Avant Le Rouge et le Noir


Avant Le Rouge et le Noir

jean prevost goderville

Triste anniversaire. Il y a soixante-dix ans, le capitaine Goderville tombait sous les balles allemandes dans le maquis du Vercors. Excepté quelques historiens, les français ont oublié le nom de ce résistant. Si l’Histoire est injuste avec les hommes courageux, la littérature l’est tout autant avec les écrivains de talent. Les truqueurs sortent toujours vainqueurs des manuels scolaires. Cruel destin pour ce français remarquable d’être ignoré par tant de gens de lettres. Ou faut-il y voir, au contraire, une chance, une raison d’espérer ? Sa discrétion posthume en fait une curiosité littéraire qui échappe aux professeurs. La littérature a besoin d’espace pour s’exprimer. Car il y a bien une malédiction Goderville qui s’appelait dans le civil Jean Prévost.

Qui se souvient de ce romancier, essayiste, traducteur de Garcia Lorca, préfacier d’Hemingway, de Daniel Defoe, poète, chroniqueur à la NRF, sportif émérite entre autres, né en 1901 à Saint-Pierre-lès-Nemours, élève d’Alain, reçu à l’Ecole Normale en 1919 ? Il a pourtant écrit une trentaine de livres sur le sport, Montaigne, Paul Valéry, Baudelaire et Stendhal, sa grande affaire. Ce touche-à-tout déroute les esprits cartésiens. Prévost n’avait pas de limites, il vantait aussi bien l’effort physique qu’intellectuel. Il avait le pressentiment que tout devrait aller très vite dans sa vie. Ses romans ont la beauté fragile de la jeunesse quand tout est possible, quand l’échec et le succès sont au coude-à-coude. Il est le chantre des ambitions avortées. Son œuvre date des années 30 mais elle émeut, secoue, irradie les âmes en devenir. Comment résister à cette justesse de ton, à cette sensibilité extrême ?
Un conseil, cet été, relisez Le Sel sur la plaie et La Chasse du matin. Le cinéma serait bien inspiré de se pencher sur ces romans d’apprentissage, on leur garantit ici un carton plein au box-office. En 1993, Jérôme Garcin avait publié son plaidoyer « Pour Jean Prévost » afin de sortir cet écrivain précieux des ornières officielles, des marécages académiques. L’érudit Emmanuel Bluteau continue en 2014 cet indispensable travail de (re)connaissance aux Editions La Thébaïde. En ressortant L’Affaire Berthet  qui avait paru une première fois dans Paris-Soir du 10 janvier au 12 février 1942, l’éditeur nous fait entrer dans les arcanes de la création stendhalienne. Il a compilé le texte de Prévost, le compte-rendu du procès par La Gazette des Tribunaux et même en annexes : la Déclaration de Berthet, l’Arrêt de condamnation, le procès-verbal d’exécution et le Recours en grâce.

Les stendhaliens seront aux anges. L’Affaire Berthet est ce fait divers célèbre qui aurait inspiré Le Rouge et le Noir. Les littérateurs se battent encore sur ce sujet. Le procès aux Assises d’Isère en 1827 de cet ex-séminariste souffreteux devenu précepteur pour les enfants des Michoud de la Tour à Brangues donne lieu à un exercice de reconstruction captivant. Il n’est pas nécessaire d’avoir lu Le Rouge et le Noir pour apprécier l’implacable chute d’Antonin Berthet, « grand frère » de Julien Sorel. « Ces grands yeux roux, ces yeux de bête sauvage, qui semblent plus brûlants dans cette pâle figure » ne pouvaient qu’envoûter Madame Michoud.

A mi-chemin entre le récit historique et la fiction pure, Jean Prévost se glisse magistralement dans l’œuvre de Stendhal.

        

L’Affaire Berthet, Jean Prévost – Préface de Philippe Berthier – Textes réunis par Emmanuel Bluteau – Editions La Thébaïde.

*Photo : wikipedia.



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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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