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La bonne chère, c’est souvent cher


La bonne chère, c’est souvent cher

dessin groin caviar

C’est dur à affirmer autant qu’à avaler, mais inutile de tourner autour du pot : tant que les pauvres s’obstineront à vouloir manger comme les riches, ils boufferont de la merde. Autrement (et poliment) dit, tant que des gens à revenus modestes continueront à croire qu’ils peuvent accéder à des aliments de luxe vendus à bas prix, ils se feront refiler des produits indignes. De luxe ? Oui, le même intitulé figure sur l’étiquette d’un produit vendu 15 euros le kilo chez Auchan et 150 euros le kilo chez Fauchon. L’agro-alimentaire ayant un jour décidé de tout reproduire à échelle industrielle, la grande distribution déverse chaque année des centaines de milliers de tonnes d’infâmes foies gras et d’immondes saumons fumés dans les chariots des chalands venus s’offrir un peu de rêve pour le réveillon ou l’anniversaire. La législation alimentaire ne se souciant que de l’hygiénique et du biologique, et la Commission européenne persistant à ne pas exiger la traçabilité des « produits transformés », le lobby de la malbouffe peut dire, en toute sérénité : « Ceci est du foie gras » et « Cela est du saumon fumé ».[access capability= »lire_inedits »]

Seulement voilà, dans l’alimentaire comme dans l’automobile, le vêtement ou l’immobilier, la qualité se paye. Et la très belle qualité encore plus. Si un concessionnaire vendait une Mercedes Classe C neuve pour 18 576 euros, alors que le tarif catalogue indique 47 880 euros, en précisant « freinage non garanti » ou « suspension défectueuse », ça ne passerait pas. Une veste Chanel sortant de l’atelier à 1950 euros, avec une doublure en polyamide et des boutons en plastique, alors que le tarif officiel est de 4900 euros, ça n’existe pas. Un studio sur la promenade des Anglais, à Nice, pour 65 000 euros non plus – sauf s’il n’y a ni eau, ni électricité, ni fenêtres… ni murs. On ne manquerait pas, dans les cas absurdes précités, d’enregistrer plaintes et poursuites.

Eh bien, dans la bouffe, ça existe, et c’est même la norme, puisque les mots « foie gras » et « saumon »  sont écrits en gros caractères sur la boîte de conserve et le paquet. Grâce aux progrès du maquillage alimentaire, Leclerc et Carrefour permettent aux gueux de souper comme des princes… Produit dans des conditions abjectes, ledit foie gras provient de gigantesques élevages de canards chinois, et le prétendu saumon fumé de fermes aquacoles norvégiennes où les poissons, entassés par dizaines de milliers, sont gavés d’antibiotiques pour enrayer les risques sanitaires liés à cette promiscuité. Pendant ce temps, la publicité et les médias se sont emparés du temps de cerveau disponible du consommateur pour le convaincre que, s’il ne célèbre pas Noël au foie gras et le Nouvel An au saumon fumé, il est le dernier des ringards.

Peu importent le goût, l’odeur, la texture, la couleur, l’origine. L’important, c’est d’acheter et de servir le produit sacré, sans savoir, surtout, quelle graisse, quel conservateur, quel arôme ou colorant artificiel seront ingurgités par les convives. Telle est la loi du marché. Et tentez de dire  au smicard et au RMIste : « Ne te fais pas avoir, régale- toi avec une vraie terrine à l’ancienne ou un pâté de campagne à 12 euros préparé dans les règles de l’art par un vrai artisan-charcutier et laisse tomber le foie gras industriel qui t’exploite, ruine ton emploi, voire délocalise ta boîte et t’empoisonne ! » Vous passerez  pour un horrible rabat-joie soucieux de préserver sa prébende gastronomique.  Le courage, alors, c’est de dire que la malbouffe n’est pas inéluctable et que ceux d’en bas ont le droit de s’indigner de ce qu’il y a dans leur assiette. « Salauds de pauvres ! », arrêtez d’enrichir ceux qui vous crachent à la gueule ![/access]

*Photo: Soleil.

Février 2014 #10

Article extrait du Magazine Causeur



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