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Droit d’asile


Droit d’asile

La scène se passe dans un petit aéroport, manifestement latino-américain. La climatisation ne fonctionne pas très bien. Un policier moustachu en sueur a l’air un peu embêté devant un voyageur qui lui tend ses papiers.

– Vous pouvez me répéter la raison pour laquelle vous voulez venir cher nous ?
– Asile politique, Monsieur l’agent.
– Vous demandez l’asile politique chez nous ? Mais on n’est pas très riche, vous savez. On essaie de changer les choses, mais c’est encore en chantier…
– M’en fiche, je demande quand même l’asile politique.
– Vous venez d’où ?
– D’où je viens ? Je vais vous dire d’où je viens, Monsieur l’agent. Je viens d’un pays où l’on veut mettre l’âge légal de la retraite à 67 ans. Je viens d’un pays où l’on risque d’élire une mairesse d’extrême droite dans une vieille ville ouvrière. Je viens d’un pays où la chef du parti socialiste propose « une maison commune de la gauche », alors qu’elle a dans son parti à la fois le président du Fonds Monétaire international, l’institution spécialisée dans la ruine des économies du tiers monde, et le maire d’une commune de banlieue qui trouve qu’il y a trop de nègres chez lui. Je viens d’un pays où le président de la République s’apprête à parler devant les parlementaires, mais ne débattra pas avec eux. Je viens d’un pays où 16 % des gens sont persuadés d’avoir fait un vote progressiste en donnant leurs voix à un ex-soixante-huitard écolo, qui trouve que l’économie de marché, c’est très bien. Je viens d’un pays où des récolteuses de fraises et d’asperges venues de Pologne et de Roumanie sont logées dans des baraquements, sur des terrains vagues, et payées six euros par jour. Oui, six. Je viens d’un pays où il y a un ministère de l’Identité nationale. Je viens d’un pays où l’on a enfermé pendant six mois sans preuve un jeune philosophe, parce qu’il aurait écrit un livre qui aurait pu inspirer des saboteurs de TGV, ce qui fait quand même beaucoup de conditionnels pour mettre quelqu’un en zonzon au nom de l’antiterrorisme. Je viens d’un pays où ce n’est pas la crise pour tout le monde, où le Salon du chien bat des records d’affluence et où de plus en plus de médecins refusent d’appliquer la loi sur la Couverture Maladie Universelle. Je viens d’un pays où, à dix ans, vous pouvez vous retrouver chez les flics pour un vol de vélo. Et pour un vol de sucette, on ira chercher le receleur du bâton ? Je viens d’un pays où l’on a détruit 180 000 emplois en 2009, mais où les syndicats sont infoutus de réunir plus de 150 000 personnes dans une manif. Je viens d’un pays où, aux dernières élections, sans qu’il y ait besoin de bourrer les urnes, 88 % des gens se sont prononcés pour le pouvoir en place. Bah oui, Monsieur l’agent, faut comprendre 28 % pour le parti du président, plus 60 % d’abstentionnistes, ça fait 88 %. Et qu’on ne vienne pas me dire que les abstentionnistes sont de pauvres gens dégoûtés. Ce sont des complices, oui ! Qui ne dit mot consent, comme dit un proverbe de chez nous. Je viens d’un pays où l’on a inventé un truc qui s’appelle le RSA. Votre patron vous paie mal, c’est pas grave, c’est la collectivité qui mettra au pot pour que vous puissiez acheter de temps en temps de la bolognaise pour les spaghettis. Et enfin, pour finir, Monsieur l’agent, je viens d’un pays où une autorité supranationale appelée Commission européenne va venir trafiquer mon vin et m’empêcher de manger de la boulette d’Avesnes, mais va être incapable de garantir une durée légale du travail… Voilà, Monsieur l’agent, d’où je viens.
– Eh bah, mon pauvre vieux… Tenez, voilà, je tamponne votre passeport.
– Merci, Monsieur l’agent
– Vous venez d’où, à propos ?
– De France…
– Vous rigolez : La Marseillaise, Liberté, Egalité, Fraternité, tout ça ?
– Bah ouais, mais tout ça, c’est plutôt mal barré.
– Je vois. Alors, bienvenue au Venezuela, Monsieur. Et vive Hugo Chavez !



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