la reconnaissance de l’IVG comme un droit fondamental. Et je fais du rejet de la peine de mort un point non négociable. » Reconnaissons que la promotion d’un des fondateurs du micro-parti LGBT GayLib au poste de délégué culturel du Rassemblement bleu Marine n’enchante pas les foules catholiques. Si beaucoup rechignent de surcroît à rejoindre « le parti de la culpabilisation de l’Autre », dont la grammaire xénophobe bafouerait le message christique, le réveil identitaire catholique passe par d’autres canaux.

Même chez les « catho-zombies » de la ligne géographique Brest-Perpignan, l’autisme et le mépris du gouvernement pendant l’affaire du mariage pour tous a blessé, d’où l’insistance de François Hollande à vouloir présenter son ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, deloriste de cœur, à la tête de la Région Bretagne, histoire d’endiguer le risque de droitisation de cet électorat. Il est jusqu’au très modéré René Poujol pour s’émouvoir de la dérive « laïcarde » des pouvoirs publics : « L’affaire des affiches de la RATP [NDLR : dont la régie publicitaire avait souhaité retirer la mention « en faveur des chrétiens d’Orient » avant de reculer sous la pression générale] est ridicule mais révélatrice. Et ce serait farfelu d’interdire le voile à l’université. La loi de 1905 décrète l’État laïque, pas la société. À force de poser des contraintes dans l’espace public, on risque de confiner les croyants dans des lieux privés, et les gens vont se communautariser. » Un pas plus loin, Louis Manaranche craint que les attentats de janvier ne légitiment un nouveau tour de vis antireligieux : « 2017 risque d’opposer en politique les “Je suis Charlie” aux cathos ! », me confie-t-il. Singulièrement, cette inquiétude fait écho à celle qu’expriment des voix musulmanes.

Cathos, islamos, même combat ? Pas si vite : l’islam est à la fois perçu comme un concurrent féroce et un allié potentiel (contre l’intégrisme laïque), ce qui rend très ambivalent le rapport aux musulmans de bien des catholiques : faut-il autoriser le financement public indirect des mosquées, ne pas s’hystériser à la moindre prière mahométane de rue ? Matthieu Colombani n’a pas de religion sur ces points sensibles, bien qu’il soit aussi viscéralement « attaché à la liberté religieuse » qu’opposé à l’islamisation de la fille aînée de l’Église.

Chez les plus irréductibles, une petite frange militante se conçoit comme une minorité opprimée repliée sur elle-même : « Cela me fait penser à l’Action française des années 1920, lorsque certaines familles provinciales s’auto-glorifiaient de la vertu que leur conférait leur statut de minoritaires. C’est un grave contre-témoignage, car l’Évangile nous commande d’annoncer le Christ au monde », glisse Manaranche, adepte d’une stratégie d’influence à droite.

Signe des temps, Sens commun, six mille adhérents, a été le seul courant de l’UMP à faire comparaître les trois prétendants à la présidence du parti le 15 novembre dernier. La postérité a retenu la prestation de Nicolas Sarkozy, partisan de l’union civile homosexuelle, qui s’est finalement résolu à parler d’« abrogation » de la loi Taubira sous la pression d’une dizaine de spectateurs chauffés à blanc – « si c’est ça que vous voulez entendre, je vais le dire…. ». Mais seulement 6 % des adhérents de l’UMP ont plébiscité le candidat « Manif pour tous », Hervé Mariton, alors que Bruno Le Maire, partisan assumé du mariage gay, a raflé 29 % des suffrages militants. Pas assez puissant pour jouer au faiseur de roi, mais suffisamment influent pour convoquer candidats et caméras, le lobby catho de la droite est encore en gestation.

« Les manifestants de 2013 éprouvent beaucoup de circonspection à l’égard des partis, qui sont tous divisés. Le mouvement n’est plus représenté politiquement », estime Julie Graziani. La porte-parole du collectif Ensemble pour le bien commun est l’une des révélations médiatiques de LMPT[2. Le 2 octobre 2014, en direct sur France 2, Graziani a damé le pion au pro-mariage gay Alain Juppé, pourtant rompu aux débats télévisés.]. À 35 ans, cette fille d’un « père athée » qui a fait ses classes dans un lycée catho tradi de Saint-Cloud a entamé une deuxième carrière, celle d’entrepreneur cathodique pour des causes aussi peu glamour que la Marche pour la vie…, tout en faisant œuvre de lobbyiste au sein du « Terra Nova de droite » que viennent de créer Charles Beigbeder et Charles Millon. Du foisonnement de structures nées de La Manif pour tous, Graziani ne sait ce qu’il donnera, ni sur quel cheval – UMP ou FN – miseront les millions de catholiques pratiquants. Une chose est sûre : si la droite revient au pouvoir et se contente du statu quo, Julie Graziani et ses ouailles « remobiliseront une manif géante d’un million de personnes dans la rue. Et le président sera obligé de proposer un référendum» Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards trop sages…[/access]

*Photo : FAYOLLE PASCAL/SIPA.00657021_000064.

Mai 2015 #24

Article extrait du Magazine Causeur



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