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L’ivresse sucrée


Je dors d’un sommeil irrégulier. Je m’éveille souvent. Depuis que j’en ai chassé ma dernière compagne, le palais est silencieux. Plus aucune porte ne claque. Je vis seul. La nuit, je me rends jusqu’aux cuisines de l’Élysée, où la faim me porte. J’y trouve des reliefs appétissants, que je dévore. Je suis alors saisi d’une frénésie alimentaire. J’aime les gâteaux surtout. Je m’en remplis la bouche. Sous la masse des comestibles, constamment renouvelée, mise en branle par la mastication rapide, mes joues se gonflent démesurément, s’animent, se déforment. Je surprends parfois mon reflet dans une vitre, et je trouve comique ma face enflée, mes lèvres souillées et humides, vers quoi reviennent toujours mes mains chargées de nourriture, dans un geste mécanique et pressé. « Eh bien, président, tu bâfres ! »

C’est ce que je me dis à part moi. Je souris ; des éclats de gâteau jaillissent, un mince filet s’échappe de mes commissures.
Affolé de pâtisserie, je m’assieds dans la pénombre, et je laisse la saturation s’installer, prendre possession de mon être. Les glucides s’infiltrent dans le réseau de mes veines, irriguent mon cerveau, tous mes membres.
Je me soumets à la loi du sucre.

J’ai nommé Manuel Valls premier ministre. Ce petit monsieur vient de passer deux années à la tête de la police. Il n’a pu, à ce poste éminent, où l’on peut déplacer à sa guise, sur une carte, des compagnies en armes, apaiser sa soif de commandement. C’est un plaisir renouvelé que le spectacle de ces républicains d’élite, manifestant sans vergogne une suffisance de tyranneau de canton. La dernière semaine de son exercice lui aurait été fatale, si le ridicule et la honte pouvaient encore tuer : un pompier a refusé de prendre la main qu’il lui tendait. Quel camouflet pour ce matador de baignoire !
Bah ! Ce ne fut là que la première station de son chemin de croix. Je ne lui donne pas un an pour que Matignon épuise son arrogance. Il sortira de l’épreuve plus essoré qu’un linge de maison du tambour d’une machine. Pour l’heure, la presse complaisante lui tresse des couronnes : il connaîtra tantôt que le laurier comporte des épines.

J’ai souhaité sortir Ségolène Royal de la lointaine réclusion où elle se morfondait. Je la vois encore, accablée, larmoyante, criant presque grâce aux électeurs, qui l’avaient écartée de La Rochelle… C’est beau une femme qui pleure, la nuit !
On me rapporte que le fidèle Ayrault a été blessé que je ne le reconduisisse pas dans sa fonction. Ah, le brave homme ! Je l’imaginais dans son bureau, lundi dernier, espérant mon appel, soutenu par un fol espoir, et par celui de ses commensaux, telle cette madame Bricq, qui crut habile d’encenser la cuisine de Matignon, au détriment de celle de l’Élysée.
Quel chemin parcouru depuis que j’ai quitté la rue de Solférino ! Où sont mes concurrents, mes ennemis devrais-je dire, car il furent trop peu loyaux pour être mes adversaires, et dans quel état se trouve le parti socialiste ?

J’ai su que M. Kahn cherchait jusqu’en Chine des investisseurs pour plus d’un milliard d’Euros. Il a en tête la création d’un « fonds spéculatif entièrement dédié à la macro-économie ». Je me répète cette information à toute heure de la journée, et je souris. M. Kahn, le champion de la gauche, celui que tout un peuple attendait, l’économiste qui murmurait à l’oreille des princes et des gogo-danseuses, Je l’imagine dans le bureau de son « hedge fund » adoptant tour à tour une position courte ou longue, fasciné par la chute… des marchés. Il me toisait, naguère, il m’enjoignait de me soumettre ou de me démettre. Sic transit… intestinal, ah, ah, ah !
J’ai gardé Fabius aux Affaires étrangères. Il n’est que ce portefeuille d’assez vaste pour contenir l’ennui qui l’habite. Il fit un usage médiocre des dons innombrables que la naissance et la nature lui avaient abandonnés. Sa conversation était l’une des plus brillantes de Paris, mais il ne consentit jamais à échanger avec moi que des banalités. À présent, il confie aux œuvres d’art et aux jolies femmes le soin de le divertir.

Quant au parti socialiste, si je disposais d’un reliquat de piété, je prierais volontiers pour qu’un dieu de miséricorde exauçât le vœu de M. Emmanuelli, lequel déclarait ce matin que « la démission du premier secrétaire ne [lui] paraîtrait pas inopportune ». Décidément, ce monsieur Désir-sans-avenir n’aura existé véritablement que dans le refus qu’il suscitait !
L’aube se lève sur Paris. Je retrouverai tout à l’heure l’inquiétante servilité de mes courtisans. Avant de regagner ma chambre, je risquerai quelques pas dans le parc. Je n’ai plus faim. L’écœurement de la chose sucrée a suivi son éblouissement.
Tous les plaisirs sont brefs et infidèles.



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Né à Paris, il n’est pas pressé d’y mourir, mais se livre tout de même à des repérages dans les cimetières (sa préférence va à Charonne). Feint souvent de comprendre, mais n’en tire aucune conclusion. Par ailleurs éditeur-paquageur, traducteur, auteur, amateur, élémenteur.

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