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La France maniaco-dépressive


La France maniaco-dépressive

Contrairement à ce que pense notre confrère Marianne,ce n’est pas Lui, mais nous qui souffrons de troubles mentaux. Car l’enthousiasme soulevé hier par la victoire de Sarkozy était aussi démesuré que l’est aujourd’hui son désaveu généralisé. Le désenchantement actuel suppose un enchantement, performance dont on croyait la politique incapable depuis la fin des idéologies. Si, comme on a coutume de le dire, les Français sont de plus en plus méfiants vis-à-vis de la politique, s’ils la croient de moins en moins capable d’agir sur la réalité et, en conséquence, d’être porteuse d’espoir, pourquoi espèrent-ils encore après chaque élection et pourquoi sombrent-ils si vite dans l’amertume ?

Peut-on sérieusement espérer qu’en six mois et par la seule grâce d’un nouveau pouvoir élyséen, les salaires augmenteront aussi rapidement que les prix chuteront ? Et si quelqu’un arrive à nous le faire avaler, notre crédulité nous absoudra-t-elle de toute culpabilité ? La politique menée par l’actuel gouvernement est peut-être bel et bien erronée mais en attendre des résultats avec autant d’impatience pour, au bout de quelque mois, en stigmatiser l’échec absolu ne peut qu’engendrer et alimenter la frustration et le ressentiment. Une fois de plus, on s’est foutu de nous !

Nous voulons du sens, pas seulement des indices et des courbes – tel est le souhait que semblait exprimer l’électorat français pendant la campagne présidentielle. Eh bien, nous l’avons eue, cette politique. Une personne sensée pouvait-elle croire qu’on peut générer « du sens » sans se heurter aux plus vives résistances, sans soulever de tempête ? Par quel miracle un homme pourrait-il proposer « du sens » et être immédiatement applaudi par tout le monde ? Nous avons appelé de nos vœux un chef politique qui apporte du « sens » et nous n’attendons pas six mois pour le lui renvoyer au visage. « Touche pas à ma laïcité », « politique de civilisation ? un ridicule plagiat ! » Pourtant je crois me souvenir qu’il y une année à peine les citoyens de ce pays – et ceux qui étaient tentés par le Ségolénisme aussi – voulaient justement que leur prochain président « touche » à ces sujets.

La politique, paraît-il, a remplacé en France la religion – elle est désormais l’unique dépositaire des lendemains qui chantent. Raison pour laquelle on continue de faire de la politique religieusement, Marcel Gauchet a dit l’essentiel sur la question. La révolution ou rien, voilà ce que semble vouloir le Français, « gauche » et « droite » confondues.

Chaque camp, chaque clan, rêve d’une intervention spectaculaire, rapide et émouvante qui change tout : le plein emploi, des émissions culturelles en prime time sur chaque chaîne, de même que l’expulsion de tous les immigrés ou la fermeture des centrales nucléaires, le redressement des compte de la Sécu, le respect des personnes âgées. Comment définir ce genre d’événements révolutionnaires, sinon comme des miracles laïques ?

Ce « révolutionnisme » ne peut que créer des attentes irréalistes et des faux espoirs qui conduisent à une inéluctable déception. Ce cycle infernal de l’émotion est une mine inépuisable pour des médias qui prospèrent sur l’affect. Au cycle politico-psychologique euphorie-déception correspond le cycle médiatique admiration-détrestation-victimisation (pour Sarkozy, la troisième phase n’a pas encore commencé). Tout cela n’a pas grand-chose à voir avec la politique, entendue comme l’affrontement de projets, et beaucoup à voir avec l’hystérie. Alors, qui donc est le fou ?



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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