Corse: Fora Basta! Basta Fora!


Corse: Fora Basta! Basta Fora!

corse ecole simeoni

Les îles sont des organismes plus sensibles que les continents, parce que ce sont des espaces confinés, limités. Des siècles durant, la Corse a tenté — en vain d’ailleurs — de se protéger de toutes les invasions, Shardanes, Grecs, Romains, Arabes (aux VIIIème-IXème siècles), Italiens divers, Français enfin — sans oublier les touristes : de sacrés mélanges génétiques ! En témoignent les tours génoises construites au XVIème siècle pour signaler l’arrivée des barbaresques, qui venaient opérer des razzias sur l’île. En témoignent la rareté des ports, et la façon dont les villages sont systématiquement planqués derrière les premières collines. En témoignent les plasticages de clubs de vacances et de résidences secondaires dans les années flamboyantes de l’indépendantisme.

En témoignent enfin tous les sigles du refus : I Francesi Fora — raccourci en un graf énigmatique pour les pinzuti, IFF. A droga basta — une succursale anti-drogue et pratiquement anti-immigrés de certains partis indépendantistes dans les années 1990. Et maintenant, Arabi fora. Pff…
Fora, c’est « dehors ». Comme si le corps îlien se défendait contre des espèces invasives — toujours en vain. Parce que des Français, des Arabes et de la drogue, on en trouve ici autant qu’ailleurs.
Oui, en vain. En fait, les Corses se sont construits une identité en empruntant à tous les envahisseurs — à commencer par le Maure de leur drapeau, ou le vieux toscan qui sert de base à la langue corse.
Alors, ce ne sont pas quelques poignées de manifestants (600 personnes, c’est 1% d’Ajaccio) qui y changeront quoi que ce soit. D’ailleurs, ce n’est pas nouveau. En 1985, une ancienne résistante et ancienne déportée, Natale Francescini, avait fondé Avà basta, le premier mouvement antiraciste corse — peu suspect de boboïsme, comme on ne disait pas encore, ni de complicité avec l’Etat français.
La Corse serait-elle alors le laboratoire de ce qui pourrait se passer ailleurs ? Ma foi, le FN n’a pas fait 10% au second tour des Régionales, le PS dépasse difficilement 3%, les Radicaux de Gauche (qui ça ?) qui partout ailleurs tiennent leurs congrès dans des cabines téléphoniques tiennent presque le haut du pavé, et les Autonomico-Indépendantistes sont arrivés en tête — alors que la Bretagne a oublié depuis longtemps le FLB et se vautre dans les draps de Le Drian.
Ce qui en revanche est commun à l’île et au continent, c’est le chômage des jeunes, l’absence de structures économiques vivaces, à part dans l’industrie très saisonnière et de plus en plus courte du tourisme, c’est l’éternel retour des mêmes têtes en haut de l’exécutif, membres délégués de clans inamovibles. Les Autonomistes ne sont pas arrivés en tête par hasard, ils sont implantés depuis longtemps, Gilles Simeoni, fils d’Edmond, a conquis la mairie de Bastia sans jouer aucun refrain anti-immigration ; n’empêche qu’une partie du vote qui s’est reporté sur lui ou sur Talamoni (et il y aurait à en dire sur Talamoni) est aussi un vote d’exaspération — cette exaspération nationale que le gouvernement ne veut pas entendre, l’exaspération de la France « périphérique » — et la Corse, puissamment excentrée, est très périphérique — tout comme les Antilles, qui lui disputent chaque année le record du nombre d’assassinats jamais résolus.
Alors aucun coup de menton et aucun coup de gueule ne résoudront rien dans l’île. Ce qu’il faut, c’est donner du travail, donner des raisons de rester au pays avec d’autres perspectives que de faire des cartons sur les copains, former inlassablement à l’école, au collège, au lycée. La création de l’université de Corse, dans les années 1980 (et c’est quelqu’un que je connais bien qui y a consacré son énergie) s’est faite contre le souhait de la classe politique traditionnelle, qui au même moment soutenait un collectif baptisé Francia qui se plaisait à interdire les concerts de I Muvrini, à Cargèse et ailleurs (ça, c’est un trait caractéristique des Corses : ils ont une longue mémoire, et le culte des morts). Mais qui nous débarrassera de ces politiques-là, adeptes de ce qu’on appelle a pulitichella, la politique politicienne et magouilleuse ?
En tout cas, le gouvernement ferait bien de se méfier, et de trouver les responsables des agressions de pompiers — vénérés, dans une île qui s’embrase en chaque fin d’été. Sinon, qui peut prédire ce qui se passera, dans un pays où il y a au moins autant d’armes à feu que d’habitants, et où les jeunes sont élevés dans la religion du « calibre » ?
Mais peut-être faudrait-il leur rappeler que Pascal Paoli, qu’ils adorent mais connaissent mal, était avant tout un homme des Lumières… Une question d’éducation, tout ça.

*Photo: © AFP YANNICK GRAZIANI.



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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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