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Vive l’ouvertitude !


Vive l’ouvertitude !

ouverture rolandeau

S’il y a une notion que l’on retrouve souvent de nos jours, c’est bien celle d’ouvertitude, cette attitude spontanée à être ouvert 24h/24h telle une enseigne clignotante bien en évidence sur le front. Dans une discussion, à un moment ou à un autre, la sentence tombera, implacable, aux allures de guillotine : « Faut être ouvert un peu ! ». Vous êtes cuit !

Cette attitude est éminemment hypocrite et narcissique car elle permet d’un seul coup d’un seul  de s’autoproclamer ouvert sans le dire et d’affubler l’autre de fermitude. « Ah, je suis trop bon de me voir ouvert alors que l’autre est fermé ! ». Car qui aurait le courage de se dire fermé ? La personne accusée de fermitude ou de manque d’ouverture voit alors les autres se tourner vers elle, bave dégoulinante aux lèvres, sourcils froncés tel un vieux professeur barbu et ringard pourtant abhorré d’habitude. Elle est disqualifiée de suite. Le lynchage, médiatique ou non, est alors permis. La honte est bue.

Sans même s’en rendre compte, cette notion totalisante, voire totalitaire, efface les traces de son intolérance et permet de clore le bec à n’importe quel détracteur ou critique qui remettait en cause telle ou telle idée, tel ou tel film (surtout les siens) fort bien considéré comme il se doit. Car vous l’aurez compris, vous devez être ouvert selon la définition de l’ « ouvert » seulement admise par on ne sait quelle divinité où tel mot brille par sa propre insignifiance. Au lieu de discuter, on ordonne tel un caporal. Au lieu d’argumenter, on pointe du doigt telle une injonction paradoxale (« Soyez spontané ! »). Bref, au moment où l’on proclame l’ouverture, on ferme ! Dans Logique du pire, le philosophe Clément Rosset écrit : « C’est qu’entre affirmer la tolérance, et la pratiquer, il y a une contradiction de principe. Se recommander de la tolérance suppose la reconnaissance de référentiels, de valeurs, à partir desquels il sera possible, sans doute, d’élargir quelque peu le champ du toléré, mais à partir desquels il sera aussi nécessaire d’exclure tout ce qui contredirait les principes qui ont rendu possible cette «  tolérance ». Il en est de même avec l’ouvertitude qui finira inexorablement par exclure autrui, c’est-à-dire en un mot comme en cent, à être fermé par rapport à lui ou à ses opinions. Mais le tour de passe-passe a eu lieu, vous êtes fermé !  Trop tard !

Cette notion d’ouvertitude permet de penser vite et bien, c’est-à-dire sans penser. Là est le miracle de l’ouvertitude, car le déclaré ouvert d’office et autoproclamé ne veut pas seulement paraître fermé, il veut qu’on le voie choisir l’ouverture d’esprit. Comme un comédien, il joue un rôle mais ne le sait pas. Sans avoir un argument à vous opposer, votre interlocuteur feignant de penser a réfuté tous les vôtres ! Vous êtes accusé de manquer d’ouverture, c’est-à-dire de vous prendre une attaque personnelle dans les dents là où vous critiquiez seulement un film, une petite chose de rien du tout. Ne tolérant pas que vous critiquiez ses goûts, votre interlocuteur se sent offensé et réagit en vous accusant de manquer d’ouverture. Evidemment, il ne dit pas que c’est par rapport à ses goûts qu’il considère ouverts comme la mer car pour lui la question ne se pose pas.

Votre cas s’aggrave évidemment si vous émettez un fort scepticisme envers le mariage homosexuel, telle ou telle Tarantinade, tel produit culturel à la mode qu’il faut aimer pour être ouvert dans les yeux des autres (la liste est sans fin comme la bande dessinée, les « mangagas », les films de série Z, les jeux vidéo, le rap et la techno et j’en passe), bref tout ce que le petit marché a mis à la disposition du public, dans son immense commisération, dans une époque en pleine mutation qui ouvre tout, les capitaux comme les désirs. Il faut dire que le public le lui rend bien, il en redemande, étant persuadé que ce qu’il aime est dû à son seul ressenti sans l’aide de personne. Lui est né spontané, libre, et ouvert ! Comme ça le bonhomme !

Après avoir manqué d’ouverture, si vous persistez, l’ouvertitude vous rétrogradera à un niveau inférieur et là, vous serez réactionnaire, vieux jeu, aigri, sentant le poussiéreux à plein nez. C’en est fini de vous. Vos amis vous lâchent, votre femme vous regarde d’un œil noir.  Vous êtes conspué mais c’est normal, vous n’aviez pas qu’à manquer d’ouverture. Ça ne se fait pas en société.

J’ai dit marché car évidemment, comme pour le « bougisme » décrit par Pierre-André Taguieff, l’ouvertitude est en phase avec ce que le marché libéral a décidé de promouvoir pour que chaque individu puisse consommer à son aise, n’offrant aucune limite à ses désirs et fantasmes d’autosatisfaction tel un hamster dans sa petite roue. « Désirez ce que vous voulez, nous sommes là pour produire et satisfaire la demande ! ». Et vous, avec votre sale fermitude, vous remettez des limites et vous culpabilisez le consommateur, à qui il ne reste plus grand-chose à se mettre sous la dent, dans ses choix immensément ouverts vers l’infini. Il ne le supporte pas et la sentence tombe. Vous pouvez toujours répondre que vous n’êtes pas ouvert à la médiocrité mais ce n’est pas suffisant, non, vraiment pas. Il faut être ouvert (ou tout vert).

*Photo : Farfahinne.



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Yannick Rolandeau est scénariste, cinéaste, enseignant et auteur du <em>Le cinéma de Woody Allen</em> et de <em>La mise en scène au cinéma</em> (Aléas) .

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