De Paris à Copenhague, l’antiracisme aveugle


De Paris à Copenhague, l’antiracisme aveugle

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Hallo, Olivier. Hvordan går du idag ? Comment ça va ce matin ?

– Hej Kai. C’est dur. Mais on tient. Hier, on était pris dans l’évènement. Les sirènes, les gens qui courent dans ta rue. Les tirs que tu entends de ta fenêtre… Ce matin, on réalise. On commence à réaliser. Le quartier est encore entièrement bouclé. Je ne sais même pas si je vais pouvoir sortir de chez moi acheter du pain.

– On pense à vous à Copenhague. Très fort même. Si après tu veux venir passer quelques jours chez nous, tu es le bienvenu.

– Ça ira, c’est gentil. Je ne veux pas quitter Paris, pas maintenant, pas après ça. Je ne veux pas déserter. Ils vont reprendre leurs « Pas d’amalgame ! »

Hvad mener du ? « Pas d’amalgame ! » c’est quoi ?

– C’est un slogan, une intimidation, ils la reprennent en boucle à chaque attentat.

– Oui, mais ça veut dire quoi ?

– Ça veut dire qu’il ne faut pas désigner l’ensemble des immigrés et des musulmans, ou l’Islam en général comme responsables des attentats.

– Hvorfor det ? Il y a des gens qui font cela ?

– Non, justement, personne ne fait ça, ce serait ridicule. C’est justement parce que personne ne pratique l’amalgame, qu’ils surenchérissent avec leurs « Pas d’amalgame ! ». C’est une sorte d’injonction paradoxale, comme quand on dit à une personne qui reste calme de ne pas s’énerver… et qu’on obtient qu’elle s’énerve. C’est une supplique de l’antiraciste au supposé raciste : deviens ce que je veux que tu sois…

Jeg forstår ikke, hvad du mener. Je ne comprends pas bien ce que tu veux me dire..

– Le truc, c’est que des gens, traqués par la violence islamiste et agacés par ce sautillement antiraciste perdent les pédales et prononcent des énormités. Dans ce cas, la culpabilité change de camp.

Det er klart. Je vois maintenant.

– Le slogan « pas d’amalgame » permet d’instiller le soupçon selon lequel, en notre for intérieur, nous pratiquerions l’amalgame. Il s’agit de dénoncer non pas des actes ou des propos, mais des pensées cachées. De victimes évidentes, nous devenons alors des coupables potentiels. Des coupables de racisme.

– Alors, le terroriste que l’on fait mine de condamner bien sûr, aurait malgré tout quelques bonnes raisons de…

– Exactement.

Utrolig. De er utrolig. Vous êtes incroyables vous autres Français.

– Oui. Ils le font systématiquement. Ils recommenceront : « Pas d’amalgame ! ». Même cette fois. Ce travestissement sournois du réel, c’est comme un deuxième assassinat.

– Tu exagères, c’est l’émotion.

– Peut-être. Mais c’est insupportable. Comme quand on dit « Dash » (même pas « Daèche ») pour ne pas dire Etat Islamique… Comme quand on nous répète à l’envi que tel ou tel personne recherchée serait « un Français », sans préciser son itinéraire. C’est du billard à deux ou trois bandes : le but est que nous disions, par réaction, qu’il n’est pas vraiment français, pas un etnisk fransk comme on dit au Danemark. Alors, bingo, nous serions racistes, donc, re-bingo, forcément coupables. Il s’agit toujours de renverser, de subvertir le réel. De faire de la victime, un coupable. Sournoisement. Par l’ellipse, l’euphémisme ou des alternatives soigneusement choisies, et obligatoires, comme cet « amalgame ou pas ».

– Au Danemark, nous disons les choses. Trop brutalement même.

– Peut-être, mais c’est ce que j’aime chez vous.

– Mais vous avez une pensée plus sophistiquée.

– Non, justement. Le but du « Pas d’amalgame ! » c’est d’interdire de penser. Il ne faut surtout établir aucun lien partiel, aucune circulation conditionnelle, aucune modulation de fonctionnement entre immigration, islam, islamisme, délinquance et terrorisme. L’injonction « Pas d’amalgame ! » suppose que tout lien que l’on chercherait à établir entre tel ou tel événement ou situation serait justement de l’amalgame. On poserait un signe « égale » entre différentes réalités, comme immigration et terrorisme, ou Islam et islamisme. C’est « Pas d’amalgame ! » ou amalgame. Soit on dit que les choses n’ont rien à voir entre elles, soit on dit qu’elles ont tout à voir. Entre les deux, rien.

– (rires) Comme dans vos menus : Ost eller kagene. Fromage ou dessert.

– Oui, prononcer d’emblée « Pas d’amalgame ! » interdit à tout adversaire de penser les modalités d’un lien entre l’inimitié du quotidien, l’incivilité, la délinquance et le passage à l’acte terroriste. Par la brutalité de son alternative, amalgame ou pas, le slogan antiraciste entend réduire à néant toutes les nuances et les prudences que l’établissement de ces liens rendrait intellectuellement et moralement nécessaires. Encore une fois : « Pas d’amalgame ! » n’est rien d’autre qu’une injonction paradoxale. Il s’agit d’interdire toute nuance afin que, justement, certains fléchissent et produisent de l’amalgame. L’antiraciste tient à son « mauvais objet ». Il le provoque et le réinvente si nécessaire.

Ja

– Que les événements de vendredi aient un lien avec notre passé colonial et l’immigration, avec une guerre d’Algérie qui se poursuit alors même que nous avons rendu les armes (et sans doute parce que nous les avons indéfiniment rendues), tout cela est proprement impensable dans la plupart des médias. Sauf bien sûr, dans l’hypothèse inverse qui, elle, a droit de cité : les terroristes et leurs soutiens seraient victimes de notre colonialisme persistant… Dans ce sens-là, on a le droit de penser.

– Mais enfin, vos Merah, Fofana, Nemmouche et consorts ils ne sortent pas de n’importe où… Ils ne sortent pas du néant. Vous ne pouvez pas faire l’économie de cela. Toi-même, tu m’expliquais la différence fondamentale entre la pensée germanique du mal, comme figure isolée sortie des ténèbres, et la pensée latine du mal comme production sociale qui engage la cité… Les Kouachi, les Coulibaly, les Salah Abdelslam, ils ne surgissent pas de nulle part !

– Pas d’amalgame, Kai !

– Mais enfin ! Vous êtes le pays de la pensée ! De Foucault, de Lacan, de Camus, d’Aron…

– On est aussi le pays de Laurent Joffrin… Ta francophilie danoise t’aveugle… Dis-moi, tu viens quand à Paris ? On a besoin de vous ! On mangera dans le onzième.



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