Les Femen s’invitent chez les salafistes


Les Femen s’invitent chez les salafistes

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« Personne ne me soumet ! Personne ne me possède ! Je suis mon propre prophète ! » Samedi dernier, deux Femen se sont invitées au Salon musulman de Pontoise (Val d’Oise) consacré au thème de « la femme musulmane ». Le cri de guerre des deux militantes féministes a des airs de credo post-Houellebecq, auteur qui imaginait, dans son dernier roman Soumission, une France dirigée par le Parti de la Fraternité musulmane, renvoyant les femmes au foyer et au voile avec l’assentiment intéressé des élites intellectuelles et politiques. Il n’est pas sûr que les choses se passeraient aussi facilement que l’imagine Houellebecq dans son ouvrage, avaient souligné quelques critiques à sa sortie, tout simplement parce que les femmes ne l’entendraient certainement pas de cette oreille. Militantes féministes largement décriées en raison de leurs coups d’éclats provocateurs et très médiatisés, dont des actes de vandalisme à Notre-Dame, les Femen ont tenu visiblement à démontrer à l’occasion du Salon musulman de Pontoise (12-13 septembre 2015) que cela ne se passerait pas comme ça.

Quoi qu’on puisse penser des Femen, reconnaissons qu’elles ont un certain génie pour mettre de manière spectaculaire les pieds dans le plat avec des actions très calibrées et extrêmement ciblées. Et à l’heure où  les gardiens de la laïcité larmoient et ânonnent dans le vide des discours aussi creux qu’hypocrites, l’irruption des Femen, aussi grotesque et vulgaire soit-elle, frappe ici par sa vigueur et sa pugnacité. L’organisation du Salon musulman de Pontoise avait déjà soulevé de larges critiques de la part des associations de défense de la laïcité, d’associations féministes qui avaient déposé une pétition sur le site Change.org et de Karim Ouchikh, élu à Gonesse sous la bannière du Rassemblement Bleu Marine (RBM) qui avaient demandé l’interdiction de la tenue du salon, en raison de la présence d’un espace réservé aux femmes entièrement interdit aux hommes.

L’affaire du Salon musulman ne date en effet pas d’hier : le « premier salon dédié à la femme musulmane » devait initialement se tenir les 21 et 22 mars 2015 et avait déjà été reporté aux 12 et 13 septembre. La société organisatrice de l’événement, Isla Events, créée en 2012 et basée à Osny (95), avait déjà annoncé la tenue d’un salon musulman sur la petite enfance en mars 2013, et un second sur la femme musulmane à l’hiver 2013, tous deux reportés à une date indéterminée. Le blog Al-Kanz, spécialisé dans l’information à destination des consommateurs musulmans, présentait en 2013 Isla Events, société dirigée par Farouk Benzerroug, de la manière suivante : « Première société à se positionner en tant que telle, la société Isla Events investit un terrain vierge et particulièrement porteur. Le marché des consommateurs musulmans devrait exploser dans les années à venir. On imagine bien d’autres salons sur des thématiques très ciblées. »

L’intervention des Femen samedi a mis en lumière l’événement d’une manière peu flatteuse pour les organisateurs, les deux jeunes femmes dissimulées sous des djellabas surgissant dépoitraillées en plein milieu d’un débat sur les relations conjugales qui semblait fort peu progressiste puisqu’il a été rapporté tout d’abord que les deux conférenciers, sous le nez desquels les deux militantes sont venues agiter leurs attributs impurs, étaient en train de disserter calmement de la nécessité pour un bon musulman de battre sa femme. Faux, a répondu le site d’information Buzzfeed, qui conteste la version donnée par les Femen et avance que l’un des deux intervenants, Mehdi Kabir, était au contraire en train de demander aux musulmans de suivre le modèle de Mahomet « qui ne tapait pas sa femme » et « ne se faisait pas servir ». Nous voilà rassurés car le CV des deux conférenciers qui dissertaient sur « la valorisation de la femme dans l’islam » pouvait en effet inquiéter quelque peu : Mehdi Kébir, prédicateur à la mosquée de Villetaneuse, et Nader Abou Anas, imam à Bobigny, ne se sont pas vraiment fait connaître par des prêches très favorables à la libération de la femme musulmane, le premier fustigeant les femmes « non voilées et fornicatrices », et le second invitant l’épouse à se soumettre aux élans de son mari selon ses désirs, sous peine d’être « maudite par les anges toute la nuit ».

Si l’organisateur, Farouk Benzerroug, a affirmé qu’aucune diatribe aussi violente n’avait émaillé les discussions du salon, la participation à l’événement de prédicateurs aux prêches par ailleurs très radicaux repose la question du double discours tenu par un certain nombre de personnalités religieuses. Y-a-t-il un langage plus policé qui sied au « marché des consommateurs musulmans » et un autre qui convient mieux aux fidèles dans des circonstances un peu moins médiatiques ? Il est en tout cas assez intéressant de voir les Femen se trouver soudain propulsées sur le même terrain que le Front national au nom de la défense de la laïcité et de la lutte contre les discriminations et la misogynie. Au-delà des inévitables contradictions soulevées, l’événement rappelle que la question de l’Islam en France nous replonge dans un débat très ancien, que les problématiques migratoires ont fait resurgir depuis une trentaine d’années avec une actualité de plus en plus brûlante : celle de la délimitation entre la sphère privée et la sphère religieuse, question sur laquelle l’islam de France paraît un peu schizophrène.

Mais ce qui reste le plus frappant dans l’affaire est le silence presque complet des grands médias. Alors que les Femen ont d’habitude le don d’attirer les caméras partout où elles passent, leur action semble cette fois provoquer une certaine gêne du côté des professionnels de l’information et des élus de la république, avares de commentaires sur la manière dont l’offensive du sourire de prédicateurs fondamentalistes a été contrecarrée par les Femen à Pontoise. Edgar Quinet écrivait en 1846, dans Le Christianisme et la Révolution : « Seule des nations modernes, la France a fait une révolution politique et sociale avant d’avoir consommé sa révolution religieuse ». Il constaterait peut-être aujourd’hui que la question religieuse s’est quelque peu déplacée. L’intrication contemporaine entre les atermoiements d’une République qui doute de sa propre identité et les déchirements identitaires d’un islam taraudé par le fondamentalisme paraît chaque jour rouvrir le débat de manière un peu plus menaçante.

*Photo: Capucine Henry. Femen France.



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