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Des “valeurs de la République” à géométrie variable


Des “valeurs de la République” à géométrie variable
Nicolas Sarkozy au journal de 20 heures de TF1, hier soir © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage : 01007355_000007

Condamnation de Nicolas Sarkozy, dissolution de Génération identitaire: bienvenue dans la République des « oui mais ».


Jamais les fameuses « valeurs de la République » n’auront été autant évoquées, à la limite du mantra hypnotique, en « sautant sur sa chaise comme un cabri » eût dit le Général de Gaulle, à la mesure exacte de leur constant recul dans la sphère publique, tant du fait de la désagrégation de la société française que de leur non-respect par ceux-là mêmes qui sont chargés de les faire appliquer et de les incarner.

La condamnation spectaculaire de l’ancien président de la République en première instance en a fourni une première et consternante illustration, qui n’a du reste pas manqué de faire réagir et est venue dégrader un peu plus une image déjà très détériorée de la Justice dans l’esprit du peuple français, au nom duquel elle est supposée être rendue (selon quelque légende urbaine manifestement passée de mode).

Sarkozy victime d’un acharnement judiciaire peu commun

Cette condamnation vient ponctuer de manière provisoire des années d’un acharnement judiciaire peu commun, frisant régulièrement le parfait grotesque, ayant déployé des moyens d’investigation aussi considérables que partiaux, voire illégaux (mais bien entendu entérinés par une Cour de Cassation bien peu scrupuleuse). Écoutes téléphoniques de conversations entre un avocat et son client, déloyauté de la non-preuve (une prouesse !), interprétations farfelues voire paranoïaques et relevant par moments de la psychiatrie lourde des propos retenus comme « preuves » contre Nicolas Sarkozy, méthodes peu scrupuleuses d’instruction à charge, « chasse au Sarkozy » obsessionnelle (pour reprendre l’expression de l’avocat Régis de Castelnau dont nous recommandons véritablement l’ouvrage récent puisqu’absolument tout ce qui s’est déroulé cette semaine est venu prouver la justesse de son implacable démonstration), parjures (qui ne semblent poser aucun problème à personne), doute profitant à l’accusation, explications tarabiscotées venant justifier un jugement injustifiable tant sur le fond que sur la forme, endogamie néfaste et mélange des genres entre les parquets –financier ou pas- et le siège : tout y est pour décrire une séquence judiciaire qui fait honte à la République.

Que l’on ne s’y méprenne pas : il ne s’agit en aucun cas de défendre Nicolas Sarkozy au plan politique. Il s’agit de défendre, précisément, des principes et des valeurs, comme celles, fondamentales, du respect des droits de la défense, de la présomption d’innocence, de la charge de la preuve, du secret des échanges entre un avocat et son client, du secret de l’instruction tant de fois bafoué dans les dossiers Sarkozy et, plus généralement, dans une justice devenue clairement politique. Il n’appartient par exemple pas à l’ancien président d’apporter la preuve de son innocence, mais à l’accusation d’apporter celle de sa culpabilité, ce qui n’a pas été fait, celle-ci bafouillant en lieu et place un incompréhensible salmigondis fondé sur quelque obscur « faisceau d’indices », lesquels ont surtout permis de conclure qu’il existait un sérieux faisceau d’indices démontrant in vivo l’acharnement judiciaire visant sa tête de Turc préférée.

Sarkozy refuse de parler de “justice politique”

Outre le non-respect d’un certain nombre de règles de droit fondamentales, valables pour n’importe quel justiciable, cette séquence a également permis de vérifier la thèse d’une justice devenue politique, quand bien même Nicolas Sarkozy, par évidente prudence eu égard à ses fonctions passées, s’est refusé à la qualifier de la sorte dans son entretien accordé au Journal télévisé de TF1 le 3 mars. Une justice qui, après s’être en quelque sorte autonomisée du pouvoir politique afin de gagner en « indépendance », a totalement perdu en « impartialité » : le rôle délétère du Parquet National Financier, infiltré de tous côtés par les amis socialistes de François Hollande, faussant sans scrupule le libre jeu démocratique, n’est plus à démontrer, après le raid éclair contre François Fillon qui a eu pour but de porter Emmanuel Macron au pouvoir.

A lire aussi, Philippe Bilger: Verdict Sarkozy: non, Vincent Trémolet de Villers, il n’y a pas de « malaise dans la démocratie »!

Des personnalités politiques que l’on peut difficilement soupçonner de soutenir politiquement Nicolas Sarkozy ont du reste fait part de leur réaction scandalisée face à cet énième épisode de la guerre entre une partie non négligeable de la magistrature politisée, celle du Mur des Cons où, rappelons-le, l’ancien président de la République figurait en place centrale, et une opposition politique qui sera assez systématiquement inquiétée par la justice quand les amis dudit pouvoir peuvent dormir d’un sommeil paisible (pour l’instant et jusqu’à ce que les mouches changent d’âne). Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ont ainsi eu des mots particulièrement fermes pour condamner ce dévoiement de la justice, indéniablement politisée dans le sens d’un pouvoir qui idéologiquement lui convient et en lequel elle se reconnaît, par endogamie et perméabilité sociale, culturelle. Notons d’ailleurs que le responsable de la France Insoumise tout comme la présidente du premier parti d’opposition du pays font bien entendu l’objet de procédures dont on peut penser qu’elles viendront peser, si besoin, dans le processus électoral de 2022, comme ce fut le cas en 2017. Les bons et loyaux services n’auront pas même besoin d’être sollicités par le pouvoir puisque, pour des raisons idéologiques et sociologiques, une partie importante de la magistrature se reconnaît parfaitement dans le pouvoir en place, ce que la répression sans aucuns états d’âme du mouvement social des Gilets Jaunes aura démontré ad nauseam, sans que les syndicats de magistrats pourtant voués à défendre les libertés publiques, ne s’en émeuvent plus que cela.

Une épée de Damoclès sur les présidentiables

Nicolas Sarkozy aura beau jeu de jouer la carte d’un rapprochement avec Emmanuel Macron (qui a très probablement perdu la main sur son alliée judiciaire de 2017, comme le prouvent les coups de semonce lancés par les magistrats à l’encontre du Garde des Sceaux Eric Dupont-Moretti) : cela sera peine perdue puisque la magistrature a, d’une certaine manière, fait sécession, exactement de la façon dont Christopher Lasch décrivait la « trahison des élites ».

On le voit, bien au-delà du simple cas de Nicolas Sarkozy dont on finit par s’étonner qu’il n’ait pas été également mis en cause, tant qu’à faire, dans le dossier du petit Grégory ou dans une éventuelle complicité avec Gilles de Rais, il en va de la démocratie toute entière à travers le rôle que s’est désormais arrogé la Justice afin de peser directement dans le processus électoral, au point de le fausser et de déposséder encore un peu plus qu’il ne l’est déjà, le peuple de sa souveraineté en la matière. Rappelons d’ailleurs à ce titre que Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, principaux opposants au pouvoir en place, font comme par enchantement l’objet de procédures rocambolesques frisant parfois l’absurde, afin de bien leur rappeler cette épée de Damoclès déclenchable en permanence au-dessus de leurs têtes, et quoi que l’on pense de l’un comme de l’autre. 

Pour cette raison qui souligne avec force les dysfonctionnements antidémocratiques de la justice contemporaine (certains magistrats faisant fort honorablement exception à cet hybris devenu délétère), les personnalités qui se sont réjouies de la condamnation de Nicolas Sarkozy commettent à la fois une faute (morale, philosophique, démocratique) mais aussi une erreur tactique et stratégique majeure puisqu’elles semblent ignorer qu’à ce petit jeu elles seront toujours les prochaines, un jour, sur la liste des injustices qu’elles auront promues pour de stupides raisons idéologiques opportunistes ou pour assouvir quelques petites rancœurs recuites. C’est le prix que l’on finit toujours par payer pour le lâche renoncement aux principes supérieurs.

Génération identitaire: une dissolution farfelue

Tout semble se passer, concernant Nicolas Sarkozy, comme si, pour lui, au regard de son côté clivant, les règles fondamentales du droit pouvaient être escamotées et, qu’après tout, la fin devait bien pouvoir justifier les moyens : eh bien non, il n’y a pas de « mais », il n’y a pas de négociation possible avec ces principes supérieurs. L’on ne transige pas avec les valeurs de la République dont on se repaît par ailleurs du matin au soir à proportion qu’on les bafoue.

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L’on retrouve cette même bassesse de raisonnement au plan des censures apportées à la liberté d’expression de la part d’un camp idéologisé qui ne supporte pas certains points de vue et considère, là encore, que la fin justifie les moyens : le texte accompagnant la dissolution par le gouvernement de Génération Identitaire est, à ce titre, un salmigondis de la plus belle facture, creux, empli d’élucubrations et, surtout, de subjectivité idéologique, qui permet de comprendre tout l’arbitraire d’une décision aussi démagogique (à tort puisque plus de 60% des Français considèrent qu’il existe un problème d’immigration immaîtrisée : l’étape suivante consistera-t-elle à dissoudre le peuple lui-même, entreprise certes déjà pas mal avancée par divers moyens… ?) que tactiquement stupide. Dissoudre une organisation sur des bases juridiques farfelues, alors même que les membres de ladite organisation n’ont fait l’objet d’aucune condamnation, se réjouir de cette décision inepte au plan juridique mais aussi au plan des principes élémentaires de la liberté d’opinion et d’expression, relève de la même logique à courte vue que nous évoquions au sujet des réactions à la condamnation de Nicolas Sarkozy (et quand bien même ces deux événements ne sont pas liés politiquement l’un à l’autre, loin de là…) : promouvoir une idéologie plutôt que des principes et valeurs supérieurs, ajuster la République et la démocratie à ses propres convictions, considérer que « la fin justifie les moyens » en vertu d’une vision subjective de ce qui serait le Bien et ce qui serait le Mal, bref, reprendre encore et toujours ce ver dans le fruit de la République française énoncé de manière aporétique par Saint-Just : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». Sauf que, qui décide de qui sont les ennemis de la liberté ? N’oublions pas que ce fut le même Saint-Just qui promut avec zèle la loi dite des suspects, permettant d’incriminer un peu tout le monde et n’importe qui du moment que cela convenait au pouvoir révolutionnaire devenu délirant et psychopathique. L’on ne semble pas en être très loin, par les temps qui courent…

Face à cette folie idéologique, qui est le mal français post-révolutionnaire par excellence (et qui explique qu’on le retrouve surtout porté par les mouvances « de gauche » -à supposer que cette partition idéologique ait encore une quelconque force opératoire-), le peuple ne se retrouve pas : la justice ne semble plus rendue en son nom mais contre lui. De la même manière, il faudra expliquer aux justiciables-électeurs que, le jour-même de la dissolution de cette organisation dont on peut penser ce que l’on veut (tel n’est pas le sujet), l’on apprenne qu’un délinquant multirécidiviste algérien a plongé un journaliste entre la vie et la mort. L’on n’empêchera pas le peuple de suggérer tant à ses gouvernants qu’à leur bras armé judiciaire d’apporter plus de zèle à assurer sa sécurité, à chasser du territoire les criminels qui n’ont rien à y faire, à protéger les citoyens, les journalistes, les enseignants, les justiciables, le peuple français tout entier, plutôt qu’à poursuivre des objectifs de justice politique faussant le libre débat démocratique et électoral ou encore à empêcher la libre expression des convictions.

Le spectacle observé cette semaine est celui, très préoccupant, d’une démocratie malade.

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Chroniqueuse et essayiste. Auteur de "Liberté d'inexpression, des formes contemporaines de la censure", aux éditions de l'Artilleur, septembre 2020.

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