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Faurecia, une polémique qui ne vous grandit pas


Faurecia, une polémique qui ne vous grandit pas
La taille du président : un enjeu politique ?
La taille du président : un enjeu politique ?
La taille du président : un enjeu politique ?

Ah la bonne histoire ! Après les vrais-faux clients d’hypermarché conviés à accueillir spontanément Luc Chatel, les salariés de petite taille convoqués pour ne pas faire de l’ombre au président. Tous mes confrères se sont jetés avec gourmandise sur cette affaire d’Etat sur laquelle Google Actualités proposait au bout de 24 heures 283 articles allant tous dans le même sens (en vrai, je ne les ai pas tous lus, mais dans mon échantillon représentatif, il n’y avait pas de voix discordante). Je vous livre celui de Marianne2, parce que ce sont des copains et que, pour cette raison, c’est d’abord à eux que j’ai envie de dire : pas ça, pas vous ! Oui pour la critique politique, même féroce, et au besoin assaisonnée d’un zeste de mauvaise foi idéologique. Passe encore que vous fassiez semblant de croire que le bouclier fiscal suffit à qualifier, résumer et condamner le sarkozysme tout entier. Entièrement d’accord avec vous pour tirer à boulets rouges sur la politique de l’Education nationale et sur l’anti-intellectualisme déprimant qui perce parfois dans les propos présidentiels. Mais que vous cédiez au complotisme ricaneur qui est la marque de fabrique du journalisme faussement subversif, que vous adhériez à la sarkophobie bête et méchante qui tient lieu de pensée aux mutins de Panurge, bref que vous chassiez en meute vous aussi, voilà qui me désole.

Ecoutez avec une oreille un peu moins prête à approuver le confrère de la RTBF interrogé par notre grande amie Pascale Clarke sur France Inter. Allez-vous, vous aussi, vous faire embobiner par ses airs de héros en veste à poche, de baroudeur solitaire et incorruptible, qui ne voyage pas, lui, dans la caravane présidentielle ? Pour ceux qui n’ont pas saisi le message, en France, les journalistes sont aux ordres, la preuve c’est que tous les médias se sont fendus d’un sujet hier. Il est un peu étrange que l’on nous explique dans la même phrase que les journalistes sont muselés et qu’ils résistent, mais cela doit signifier que les muselés ce sont les autres.

Revenons sur ce reportage. Si un conseiller à l’Elysée a ordonné que pas une tête ne dépasse, il faut immédiatement le renvoyer, parce qu’il s’agirait d’une initiative non seulement stupide mais aussi fort mal exécutée. Le reportage montre en effet, non pas face au président mais derrière lui, ce qui est encore plus voyant, ses agents de sécurité et quelques-uns de ses ministres qui ont une ou deux bonnes têtes de plus que lui. Puis on entend le journaliste poser une question pas du tout fermée : « Avez-vous été choisie en fonction de votre taille ? » On imagine qu’il n’a pas eu la bonne réponse du premier coup, mais il se trouve effectivement une dame pour expliquer qu’elle a été choisie en raison de sa petite taille (au fait, moi je veux bien des places au premier rang de la tribune présidentielle pour le prochain défilé du 14 Juillet).

Il est curieux qu’une profession qui a fait du soupçon systématique de toute parole le synonyme de déontologie prenne celle-ci pour argent comptant au prétexte qu’elle n’a pas été prononcée par un puissant mais par un « vrai gens ». Bien sûr, rien ne permet d’exclure que cette dame dise la vérité. Rien ne permet non plus d’avoir la certitude que ses propos ne lui ont pas été soufflés ou, tout simplement, qu’elle n’a pas saisi là l’occasion d’avoir son quart d’heure de célébrité. Mais comme ce témoignage s’insérait parfaitement dans l’histoire que vous adorez raconter, vous ne vous êtes pas trop posé de questions. Vous aviez envie d’y croire. Et c’est plus grave à mon avis que d’y avoir cru sans preuve – à moins évidemment que le témoignage d’un syndicaliste recueilli par Rue 89 en soit une. « Je peux vous assurer que nous avons la certitude, de source sûre et fiable, que cette exigence n’est pas sortie de la tête d’un responsable de Faurecia et qu’il s’agit bien d’une requête venant de l’Elysée », a-t-il déclaré. Mais Henri Guaino, cher Philippe Cohen, nous a fait cette réponse : « Nous ne sommes pas assez bêtes pour faire ce genre de choses, de toute façon ça se sait toujours et ça nous retombe dessus. » Sauf à considérer que l’Elysée est peuplé par une bande de crétins, l’argument mérite au moins d’être entendu. Seulement, à vous, on ne vous la fait pas. Guaino défend le président, c’est son job. Et le syndicaliste, il ne défend rien, vous croyez ?

Supposons cependant qu’un conseiller zélé ait réellement monté l’opération « des petits pour Sarkozy et que cet épisode grotesque recèle une part de vérité. Cela ne m’explique pas pourquoi cette affaire vous semble si délectable et ce qu’elle prouve à vos yeux. Bien sûr, vous ne mangez pas de n’importe quel pain, votre genre c’est l’analyse, pas l’anathème. Ce qui vous importe dans cette affaire c’est exclusivement ce qu’elle révèle de la communication présidentielle. S’il s’agit de nous annoncer que les voyages des personnalités sont des mises en scène destinées aux caméras, franchement, la révélation est un peu faisandée. Je vous accorde que tout cela manque autant de spontanéité et d’authenticité que la visite d’Obama sur les plages du débarquement (qui n’a pas, si ma mémoire est exacte, suscité tant de critique quant à son organisation militaire et extra-territoriale). Pour ma part, je trouve que les grands de ce monde devraient avoir le cuir un peu plus épais et supporter d’être confrontés directement à la colère populaire – à condition qu’elle s’exprime avec une courtoisie minimale. Je le répète, si quelqu’un a manigancé cette affaire de public sur-mesure, il devrait être viré dans la seconde. Mais je l’avoue, j’ai du mal à croire que le président soit assez naïf pour avoir été à la manœuvre dans cette sottise. En tout cas, j’attends des éléments un peu plus tangibles. Sans doute suis-je aveuglée par mon sarkozysme primaire.

En vérité, j’ai l’impression que vous voulez vous persuader, notamment pour confirmer votre premier jugement, que Nicolas Sarkozy est infantile, agité, vulgaire, aveuglé par son narcissisme, en un mot ridicule – et qu’il n’est que cela. Pour tous les autres, vous avez souvent des indulgences, au moins de la compréhension, parfois de l’admiration. Mais chez lui, rien ne trouve grâce. Seuls comptent ses travers, petits et grands. Au bout du compte, vous participez à ce que vous réprouvez, la délégitimation de l’adversaire. Ce faisant vous vous alliez à ces vrais puissants que sont les humoristes, à peu près inamovibles depuis qu’ils se sont décerné le brevet de rebelles en chef et que la profession les vénère comme la pointe avancée de l’anti-sarkozysme.

Vous qui n’aimez pas que l’on s’attaque aux hommes pour combattre les idées, n’êtes-vous pas gêné par le fait que la taille du président soit devenue un tel objet de moqueries ? Il met des talonnettes, la belle affaire. Est-ce si risible de souffrir d’un vague complexe ? L’est-ce au point que l’on nous en rebatte les oreilles depuis deux ans ? Cela change-t-il sa manière de gouverner ? Et faites-moi grâce, s’il vous plait des avis d’experts et autres psychanalystes de médias – un psy qui accepte de se prononcer sur un patient qui n’en est pas un et qu’il n’a jamais reçu ne me paraît pas une source très fiable.

Heureusement, je vous connais. Je sais que vous ne voyez pas que ce journalisme politique qu’il vous arrive de pratiquer à l’insu de votre plein gré est à la remorque et à l’unisson des amuseurs professionnels. Or leur rire n’est pas grinçant, il se contente d’être méchant. Il s’en prend aux têtes de turc et ignore les vaches sacrées (les vraies). Martine est boulotte, Nicolas est petit : oui, vraiment, quel courage de dire des choses si subversives qu’on les répète en boucle sur toutes les ondes et tous les plateaux ! Il est vrai qu’il nous arrive à tous de rigoler en les écoutant, mais ce n’est pas ce qu’il y a de mieux en nous qui rigole. L’autre soir, je me suis infligée sur France 2 la soirée « Rire contre le racisme ». Sur les quarante sketchs qui se sont succédé, une bonne partie était destinée à rappeler que nous sommes un pays peuplé de racistes dont les autorités sont obsédées par la « lutte contre les étrangers ». Passons (j’y reviendrai). L’un des sketchs supposé montrer que la France était différente, pour le pire, pas pour le meilleur, se finissait ainsi : « Chez les autres, on dit « pute ». Chez nous on dit « première dame ». » Un samedi soir à 22 h 30, sur la principale chaîne du Service public (à la botte du président), on insulte son épouse de la façon la plus minable qui soit – pour rire bien sûr.

Moi ça ne me fait pas rire. Je n’ai envie de vivre dans ce monde-là. Et vous non plus.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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