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Lapaque vs Reza : vidéo-gag ou crime raciste ?


Lapaque vs Reza : vidéo-gag ou crime raciste ?
Sébastien Lapaque.
Sébastien Lapaque.

Je ne suis pas suspecte de sympathie excessive pour Sébastien Lapaque, écrivain et journaliste au Figaro qui, pour des raisons mystérieuses, a décrété un jour que j’étais particulièrement nuisible et s’est mis en tête de le faire savoir à des tas de gens dont la plupart ignoraient mon existence et s’en trouvaient fort bien. Rien de personnel. Dans notre monde enchanté des lettres et du journalisme, on n’a pas besoin de savoir pourquoi on se déteste. D’ailleurs, je ne le déteste pas. Disons que ce garçon talentueux et agité peut surprendre par le caractère excessif de ses emportements. Et du temps où nous nous croisions dans des soirées baroques et arrosées, je me souviens qu’il n’avait pas son pareil pour fabriquer un scandale nocturne ou une querelle de petit matin. Résistant au manque de sommeil et aux excès de tout le reste, Lapaque est tout sauf un bonnet de nuit et, dans une époque qui en produit tant, cela doit être salué. Un jour, il n’y aura plus de Lapaque pour troubler le sommeil des honnêtes travailleurs dans les rues de nos villes la nuit et ce sera bien triste. Pour le reste, un parcours qui passe par l’Action française et De Gaulle, Bernanos et Jean-Pierre Chevènement et bien d’autres lieux où il s’est forgé une singularité.

J’ai donc d’abord bien ri en découvrant que cet amateur de provoc en tout genre était accusé d’être une sorte d’Ahmadinejad à la française – excusez du peu – par Reza, photographe que son origine persane qualifie certainement pour détecter ce genre de choses. Entre nous, si Ahmadinejad vidait de temps en temps quelques verres avec Lapaque, il serait plus amusant. Et moins dangereux.

L’incident ayant été partiellement filmé et abondamment raconté par ses protagonistes et spectateurs, je vous la fais courte. Ça pourrait se passe dans le TGV qui ramène de Saint Malo une troupe de journalistes et littérateurs ayant participé au festival des Etonnants voyageurs qui n’est pas, semble-t-il, un lieu de tempérance et de sobriété. Pour se fader du prêchi-prêcha sur la littérature-monde il n’est pas forcément recommandé d’être à jeun. Les membres du petit groupe attroupés autour de Lapaque dans la voiture-bar ont visiblement été très raisonnables sur l’eau minérale. Personne n’a forcé sur la Vittel. Lapaque fait son show, déclamant le texte d’un tract situ-anonyme accusant le festival d’être à la solde de ses sponsors. Dans son dos, quelqu’un parle de « bande à Pétain ». Le photographe Reza, qui venait peut-être se chercher une Badoit, tombe sur la scène et la filme. Il n’en faut pas plus à Lapaque pour improviser un nouveau numéro, à la Gabin ou à la Blondin, l’histoire tranchera certainement. Il menace Reza de lui casser la gueule et se lance dans une tirade embrouillée sur laquelle les versions divergent. À en croire l’offensé, Lapaque aurait alors des propos racistes, affirmant que la France de Reza n’est pas « pure ». Lapaque nie l’usage de tels termes qui d’ailleurs ne lui ressemblent pas. Seule certitude, il a parlé de « sa France qui est celle de Gaston l’Eléphant et de Jojo Lapin ». D’accord, il y est allé fort : Jojo Lapin et Gaston l’Eléphant, ça sent la rafle à plein nez. Jojo Lapin ! Gaston l’Eléphant ! Si ça ne vous rappelle pas les heures les plus sombres de notre histoire, vous êtes amnésique. Même bourré, on ne rigole pas.

Esprit de sérieux, es-tu là ?

Justement, Reza, ne plaisante pas. Le second degré, c’est pas son truc. Il a vu arriver le fascisme en Iran et il le flaire à trois kilomètres même quand il se dissimule dans les vapeurs d’alcool. « Avec de tels propos, Ahmadinejad est à notre porte », dit-il sans rigoler. Il est même, semble-t-il, en pleurs, lorsqu’il relate la scène. « Ce qui me choque, de la part d’un homme de plume comme Monsieur Lapaque, c’est de retrouver ce racisme latent que je sens depuis trente ans. Même s’il était ivre-mort, c’est inacceptable. » Doit-on comprendre que la France entière est inculpée avec Lapaque-Ahmadinejad ?

Comme il suffit de prononcer le mot « racisme » pour fabriquer un scandale, l’affaire n’en reste pas là. Cette scène d’anthologie fait l’objet d’une bonne vingtaine d’articles. Des propos d’ivrogne sont analysés, commentés, soupesés. Esprit de sérieux, es-tu là ? Bonjour tristesse. En vérité, tout ça fiche un peu la trouille. Lapaque se fend d’une lettre à Reza dans laquelle il fait amende honorable pour son déconnage alcoolisé. Mais face au fascisme, on ne transige pas : Reza annonce son intention de porter plainte !

Il est difficile de croire qu’un type comme Reza, qui a voyagé et connu des fascistes qui n’étaient pas en peau de Jojo Lapin, ait vraiment été impressionné par la logorrhée de Lapaque. Peut-être souffre-t-il d’une sobriété excessive (C’est une blague !!!! Je jure que je suis contre l’alcoolisme), mais il a de la bouteille. Y aurait-il un peu de pose dans l’exhibition de son chagrin ? De notre rencontre il ya une vingtaine d’années (dans les parages d’un voyage en grandes pompes du roi du Maroc et de sa cour dans les provinces contestées du sud), j’avais conservé un souvenir différent.

Soyons justes, Reza a le droit d’avoir ses humeurs. S’installer dans un TGV avec la perspective de deux heures de rêverie et tomber sur une bande de braillards avinés, satisfaits d’eux-mêmes et impolis avec les dames, ça énerve. Mais il y a certainement une fin plus marrante à trouver que du papier bleu et de l’antifascisme standard. Pour finir, j’aimerais lui dire de ne pas s’inquiéter. Moi non plus, je ne connais pas Gaston l’Eléphant. C’est grave ?



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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