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François, pape popu ?


François, pape popu ?

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« Je vois l’Église comme un hôpital de campagne après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave s’il a du cholestérol et un taux de sucre trop haut! Nous devons soigner les blessures. Ensuite nous pourrons parler de tout le reste. Soigner les blessures, soigner les blessures…»Telle est la vision de l’Eglise que le pape François a livrée dans un long entretien accordé aux revues cultuelles jésuites.

Dans cette longue interview d’une trentaine de pages, inutile de chercher une critique des dogmes, un plaidoyer pour la capote, une défense du mariage des prêtres ou autres progressismes. Non, François ne remet en cause, ni la structure, ni les principes de l’Eglise. Il remet simplement les pendules à l’heure. La partition est la même mais le ton a changé. Alors que Benoit XVI, théologien émérite et intransigeant avait consolidé les bases d’une Eglise mise en minorité en Occident, plus petite mais plus « pure », son successeur propose une vision plus inclusive, plus « catholique » (au sens d’universel) de la maison de Dieu. « L’Eglise est la maison de tous, et pas une petite chapelle qui ne peut contenir qu’un petit groupe de gens sélectionnés. »

« Il faut commencer par le bas », insiste celui qui a débuté son pontificat en lavant les pieds de prisonniers.  François met ainsi le doigt sur le problème majeur du catholicisme en Europe devenu une religion puritaine et bourgeoise, réservée à une élite de « bonnes familles », hypocrite,  car elle prône une morale sexuelle inapplicable, et mandarinale, car elle ne s’appuie plus sur la ferveur populaire.

Or, selon le pontife, l’Eglise est devenu « obsédée » par l’avortement, le mariage gay et la contraception. Lui a préféré ne pas en parler (ce qui lui a été reproché par les gens bien intentionnés). Car selon lui l’urgence est ailleurs, et l’Eglise ne doit pas faire la morale mais « soigner les blessures ».

En effet, l’erreur de l’Eglise a été de mettre l’accent depuis le XIXème siècle, où le catholicisme est devenu en Europe une religion de classe, sur le scandale des mœurs, plutôt que sur celui de la pauvreté, sur la morale sexuelle plutôt que sur l’amour du prochain. Léon Bloy dénonçait déjà ce malentendu : « C’est une ressource vraiment admirable que la chasteté! L’éducation catholique moderne, demeurée fidèle à des traditions deux fois séculaires, enseigne imperturbablement que le plus énorme de tous les forfaits est l’impureté des sens….Sans doute les rigueurs du ciel doivent s’exercer sur les menteurs ou les paresseux, mais elles doivent triplement sévir contre les cœurs lascifs et les reins coupables[…]Enfin, il est tout à fait permis d’être sans amour quand on est sans libertinage[1. Léon Bloy, dans Un brelan d’excommuniés, faisait ce constat à propos du rejet par le milieu littéraire catholique de Barbey d’Aurevilly, jugé trop sulfureux.]»

Le dogme avant l’amour. La forme avant le fond. L’orthodoxie avant la foi. Tel est le problème fondamental de l’Eglise, que dénonçait déjà Saint François en son temps. Attention, ne me faites pas dire que le dogme n’est pas important, et qu’on peut se construire une religion à la carte, une sorte de déisme humanisto-bisounours sans contraintes.  Il faut simplement ne jamais perdre de vue cette révélation donnée par le Christ : « le sabbat a été fait pour l’homme, non pas l’homme pour le sabbat ».

Car comme l’a audacieusement twitté François : «  La vraie charité demande un peu de courage : dépassons la peur de nous salir les mains pour aider les plus nécessiteux », fustigeant ainsi, à l’instar de Péguy ceux qui « ont les mains pures mais qui n’ont pas de mains ». Il ne suffit pas de se conformer comme un vulgaire pharisien aux injonctions formelles du catéchisme pour être un vrai chrétien. Le vrai chrétien est celui qui, a l’instar du curé de Graham Greene dans La puissance et la Gloire, est prêt à se damner pour le salut de son prochain.

L’Eglise n’est pas là pour juger (« Qui suis-je pour juger ? » a humblement avoué Bergoglio quand on l’a interrogé sur l’homosexualité) mais pour soigner, pas là pour condamner, mais pour accompagner, pas là pour sanctionner, mais pour pardonner. Dans des sociétés libérales où les individus sont de plus en plus déracinés, son rôle est de promouvoir le lien entre les personnes et l’amour du prochain, soit un rôle éminemment social. C’est en ce sens que le pape, qui a choisit pour nom celui du petit frère des pauvres, a mis l’accent depuis le début de son pontificat sur les pauvres, les opprimés, les marginaux, les prisonniers, les réfugiés, et même, oh scandale, les immigrés.

Voilà le vrai programme de l’Eglise. Au XXI siècle, siècle religieux selon l’aphorisme (apocryphe) de Malraux, l’Eglise aura un rôle essentiel : celui de défendre le spirituel contre le paradigme de l’homo economicus, le lien social contre la folie de l’individualisme. Plutôt que de s’enfermer dans la seule défense d’une morale sexuelle surannée (ce qui ne l’empêche pas de rester un idéal honorable), elle devra élargir l’écologie humaine en une troisième voie qui fasse barrage au capitalisme mondialisé et à la société de consommation.

Le pape François pourrait être l’instrument de la révolution qu’appelait de ses vœux Pasolini : « ce que l’Eglise devrait faire pour éviter une fin sans gloire est donc bien clair : elle devrait passer à l’opposition […]l’Eglise pourrait être le guide, grandiose mais non autoritaire, de tous ceux qui refusent le nouveau pouvoir de la consommation, qui est complètement irréligieux, totalitaire, violent, faussement tolérant et même, plus répressif que jamais, corrupteur, dégradant. [2. Pier Paolo Pasolini, « Le petit discours historique de Castelgandolfo », 22 septembre 1974, in : Ecrits corsaires

Dans le champ de bataille qu’est la mondialisation, l’Eglise n’a d’autre choix que d’endosser ce rôle d’hôpital de campagne pour damnés de la terre, et de lutter contre le « Capital qui transforme la dignité en marchandise d’échange[3. Ibid]».

C’est sans doute ce qu’a voulu dire François quand il a osé avouer : « je n’ai jamais été de droite ». La vérité nous rend libre, même si elle donne des boutons aux bigotes réacs et autres maurrassiens honteux qui pensent détenir la vraie foi.

 *Photo : Catholic Church England and Wales 



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Journaliste au Figaro, elle participe au lancement de la revue Limite et intervient régulièrement comme chroniqueuse éditorialiste sur CNews.

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