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Crise d’âme


Crise d’âme
François Rude, Le Départ des volontaires de 1792, bas relief, 1830.
François Rude, Le Départ des volontaires de 1792, bas relief, 1830.
François Rude, Le Départ des volontaires de 1792, bas relief, 1830.

L’identité, c’est comme la culture : au pluriel, tout le monde se pâme, au singulier, on se pince le nez. L’identité, ça sent tout de suite le renfermé, le moisi comme disait Sollers au siècle dernier. Ça trimballe son pesant de singularité mal embouchée. Ça fait français et qui entend le rester. Les identités, ça sonne bien mieux, ça a un petit air de festival des cultures du monde. Derrière ce pluriel, on entend tout de suite « métissage », « diversité »« les mots magiques de la France qui pense bien, ceux qui comptent triple au scrabble de l’éditorialiste », pour reprendre l’heureuse formule de Marc Cohen et Aimée Joubert.

Il n’est guère surprenant qu’Éric Besson ait déclenché un flot de commentaires indignés avec le lancement de sa french pride (celle-là est de Luc Rosenzweig). Il est même probable qu’il l’espérait. Il est vrai que ce « grand débat » avec les « forces vives de la nation » orchestré par le corps préfectoral a toutes les chances de sombrer dans la grand-guignolade. D’ailleurs, ça n’a pas loupé, quelqu’un a déjà proposé d’organiser un Grenelle de l’Identité. Sans rigoler.

[access capability= »lire_inedits »]On m’accordera sans doute que la nation, comme toute chose, a une identité qu’on appellera, faute d’un terme moins corrosif, « identité nationale ». C’est impossible à définir, ça bouge en permanence et ça se fabrique en malaxant des éléments hétérogènes de modes de vie, cadres de pensée et expériences du monde. Max Gallo parle de l’« âme de la France ». Quel que soit le nom qu’on lui donne, ça ne va pas très fort : culpabilité, dépression, perte de soi, overdose de passé, les symptômes de la névrose nationale abondent. On crée une cellule d’aide psychologique dès qu’un nourrisson perd son doudou : il n’est pas interdit de se demander ce qui cloche du côté de notre inconscient collectif. Même si, c’est certain, Besson derrière le divan, on n’y croit pas.

Ce qui est choquant, m’explique-t-on, ce n’est pas de poser la question de l’identité nationale mais de la relier à celle de l’immigration. Cela reviendrait à jeter la suspicion sur les étrangers – en fait sur les Français d’origine étrangère. La bonne blague. Surtout, n’en parlons pas. Bien sûr, il n’y a aucun rapport entre l’évolution de l’identité nationale et l’immigration. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Dominique Sopo, patron de SOS Racisme (qui est souvent mieux inspiré), estime qu’en lieu et place du débat réclamé par Besson, on ferait mieux de se demander comment on lutte contre les discriminations qui, comme chacun sait, constituent la trame de la vie collective dans notre pays. Aucun rapport, je vous dis.

J’ai beau chercher, je ne vois pas où est le scandale. L’immigration a changé la France, c’est un fait et on ne cesse de nous le répéter. Il paraît légitime de se demander en quoi consiste ce changement. Il ne s’agit pas de s’en réjouir ou de s’en désoler – encore qu’on ait le droit de faire l’un ou l’autre. On peut penser que l’immigration est une chance pour la France et/ou que la France est une chance pour les immigrés. Cela n’a aucun sens de faire comme si rien ne s’était passé.

L’identité a partie liée avec la ressemblance. Tout l’enjeu caché du débat qui n’aura pas lieu est là. Que la France soit un pays multiethnique, de longue date au demeurant, tout le monde le voit. La seule question qui vaille en réalité et celle sur laquelle on s’écharpe sans le dire est : comment fabrique-t-on des Français ? L’assimilation, « cette machine à gagner ensemble » (encore Marc et Aimée), est devenue un gros mot. Elle a pourtant permis l’existence d’une identité collective qui était autre chose que la compilation des identités particulières et qui avait sur elles une relative prééminence. En France, on laissait un peu plus de ses différences à l’entrée qu’ailleurs. « Tout comme individu, rien comme peuple » (on dirait aujourd’hui « communauté » : l’injonction hier adressée aux juifs n’est guère d’actualité – y compris pour les juifs d’ailleurs. Aujourd’hui, tout le monde veut trimballer son origine en bandoulière, comme si les différences constituaient le seul monde commun possible. La France connaît elle aussi ses « accommodements raisonnables ».

On l’aura compris, dans cette affaire d’identité nationale, ce n’est pas le national qui fait dresser les cheveux sur les têtes, c’est l’identitaire. Sur la nation, du PS à l’UMP, de Libération au Monde (ce qui, j’en conviens, décrit un arc idéologique assez restreint), on jure sur tous les tons qu’on a compris la leçon. Promis, on ne la laissera plus au Front national. Mais il n’y a aucune raison d’abandonner l’identité aux « identitaires ». Ni à Éric Besson d’ailleurs.[/access]

Novembre 2009 · N°17

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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