Barrer la route du pouvoir au FN ?


Barrer la route du pouvoir au FN ?

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Manuel Valls a raison. Marine Le Pen est aux portes du pouvoir. Plus exactement, ses chances de conquérir l’Elysée en mai 2017 ne sont pas nulles, et seraient même très sérieuses si l’élection présidentielle se présentait sous la forme d’un match retour de celle de 2012, avec François Hollande et Nicolas Sarkozy comme champions respectifs de la gauche et de la droite dites « de  gouvernement ». Comme la présence de Marine Le Pen au second tour peut être considérée comme d’ores et déjà acquise, il faudrait pour que le candidat « républicain » resté en course l’emporte, que les électeurs de l’autre camp se mobilisent massivement pour faire échec à la candidate du FN. Qui peut sérieusement penser que les électeurs de gauche se précipiteraient pour mettre un bulletin «  Sarko » dans l’urne, ou , qu’à l’inverse, les partisans et sympathisants de l’UMP se mobiliseraient avec enthousiasme pour renouveler le bail de François Hollande à l’Elysée ? Marine Le Pen apparaîtrait alors comme seule porteuse du changement politique et générationnel auquel une majorité de Français aspire. Et pourtant, on voit mal comment on pourrait échapper à cette configuration.

À droite, Nicolas Sarkozy va engranger les inévitables succès électoraux des scrutins départementaux et régionaux de 2015, faisant émerger une cohorte de nouveaux élus locaux qui se sentiront redevables envers lui de leur élection, et assureront son succès dans la primaire de la droite. À gauche, la tactique Hollande-Valls est transparente : la Berezina départementale sera mise sur le compte de la division de la gauche au premier tour, qui aura provoqué son élimination dans un nombre considérable de cantons. Les écolos et le Front de gauche seront alors invités à rentrer dans le rang à l’occasion des élections régionales, où le scrutin proportionnel permet des petits arrangements entre amis au second pour sauver ce qui peut encore l’être. Menacés de disparition des assemblées locales, les Verts et les amis de Jean-Luc Mélenchon n’auront d’autre choix que de passer des accords avec les sociaux-libéraux pour survivre. Nicolas Sarkozy  et François Hollande apparaîtront alors comme les  seuls capables de rassembler leur camp pour l’échéance majeure de 2017.

Cela s’appelle, en bon français, foncer dans le mur en klaxonnant. Quelle crédibilité aurait un rabibochage gouvernemental entre Manuel Valls et des écolos avides de portefeuilles ministériels sous la houlette d’un Hollande repeint en vert pâle ? Qui pourra empêcher Jean-Luc Mélenchon de défendre sa vision du monde poutino-bolivarienne lors de l’élection présidentielle ? A droite, il faudrait que Nicolas Sarkozy fasse preuve d’un esprit de sacrifice hors du commun pour qu’il s’efface devant un Alain Juppé plus apte que lui à capter les voix de gauche au second tour.

Le tripartisme, fondé sur la permanence électorale de trois blocs d’importance à peu près égale (environ 30% des votants pour chacun d’entre eux) s’est réinstallé en France, après avoir été balayé par l’instauration de la Vème République, et celle du scrutin majoritaire à deux tours. Ce bipartisme forcé est arrivé à épuisement, mais il a effacé des mémoires le fait  que la France, entre 1947 et 1958, avait su s’accommoder de la présence massive d’un parti « hors système », le Parti communiste français, à tous les étages de ses institutions, sauf le pouvoir exécutif national. Ce parti était, par son programme, encore plus en rupture avec ses concurrents conservateurs ou socialistes (version SFIO) que celui du FN ne l’est avec celui de «  l’UMPS ». Qui se souvient encore que Maurice Thorez, le chef du PCF défendait, au cœur des « Trente glorieuses », la théorie aberrante de la paupérisation absolue du prolétariat dans les pays capitalistes ? Que des scientifiques communistes français, comme Jacques Monod et Marcel Prenant, mettant en doute la pertinence des « découvertes » du biologiste soviétique Trofim Denissovitch Lyssenko sur l’hérédité des caractères acquis, censées révolutionner l’agriculture, étaient mis au ban du Parti ? Que Guy Mollet, le chef de la SFIO, pour une fois pertinent, avait proclamé que « les communistes n’étaient pas à gauche, mais à l’Est ! » ? Qu’enfin Pierre Mendès-France, icône de la gauche française, avait refusé, lors de son investiture comme président du Conseil en 1954, de prendre en compte les voix des députés communistes s’étant portées sur lui à l’Assemblée nationale ?

Pendant une décennie, la République s’est accommodée, sans trop de dommages, de l’existence d’un puissant parti totalitaire au cœur des institutions, dont la lente agonie est en train de s’achever aujourd’hui. S’il avait été maintenu, par l’artifice d’un mode de scrutin conçu pour le tenir à l’écart, hors du système de la démocratie représentative, le risque aurait été grand, dans un contexte géopolitique de guerre froide, de voir notre pays  livré à la guerre civile…

Si l’on écoute les leaders politiques aujourd’hui – et si on essaye de les croire -, ni l’UMP, ni a fortiori le PS et ses satellites n’envisagent un accord de gouvernement, ou même de gestion des exécutifs locaux avec le FN. Ce parti est arrivé à un niveau de puissance électorale tel que toute alliance de ce type serait mortelle pour qui y céderait. Seul le système institutionnel de la Ve République avec ses deux piliers, l’élection du président au suffrage universel, suivie de l’élection des députés au scrutin majoritaire à deux tours peut permettre à un parti «  hors système » de s’emparer des leviers du pouvoir central, pour autant qu’il ait acquis une masse électorale critique. Une victoire de Marine Le Pen en mai 2017 induirait inéluctablement une majorité FN à l’Assemblée, car on n’a jamais vu les électeurs se déjuger en l’espace d’un mois… Est-ce cela que l’on veut ? Si oui, il faut continuer à préférer le lancement d’anathèmes, toujours moins efficaces, contre le FN et ses dirigeants, de se déchirer à tous propos entre la droite et la gauche, même lorsque l’on est, en fait, d’accord sur des projets (voir la loi Macron), au lieu de faire ce qu’il faut pour circonscrire démocratiquement un danger politique.

Si François Hollande était un visionnaire, ou, à tout le moins, un homme qui aurait tiré les leçons de l’Histoire, il cesserait de bricoler ces rafistolages politiciens où il excelle, alors que la maison France se fissure. Il oserait. Par exemple, après les départementales et les régionales dont l’issue est, hélas, déjà connue, soumettre à référendum le retour au scrutin proportionnel pour l’élection des députés. Il ne s’agirait pas d’une manœuvre retorse, comme celle utilisée en 1986 par François Mitterrand, introduisant la proportionnelle en douce afin de limiter la débâcle du PS aux législatives et créer, ensuite, les conditions de sa réélection en 1988. Il ferait sanctionner par le suffrage populaire un aggorniamento du système politique français permettant de se libérer des vieux schémas (clivage droite-gauche à tout propos et hors de propos) pour mettre au cœur du débat les vraies questions de l’heure : souverainisme versus fédéralisme européen, contrôle strict de l’immigration versus frontières ouvertes, utopie décroissante ou poursuite de l’aventure humaine fondée sur les progrès de la science et de la technologie…

Ce référendum ne pourrait logiquement être perdu : ce retour à la proportionnelle est d’ores et déjà réclamé par le FN, les Verts, la gauche radicale, François Bayrou. Seuls les gaullistes de stricte obédience, les vestales de la Vème République, s’y opposeraient, alors que les socialistes ne pourraient que s’y rallier, par réalisme politique. Il ne lui resterait plus qu’à dissoudre la Chambre, en faire élire une autre avec le nouveau mode de scrutin, et à confier la formation du gouvernement au chef du parti le plus apte à constituer une majorité de gouvernement pour la dernière année du quinquennat…On verrait alors que cent cinquante députés FN dans l’hémicycle seraient moins à même de déstabiliser notre pays que le maintien de 30% de l’électorat hors du jeu démocratique.

*Photo : wikicommons.



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