La belle et les rebelles


La belle et les rebelles

najat vallaud gauchet

Si j’attaque cet éditorial par la nomination de Najat Vallaud-Belkacem à l’Education nationale, c’est que je suis bonne fille. Comme l’observe judicieusement Luc Rosenzweig (pages 14-15), pour le président de la République, les attaques venues de droite et d’extrême droite, sans oublier les « fachos de Causeur », sont la preuve ultime qu’il est de gauche, c’est-à-dire dans le vrai. Toute critique de la plus jolie ministre du gouvernement sera interprétée comme un signe supplémentaire et bienvenu de la progression des odieuses idées réactionnaires dans notre pays.

D’accord, il n’y a pas de quoi s’affoler. Tout d’abord, comme le montre l’article de Laurent Cantamessi sur la traque des stéréotypes sexistes dans les manuels scolaires (pages 20-21), l’Éducation nationale n’a pas attendu sa nouvelle ministre pour adhérer aux billevesées idéologiques dont raffole l’époque. Et Vallaud-Belkacem ne prendra sans doute pas le risque de contrarier l’électorat arabo-musulman en réactivant ses fameux ABCD de l’égalité. Le plus probable est que, comme la plupart de ses prédécesseurs, elle ne fera rien. Quoique : si elle tient absolument à laisser sa trace Rue de Grenelle, peut-être réussira-t-elle enfin à imposer que les « écoles maternelles » soient désormais dites « parentales ».  Si cette nomination est scandaleuse, c’est donc surtout en raison de sa portée symbolique. Tout au long du débat sur le mariage pour tous, Vallaud-Belkacem n’a pas caché le mépris que lui inspire la moitié de la France – sinon plus – qui ne pense pas comme elle.

Pour elle, les défenseurs de la famille à l’ancienne ou de la différence entre les sexes ne sont que des résidus des temps anciens qu’il convient au mieux de rééduquer. Plus généralement, elle incarne la haine du passé qui tient lieu de bagage idéologique à la gauche terranoviste que le président a choisie contre la gauche républicaine. Najat, c’est le parti du futur. Or, si le mot « transmission » a un sens, l’Éducation nationale devrait être un peu le « ministère du Passé ».

Comparé à l’événement politique que représente, paraît-il, l’arrivée d’une femme à l’Éducation, la polémique suscitée par la présence de Marcel Gauchet aux Rendez- vous de l’Histoire de Blois, en octobre, peut sembler dérisoire et en tout cas hors de propos. Les deux ne sont pourtant pas sans rapport. En effet, c’est encore le Parti du futur qui prétend censurer l’un de nos plus brillants penseurs. Et si personne ne se soucie de ses oukases, cette offensive est révélatrice de l’effondrement du débat intellectuel en France.  Le 1er août, Libération publiait donc une tribune signée par le philosophe « progressiste » Geoffroy de Lagasnerie et le romancier Édouard Louis, considéré par la gauche bétassonne comme un maître de la subversion depuis la parution d’En finir avec Eddy Bellegueule, chef-d’œuvre de conformisme dans lequel l’auteur décrit la France prolo et provinciale dans laquelle il a grandi comme un ramassis de beaufs alcooliques et analphabètes. Précisons que, dans les coulisses, Didier Eribon, gardien autoproclamé du temple foucaldien, était à la manœuvre.  Ce qui a rendu fous nos « Beria de bac à sable », surnom affectueux dont je les ai gratifiés dans Le Point, c’est que Marcel Gauchet ait été invité à donner la conférence inaugurale des Rendez-vous de l’Histoire, dont le thème, cette année, sera « la rébellion ».

Or, s’étranglent ces petits flics qui, à l’évidence n’ont pas lu une ligne de celui qu’ils dénoncent, Gauchet est un propagateur de poncifs ultraréactionnaires  – qui auraient dû être inter- dits depuis longtemps. N’a-t-il pas donné la parole, dans sa revue Le Débat, à des adversaires du mariage gay ? Ces esprits délicats font part de leur « stupéfaction » et même, pourquoi se gêner, « de leur dégoût ». « Contre quoi Marcel Gauchet s’est-il rebellé ? », s’interrogent-ils. Au-delà de cette risible compétition pour obtenir un macaron de rebelle que personne ne leur dispute, l’argument est révélateur de leur conception de la vie intellectuelle. Ils ne pensent pas, ils militent, ils ne cherchent pas la vérité, ils prétendent dire le bien. Leur mission ne consiste pas à éclairer le jugement, mais à interdire toute divergence. Ainsi, insensibles au caractère parfaitement ridicule de leur menace, les deux signataires, rejoints quelques jours plus tard par une cohorte de chercheurs et artistes de gauche sous tous rapports, avertissent : si la présence de Gauchet est confirmée, nous boycotteront les Rendez-vous de Blois[1.  Ayant moi-même été invitée à participer à un débat, sur le thème de la rébellion, avec Marcel Gauchet, Edwy Plenel et Aymeric Caron, je trouve un peu vexant que cette petite troupe ne juge pas nécessaire de me boycotter, moi aussi.]. Pitié, pas ça ! On se demande comment la France et les Rendez- vous de l’Histoire survivront à cette tragédie.  Le sectarisme fanatique de la prétendue intelligentsia de gauche qui réduirait volontiers au silence tous ceux qui osent ne pas penser comme elle n’est certes pas une nouveauté. Il est cependant inquiétant qu’un quotidien tenu pour respectable publie un texte qui ne manie pas la critique mais l’injure.

Dans un pays civilisé, même ces benêts en bande organisée n’oseraient pas se dire « dégoûtés » par Marcel Gauchet, ni qualifier Causeur et Marianne de « torchons » – Eribon dixit. Mais après tout, si Eribon et sa clique sont des intellectuels, si Najat Vallaud-Belkacem est ministre de l’Éducation nationale, moi je suis évêque. Désormais, vous m’appellerez Monseigneure.

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*Photo : SIPA. 00691457_000023.

Septembre 2014 #16

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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