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Du rififi dans le Caucase


Du rififi dans le Caucase

Budapest, dans la nuit 18 au 19 février 2004, un jeune lieutenant azéri, après avoir forcé la porte de sa chambre, abat à coups de hache son homogue arménien Gurgen Margaryan durant son sommeil. Les deux lieutenants participaient au cycle de formation linguistique de l’Otan connu sous le nom de « Partenariat pour la paix » (!).

Arrêté, le criminel Ramil Safarov, alors âgé de 29 ans, fut condamné en 2006 à une peine de prison à perpétuité par un tribumal hongrois. Sollicité par les autorités de Bakou, le gouvernement hongrois social-libéral de l’époque refusa alors d’extrader le condamné en Azerbaïdjan.

31 août 2012 : le gouvernement hongrois accède à la requête de Bakou et remet le prisonnier aux autorités azéris. Aussitôt retourné au pays, Ramil Safarov est accueilli en héros par une foule en liesse. Grâcié par le président de la République, il se voit remettre une récompense pour son geste « valeureux » : un logement et une promotion à la clé. Alors qu’il aurait dû y purger le reste de sa peine. Réaction immédiate du côté arménien : supension des relations diplomatiques avec la Hongrie, discours véhément de protestation du Président devant les représentants du corps diplomatique et manifestations où le drapeau hongrois se voit piétiné et brûlé. Mais il y a plus grave : l’armée est mise en état d’alerte et le gouvernement menace de reprendre le conflit armé avec l’Azerbaïdjan, si le besoin s’en faisait sentir[1. Un cessez-le-feu avait été signé en 1994 au sujet du Nagorny-Karabakh.].

En réaction, la Hongrie affirme en substance : « Ce n’est pas correct, nous avons été dupés, ce n’est pas ce qui nous avait été promis », remettant une note de protestation à l’ambassadeur azéri. Quatre jours plus tard, le Premier ministre Viktor Orbán déclarait : « L’affaire, qui ne mérite pas tant de bruit, est close, n’en parlons plus ».

De duperie, on ne saurait véritablement parler. Une lettre officielle avait effectivement été adressée mi-août par le vice-ministre azéri de la Justice au ministère hongrois de la Justice. Première remarque: un vice-ministre écrit au ministère et non le ministre directement à son homologue. Voilà qui est peu sérieux. Seconde remarque: le contenu de la lettre (assez brève) ne stipule aucun véritable engagement ni aucune garantie stricto sensu. Cette missive se borne à « informer » la partie hongroise des dispositions du Code pénal azéri en restant sur le plan des généralités[2. Confirmé par un entretien du 3 septembre avec András Bársony (ancien secrétaire d’Etat et ancien ambassadeur dans la région) et par une interview de l’ancien chef de la diplomatie Péter Balázs.]. Un Code pénal qui prévoit au demeurant la possibilité de grâce par le Président de la République, Ilham Aliev[3. Après un long silence, le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères Zsólt Németh vient de reconnaître que la partie hongroise était parfaitement au courant du risque de grâce par le président azéri.].

Connaissant le Premier ministre hongrois, qui est tout sauf naïf, je doute fort qu’il ait cru un seul instant à l’emprisonnement de Safarov. Qui plus est, même si Ilham Aliev avait voulu maintenir Safarov en détention, il aurait été condamné à libérer le détenu, tant est échauffée sa population. Bref, bien naïf l’observateur qui croirait à une telle naïveté des dirigeants hongrois…

La vérité est toute simple. Résolu à tourner le dos à Bruxelles et, à terme, au FMI, Viktor Orbán a entrepris, depuis de longs mois déjà, de réorienter sa diplomatie vers l’Est. Vers l’Asie centrale et la Chine- pays dont il n’a d’ailleurs rien obtenu malgré de belles promesses. C’est avec une grande publicité qu’il a récemment rendu visite aux chefs d’Etat d’Azerbaïdjan et du Kazkhstan. Au-delà de toute motivation stratégique ou affective (les parents de nos ancêtres), Viktor Orbán y voit surtout, au moins à Bakou, des intérêts économiques (le pétrole) et une source de financement. Car le Trésor est vide et l’Etat a urgemment besoin de ressources. Or, les Azéris ont laissé entendre qu’ils pourraient acheter des obligations hongroises à hauteur de deux à trois milliards d’euros. Ce n’est un secret pour personne.

Voilà où nous en sommes aujourd’hui. Un gouvernement qui – pour des intérêts financiers – arrive à semer la zizanie bien au-delà de se frontières. Une Hongrie une fois de plus désavouée de par le monde. Je savais Orbán très fort dans cet art, mais je dois reconnaître que, cette fois, il s’est surpassé. Après cette faute, peut-il encore accepter les fonds de Bakou ? Vous me direz, avec lui, on ne sait jamais…

*Photo : 517design



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Diplômé des Langues'O (russe, hongrois, polonais), Pierre Waline est spécialiste de l'Europe centrale et orientale. Il vit a Budapest où il co-anime entre autres une émission de radio.

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