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Gaza : la rue arabe anesthésiée par ses convulsions


Gaza : la rue arabe anesthésiée par ses convulsions

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Dans l’imaginaire collectif, une vague – surtout lorsqu’on la dit « révolutionnaire » – est censée tout emporter sur son passage et fondre dans un même rouleau les éléments contre lesquels elle a buté. Transposée dans le domaine politique arabe, cette imagerie naturaliste suggère la possible dissolution de toutes les contradictions existantes dans l’internationalisme démocratique propalestinien[1. Tel était le schéma révolutionnaire auquel le palestinien Georges Habache consacra sa vie et son énergie au sein du Front Populaire de Libération de la Palestine. Aujourd’hui, cette chimère ne survit plus que dans les communiqués du FPLP que plus personne ne lit.].

Depuis une huitaine de jours, l’opération israélienne à Gaza laisse pourtant la « rue arabe » de marbre, si l’on excepte les quelques réactions d’indignation pavlovienne de rigueur, à l’image des quelques centaines de manifestants égarés place Tahrir au Caire. De Tunis à Amman, il semblerait que les peuples arabes aient d’autres chats à fouetter, la cause palestinienne n’étant plus qu’une rhétorique de façade dont l’usage lacrymal ne suffit plus à fédérer des nations fracturées. L’explosion révolutionnaire déclenchée en décembre 2010 à Sidi Bouzid a immolé l’illusion nationale arabe : hormis la Tunisie et l’Egypte, qui doivent par ailleurs gérer la question islamiste et l’avènement du pluralisme, qui peut aujourd’hui encore se targuer d’un idéal national solide ? Le mythe nationaliste panarabe syrien s’est heurté à la fragmentation de la société entre kurdes, sunnites, alaouites, chrétiens, druzes, jamais aussi flagrante qu’en période de guerre civile. Quant à la concorde islamo-nationaliste entre sunnites et chiites, demandons aux gouvernants du Yémen, du Bahreïn, de l’Iraq ce qu’ils pensent de cet autre mythe usé par l’éruption révolutionnaire.

Même dans le cas palestinien, la vindicte contre l’Etat hébreu ne fait plus l’unanimité. Naguère consensuel, ce cache-sexe des divisions arabes illustre le divorce entre les intérêts stratégiques de l’Iran et ceux de ses adversaires sunnites, que les observateurs arabes ne craignent plus de souligner Ainsi, Tariq al-Hamid, l’éditorialiste du quotidien londonien en arabe Acharq al-Awsat a vivement attaqué la surenchère verbale à laquelle se livre le secrétaire général du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, dans des diatribes anti-israéliennes qui visent autant à défendre l’axe Damas-Téhéran qu’à rassembler la rue arabe sous son panache chiite. En tirant à boulets rouges sur seyyed Hassan, le journaliste décrit le grand jeu du Parti de Dieu dans la région : convoyage d’armes à travers le Soudan, assistance militaire au régime syrien, collaboration étroite avec les Gardiens de la Révolution iranien et pilonnage systématique des régimes arabes sunnites qui lui sont opposés, comme l’Arabie Saoudite, le Qatar et l’Egypte des Frères Musulmans.

Bien que les tirs de missiles de Gaza sur Israël soient le fait du Hamas, d’aucuns voient là aussi la main iranienne. Malgré la rupture officielle des relations diplomatiques entre le Hamas et Téhéran, intervenue au faîte de la crise syrienne, tout indique en effet que l’état-major iranien équipe massivement les lanceurs de missiles gazaouis en engins Fajr 5 pouvant atteindre Tel Aviv, Jérusalem et toutes les localités israéliennes à 75km à la ronde. Jusqu’à ces derniers mois, l’entraînement et le financement des Brigades Ezzedine al Qassem d’ Ahmed Jaabari, récemment exécuté par Tsahal, était également le fait de Téhéran; et les services israéliens croient de plus en plus dans la pérennité de l’alliance irano-gazaouie, par delà les bourrasques de la crise syrienne.

Que déduire de ces rivalités exacerbées ? La guerre de puissance interarabe a vraisemblablement eu raison d’un mythe éculé : la-solidarité-avec-nos-frères-palestiniens-morts-en-martyrs. Entre le risque de désespérer « Al-Qods » et leur agenda interne, les nouveaux dirigeants arabes ont sans doute choisi.

*Photo : Caricature syrienne représentant l’émir du Qatar et le secrétaire général de la Ligue arabe sous la bannière « Ligue des brebis arabes ».



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