Brexit: apocalypse (pas) now


Brexit: apocalypse (pas) now
(Photo : Shanks - Flickr - cc)
(Photo : Shanks - Flickr - cc)

Je n’ai pu dissimuler ma joie vendredi 24 juin au réveil en apprenant que nos amis britanniques avaient fait le choix de recouvrer leur liberté de peuple, en brisant les chaînes qui les liaient à l’Union européenne. Après une campagne longue et difficile, le Brexit a triomphé, totalisant 17,4 millions de voix en faveur d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Quelle ne fut pas ma stupeur dès les heures qui ont suivi l’annonce des résultats ? Les cris d’orfraie de la classe politique entière résonnaient sur tous les plateaux de télévision et de radio, leurs mots alarmistes étaient imprimés dans tous les canards, les réseaux sociaux s’emballaient autour des conséquences catastrophiques que le Brexit allaient amener dans leur quotidien.

En particulier, un élément bouleversant s’apprêtait à modifier durablement nos habitudes, avec des conséquences délétères sur notre quotidien, et qui allait créer une grande misère dans tous les pays membres de l’Union européenne ; et les électeurs britanniques, les mauvais, les racistes, les xénophobes, les ignares, bref, ceux qui avaient fait le choix souverain de retrouver leur liberté, en étaient directement responsables, et il était bon ton de les insulter pour ce qui suit…

Vendredi 24 juin 2016 aux aurores, le site britannique d’achats en ligne Asos.com affichait une page d’erreur en lieu et place de la page d’accueil habituelle proposant diverses promotions sur des vêtements majoritairement produits dans des usines chinoises, turques ou indiennes — et pour certaines rares gammes en Europe de l’Est ou au Royaume-Uni. Sur les réseaux sociaux, les community managers — pardon my French ! — de la marque plaident le souci technique. Je vous parlais donc d’un événement qui allait diffuser de manière durable une grande misère à travers l’Europe — que dis-je ? à travers le monde entier, si ce n’est plus loin !

A égoïste, égoïste et demi !

La seule misère qui est, en réalité, apparue au grand jour est la misère intellectuelle, la défaite de la pensée, comme dirait Alain Finkielkraut. « Un électorat populaire et ouvrier s’est soulevé contre des élites autoproclamées et les journalistes à leur solde », pour citer Jacques Sapir, et voilà la préoccupation des jeunes bobos français, héritiers des Lumières : comment vais-je pouvoir faire les soldes en ligne pendant ma pause-déjeuner ? Ces Anglais qui ont mal voté nous privent de guenilles au rabais ! Mais quel scandale ! Le seul souci, c’est le biais cognitif d’attribution… En effet, la frustration immédiate des internautes en mal de consommation avait là un coupable tout trouvé : le Brexit avait eu raison de leur fournisseur fétiche de bonheur éphémère. Or, ce non-événement n’avait rien à voir avec le référendum britannique, et était réellement dû à une faille informatique, le site ayant été rétabli dans la journée. Le pire est peut-être que ceux qui attribuaient ce bug au Brexit, et par là au supposé égoïsme des Britanniques, ce peuple qui souhaite se retrancher du monde, faisaient preuve d’un égoïsme poussé à l’extrême, faisant passer leurs besoins post-modernes avant la décision souveraine d’un peuple allié.

Quelques heures plus tard, la tendance émergente sur les réseaux sociaux consistait à prédire la fermeture des universités britanniques au reste du monde, et l’impossibilité pour les étudiants actuels de partir en échange le temps d’un semestre ou d’une année au Royaume-Uni. Une occasion supplémentaire de constater la vacuité totale de la pensée contemporaine, si tant est qu’on puisse encore appeler qualifier cela de pensée. Quelques secondes de réflexion, et, si besoin, une courte recherche sur Internet, permet de savoir que la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ne sera effective qu’après environ deux années suite à l’activation de la procédure prévue par l’article 50 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Les médias se sont pourtant faits l’espace d’une journée les ardents défenseurs du programme Erasmus qui serait menacé en cas de Brexit effectif, et dont le Royaume-Uni serait exclu, menant à une fermeture totale de ce pays aux étudiants étrangers. Ceux-là savent-ils qu’il est possible de faire un échange Erasmus en Turquie ainsi que dans d’autres pays hors de l’Union européenne ? Savent-ils qu’au-delà d’Erasmus, il existe d’autres types de partenariats permettant d’effectuer une mobilité étudiante sans s’acquitter de frais d’inscription dans l’université d’accueil ? Je suis moi-même parti aux Etats-Unis dans le cadre d’une entente bilatérale entre Columbia University et Normale Sup’, sans m’acquitter du moindre centime pour les frais d’inscription, qui se montaient pourtant à plus de 20 000 dollars par semestre, hors assurance santé, pour un étudiant américain. L’inquiétude concomitante étant celle de la hausse des frais d’inscription pour les étudiants français souhaitant valider un diplôme entier dans une université britannique : là encore, le petit drapeau de la peur est agité devant le nez d’éventuels candidats. Or, il y a fort à parier que si cette question les taraude aujourd’hui, ils auront fini leur diplôme avant même la concrétisation du Brexit. D’autant plus qu’il n’y a aujourd’hui aucune certitude quant à la répercussion du Brexit sur les frais d’inscription dans les universités britanniques. Un non-événement à nouveau.

Un point intéressant à ce sujet est qu’il concerne les jeunes, ceux dont on dit qu’outre-Manche, ils étaient largement pour que le Royaume-Uni reste enserré dans l’étreinte étouffante de l’Europe de Juncker, oubliant au passage qu’ils ont été très nombreux à s’abstenir. Les jeunes, ceux à qui, selon François Fillon, on devrait octroyer deux voix lors des élections parce qu’ils votent bien ; et une journaliste du Monde de surenchérir qu’il faudrait retirer le droit de vote – comme le permis de conduire – aux vieux, aux périmés, à ceux qui appartiennent à l’Histoire, qui ont fait leur temps mais qui ne devraient pas avoir droit de cité dans la construction du destin de leur pays, car l’avenir c’est la jeunesse qui le porte. Alors que les femmes se sont longtemps battues pour acquérir le droit de vote, c’est désormais l’une d’entre elle qui souhaiterait voir ce droit retiré à certaines catégories de population, se cachant ex post sous la bannière de l’humour et du second degré. Là encore, selon sa couleur politique, l’humour et le second degré peuvent ne pas être des excuses valables ; en général, seuls les gens dits de gauche y ont droit.

 

De manière cocasse, si les recommandations de Fillon et Bekmezian étaient appliquées en France, le Front national serait largement en tête au premier tour de l’élection présidentielle, et serait même en mesure de l’emporter haut la main au second tour. Il y a donc peu de chance de voir appliquer ces propositions ineptes en territoire bleu-blanc-rouge. Il faudra prêter une oreille attentive aux discours de ces deux farouches démocrates (sic) au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle de 2017. Il est fort probable de les entendre dire que les jeunes ne sont pas en mesure de prendre des décisions rationnelles pour l’avenir de la France, qu’ils se laissent emporter par l’émotion et la frustration ; que la sagesse des anciens doit être mise en avant, eux qui ont tant vécu et qui savent ce qui est bon pour nous.

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est diplômé de l'ENS Ulm et secrétaire général du Collectif "Usagers de la Santé", affilié au Rassemblement Bleu Marine.

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