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Diane Arbus, enfin


Diane Arbus. Source : thefoxling.

« Comment s’appelle la petite qui a eu un si grand succès avec toutes les horreurs qu’elle a photographiées et qui s’est suicidée après ? », s’interrogeait Gisèle Freund dans une interview au Monde, en 1985. Eh bien, la « petite » s’appelait Diane Arbus. En 2004, une de ses photographies les plus troublantes, « Jumelles identiques », est partie à 408 000 dollars chez Sotheby’s. On y voit deux fillettes au garde-à-vous, sourire sibyllin, regard de cocker, avant-bras entremêlés. Cette image inspira d’ailleurs à Stanley Kubrick la physionomie des sœurs Grady dans Shining.

Jusqu’en février, la Galerie du Jeu de Paume organise donc la toute première rétrospective consacrée à la photographe américaine en France. L’accueil enthousiaste que la presse a réservé à cet événement donne l’impression d’une « Arbusmania » un peu tardive et forcée. Tardive car après son lancement, en 2003, au San Francisco Museum of Modern Art, l’exposition intitulée « Revelations » a circulé au cours d’une tournée qui l’a menée dans de nombreuses villes des États-Unis et d’Europe, mais pas en France. Et forcée puisque, après des années d’ignorance, le gotha du bourg provincial qu’est devenu le Paris des Arts se doit désormais d’acclamer cette œuvre plus fort que tout le monde. [access capability= »lire_inedits »]

Impossible d’expliquer autrement que par un vague sentiment de culpabilité une présentation, certes très glamour de 200 photographies de Diane Arbus − murs gris et cadres blancs − mais dépourvue de tout effort de contextualisation ou d’ordonnancement. Les séries sont mélangées, la chronologie bousculée. Les documents censés constituer une exégèse du travail de l’artiste et les indications sur sa biographie sont confinés dans une sorte d’arrière-cour où le visiteur arrive en fin de parcours, alors qu’il a déjà la tête bien trop pleine d’images brutes pour être en état de chercher à comprendre le sens de ce travail. C’est pourquoi il sort avec la conviction ferme qu’en accord avec sa réputation, Diane Arbus était la « photographe des monstres ». Dommage.

Tout au long de sa carrière, la portraitiste a manifesté une nette prédilection pour les modèles choisis en dehors des canons de la beauté en vigueur. Nudistes octogénaires, travestis en bigoudis, Portoricaine endimanchée, matrones en goguette à Central Park : un sabotage magistral du rêve américain. Plutôt que des « monstres », Diane Arbus a photographié des gens monstrueusement ordinaires. Ces gens qui depuis longtemps, et sans qu’il soit nécessaire de remonter jusqu’à Bosch ou Rembrandt, savent se rendre captivants aux yeux des artistes.

« Je pense que cela fait un peu mal d’être photographié », écrira Diane Arbus à son ami et amant Marwin Israel. Il est vrai qu’on n’y pense pas, et pourtant… Oui, ça fait un peu mal. Peut-être parce qu’une photographie est d’abord une pièce à conviction, l’indice d’un présent déjà passé, une preuve irréfutable et banale de l’emprise que le temps a sur nous, sur notre vie et même sur nos souvenirs. Et parfois, aussi, l’empreinte d’un bonheur échu.

Regardez ces photos de fous qui rient, en train de faire leur gymnastique dans un parc… Maintes fois, elles ont été qualifiées de « voyeuristes » et elles le sont encore aujourd’hui. Il suffit de tendre l’oreille aux commentaires du public pour s’en rendre compte. Admettons que ces critiques soient en partie justifiées. Mais quand avez-vous, pour la dernière fois, croisé un mongolien heureux dans la rue ? Les photographies de Diane Arbus évoquent l’époque, pas si lointaine mais à tout jamais révolue, où les moches et les dingues, les nains et les géants, les ratés et les illuminés, les excentriques et les désaxés vivaient parmi nous. De cette époque, il ne nous reste que ces clichés en noir et blanc.

Dépêchez-vous d’aller les voir.[/access]

 

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Décembre 2011 . N°42

Article extrait du Magazine Causeur



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Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l'édition.

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