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Libérez Bibi !


Libérez Bibi !

Benyamin Netanyahu n’a plus aucune chance de devenir un De Gaulle ou même un Sharon – à supposer bien sûr qu’il en ait jamais eu une. Après les primaires dans son parti le Likoud, il se retrouve menotté à une liste bien trop droitière, si bien qu’avant même de gagner les élections, il a perdu toute marge de manœuvre s’il devenait Premier ministre. Du coup, son accession au pouvoir paraît moins certaine. En tout cas, avec de pareils colistiers, son gouvernement n’aura rien à proposer ni aux Américains ni aux Européens et encore moins aux Palestiniens et Syriens. Or, par gros temps économique et face aux échéances dictées par le projet nucléaire iranien, jouer au poker sans jeu est suicidaire. Netanyahu lui-même ne cesse de rappeler aux diplomates occidentaux en poste en Israël et à quelques journalistes priés de faire passer le message qu’il a, il y a dix ans, rencontré Arafat et négocié avec lui. Mais le Likoud qui a porté cette politique n’existe plus. Le parti qui avait su mobiliser les masses populaires délaissées par une gauche boboïsée se replie sur une ligne idéologique dure portée par des dirigeants sociologiquement extérieurs à sa culture politique.

Donné vainqueur des législatives du 10 février, le Likoud a choisi ses candidats à la Knesset. La liste sortie des urnes a de quoi effarer Netanyahu qui, désormais, porte mieux que jamais son prénom, Benyamin, le « fils de la droite ». A côté de personnages comme Begin fils, gardien du temple de la droite historique s’il y en eut, les militants ont placé haut sur la liste toute la bande du « front du refus », ceux qui avaient fait campagne avec une redoutable efficacité contre Sharon et son projet de retrait de la bande de Gaza, poussant l’ancien Premier ministre vers la sortie. C’est alors qu’il avait créé le parti Kadima, avec Olmert et Livni – et le soutien discret du parti travailliste (et notamment celui de Shimon Peres). La plupart des transfuges ont passé la dernière législature hors de la Knesset où le Likoud, déplumé, n’a pu faire élire qu’une douzaine de ses membres, contre quarante-huit il y a un quart de siècle.

Ce retour en force de l’aile droite du Likoud est le fruit d’une manœuvre politique qui aurait fait pâlir de jalousie le grand Trotsky. Un groupe de colons et leurs supporters ont réussi à prendre de l’intérieur le contrôle du Likoud qu’ils entendent bien mettre au service de leur grande ambition : façonner la politique israélienne pour bloquer toute tentative de compromis avec les Syriens et les Palestiniens.

La droite dure et ouvertement pro-colons d’où viennent ces infiltrés est jugée par la plupart des électeurs israéliens comme trop religieuse, messianique et sectaire. En conséquence, elle est condamnée à la marginalité politique, une position confortable dans un régime style IVe République pour défendre des intérêts sectoriels, mais qui exclut l’accès aux portefeuilles cruciaux et aux véritables postes de pouvoir. Le leader et le grand stratège de ces guérilleros est Moshé Feiglinne, quarante-six ans, colon religieux, major de réserve dans l’armée de terre et homme d’affaires, qui s’est fait une réputation dans les années 1990 en appelant à la résistance civile non-violente contre les accords d’Oslo. Entre 1992 et 1995, il s’est consacré aux blocages des grandes artères aux heures de pointe, dans le cadre d’une stratégie visant à épuiser et à éparpiller les forces de l’ordre, les obligeant à arrêter des milliers de personnes et provoquant l’embarras du gouvernement.

Cette première stratégie de Feiglinne a échoué et ce fin politique l’a vite compris, et admis. Mais il aussi pu observer qu’il se trouvait à la tête d’un commando de quelques milliers de militants prêts à donner beaucoup pour la cause – un trésor politique. Décidé à s’emparer du pouvoir légalement, Feiglinne a appelé ses fidèles à adhérer au Likoud, sans la moindre intention ni de voter ni de faire campagne pour le vieux parti conservateur, mais pour peser sur la liste des candidats à la Knesset – une version locale des adhérents à 20 €. L’efficacité des Feiglinne est redoutable : lors de primaires pour le leadership du parti en 2002, Feiglinne réunissait 3,5% des suffrages. Trois ans plus tard, il avait plus que triplé son score (12,4 %) et en 2007, il obtenait les suffrages d’un quart des militants. Il n’avait pas fait le voyage pour rien.

Le projet politique de Feiglinne est un chef d’œuvre de démagogie nationaliste. À titre d’exemple des sophismes feiglinniens, la cause de la violence palestinienne ne saurait en aucun cas être le désespoir. Non, c’est au contraire l’espoir d’une victoire qui pousse les Palestiniens à la violence. En conséquence, seule une fermeté israélienne sans faille convaincra les Palestiniens, résignés, d’accepter l’Etat juif.

On comprend donc pourquoi Bibi s’est, au cours des dernières semaines, démené pour le poids des « Feiglinne ». En vain. Disciplinés, listes en main, Feiglinne et sa cinquième colonne ont raflé la mise. Certes, Feiglinne lui-même n’est qu’en trente-sixième position sur la liste – selon la fourchette haute des sondages, un siège de député reste à sa portée, mais ses protégés occupent d’excellentes positions. Certes, Netanyahu devrait rappeler qu’il est le patron, notamment lors d’une réunion des quarante premiers candidats de la liste – mais il n’en demeure pas moins le capitaine d’un bateau dont il n’a pas choisi l’équipage, et dont on pourrait même dire que l’équipage est là pour s’assurer qu’il ne dévie pas de la trajectoire qu’il a lui-même tracée quitte à foncer tout droit dans la zone de tempêtes.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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