L’Etat de droit, un scandale d’Etat?


L’Etat de droit, un scandale d’Etat?

thierry herzog ecoute

Maintenant que, de l’article retentissant de Gérard Davet et Fabrice Lhomme dans Le Monde à la « Lettre aux Français » de Nicolas Sarkozy dans Le Figaro, l’ensemble des données à la fois judiciaires et médiatiques ont été posées sur la table démocratique dans l’affaire des écoutes de l’ancien président de la République, on y voit plus clair.

On sait qu’une information a été ouverte par le parquet de Paris au regard de présomptions d’un financement libyen pour la campagne présidentielle de 2007 après que Nicolas Sarkozy a porté plainte lui-même, pour faux, usage de faux et recel, contre Mediapart qui avait évoqué l’existence de certains documents.

Des écoutes judiciaires de l’ancien président de la République ont été ordonnées par deux magistrats instructeurs à partir du mois de septembre 2013. Il a été constaté que Nicolas Sarkozy et son avocat, Me Thierry Herzog, certains de cette inquisition téléphonique, se sont munis, à l’initiative du second, de portables acquis sous la fausse identité de Paul Bismuth.

Si le conseil n’a jamais été écouté, les échanges retranscrits avec son client ont établi qu’un haut magistrat de la Cour de cassation, contre la promesse de l’obtention d’un poste à Monaco, a communiqué des renseignements et fourni des précisions sur la possible issue d’une demande de restitution des agendas présidentiels saisis dans le dossier Bettencourt. Ce qui a justifié l’ouverture d’une nouvelle instruction pour violation du secret de l’instruction et trafic d’influence.[access capability= »lire_inedits »]

À cet énoncé procédural, qui ne s’est pas traduit pour l’instant par des mises en examen, on a le droit de se demander pourquoi, durant plusieurs jours, un tel cataclysme s’est produit. Risque de coup d’État ? Atteinte grave à la République ? Inégalité scandaleuse entre des justiciables ? Tortures physiques et psychologiques ?

Non, seulement l’État de droit, qui est venu se rappeler depuis le mois de mai 2012 au bon souvenir d’une société qui l’avait oublié, et pour cause, puisque durant cinq ans il avait été foulé aux pieds sans que quiconque, au sein de la majorité d’alors, ne s’en émeuve. L’actuel bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris n’avait-il pas qualifié d’« exceptionnel » le bilan judiciaire de Nicolas Sarkozy !

La fronde menée par le noyau talentueux et médiatiquement reconnu de grands avocats pénalistes, la solidarité amicale pour leur confrère Me Herzog, le corporatisme massif d’une profession qu’on n’a même pas le droit de toucher du bout de la procédure ont laissé croire, un temps, que le secret professionnel des avocats devait être absolu et qu’une ignominie avait été perpétrée parce qu’on avait osé le faire céder face à l’évidence d’infractions.

D’autres avocats, heureusement, ont su apporter une contradiction vigoureuse à cette autarcie plus de confort que d’exigence, et ont démontré que la belle fonction de défendre n’avait pas vocation à couvrir les turpitudes même influencées par un ancien président.

Pour qu’on mesure bien le poids du barreau, qui est trop souvent auréolé par la seule abstraction de sa mission plus que par la qualité et l’intégrité de  ses membres, il est symptomatique que, les choses rétablies dans leur vérité et la normalité du processus judiciaire admise, on n’en ait pas moins continué à débattre sur un durcissement de la protection du secret professionnel de l’avocat. Alors qu’il est déjà comme un étau qui met quasiment le conseil à l’abri. Aussi bien Me Leclerc que Me Mignard, pourtant antagonistes sur l’appréciation du secret professionnel allégué par Me Herzog, vont dans ce sens. Et André Vallini, lors d’une émission, a cru bon d’évoquer le besoin de nouvelles dispositions qu’il proposerait avec Philippe Houillon – Georges Fenech, qui saute sur n’importe quelle piste, leur emboîtant évidemment le pas. Moralité : quand on a été obligé par justice de toucher au barreau, il faut le rendre encore plus intouchable !

Il faut encore, contre l’inculture judiciaire et la partialité politique, souligner que les écoutes d’un ancien président ne sont pas une tare mais le signe d’une bonne santé républicaine et qu’un ministre de la Justice informé par ses services sur le cours de certains dossiers est dans son rôle  dès lors que l’indépendance concrète des magistrats est garantie. Ce qui n’a été dénié par personne depuis le mois de mai 2012 et ce que la droite sarkozyste ne pourrait discuter, sauf à oublier ses propres errements.

Il serait trop commode de ne pas pourfendre, lors de cette interminable controverse, les ravages opérés dans l’esprit public et la perception judiciaire par le tristement fameux « mur des cons » qui a instillé un poison durable dans la considération due aux magistrats. Alors que les juges d’instruction en charge de ces dossiers sont compétents, discrets et, selon moi, impartiaux, cette incroyable et désolante pantalonnade ne cesse pas de rejaillir sur la magistrature qui a beau faire : son objectivité non seulement n’est plus présumée, mais niée par principe.

Étrange conséquence, aussi, pour une démocratie que le président de la République souhaitait voir rassemblée : dans tous les débats qui sont au cœur de notre vie civique et de notre éthique collective, j’ai l’impression qu’on ne sait plus que focaliser sur les doigts qui montrent la lune, et plus du tout sur celle-ci. En témoignent les innombrables dénonciations (notamment dans Causeur !) non seulement de la publication d’extraits procéduraux dans les médias – ce qui en effet est intolérable – mais même de compte rendus fiables et de qualité sur l’évolution de certaines affaires sensibles. J’entends bien que ces transgressions, qui pourraient et devraient d’ailleurs être réprimées, offusquent légitimement le citoyen, mais je ne parviens pas à comprendre les ressorts de l’arbitrage citoyen en l’occurrence. Les infractions, les délits sont relégués au second plan comme si leur dévoilement médiatique leur faisait perdre nocivité et  dangerosité.

Pour ma part, tout en affirmant la nécessité de poursuites à l’encontre de ceux qui battraient en brèche leur obligation de secret, s’il me fallait choisir, je préférerais une démocratie même imparfaite avec des médias audacieux qu’une démocratie amputée avec des médias frileux.

Il n’est pas encore venu, le temps où on traitera banalement les affaires des « grands ».[/access]

*Photo: Thibault Camus/AP/SIPA.AP21538018_000007

Avril 2014 #12

Article extrait du Magazine Causeur



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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