L’ami de la famille


L’ami de la famille

brasseur pierre comédien

Depuis le XIXème siècle, la Maison Brasseur fournit les planches et les plateaux en comédiens de qualité. Après 60 ans de métier et, pour la première fois, Claude Espinasse, c’est son vrai nom, fils de Pierre Brasseur et d’Odette Joyeux, se dévoile dans un livre d’entretiens avec Jeff Domenech. Souvent, les autobiographies d’acteurs célèbres fluctuent entre le désir d’embaumement et le règlement de comptes crapoteux. Brasseur a trop de pudeur et de savoir-faire pour tomber dans ces travers-là.

Ennuyer le public (ses lecteurs ici) serait une faute de goût impardonnable et indigne pour celui qui se présente, à presque 80 ans, comme un honnête artisan. La modestie, la volonté de ne pas tricher, un certain sens de l’honneur et de la fidélité, sont des notions bien étrangères au monde du cinéma qui perd la tête à la moindre starlette américaine…grassouillette. Si le 7ème art ne vous fait que très rarement monter au 7ème ciel, si vous en avez marre des Miss Météo césarisées, des films écrits à la truelle et éclairés à la pile électrique et que votre cœur ne s’enflamme que pour Gabin, Ventura, Jouvet, Denner ou Girardot, ce livre vous réconciliera avec ces inimitables saltimbanques.

Un dimanche soir avec eux dans le poste, au théâtre ou sur la toile, c’était l’assurance de vivre mille vies à la fois. Dire qu’ils étaient plus utiles que nos professeurs et nos confesseurs serait un doux euphémisme. Ils ont été essentiels dans notre construction d’homme ou de femme (parité oblige sinon cet article sera censuré) comme dirait un(e) étudiant(e) en première année de psycho. A force de ne parler que de cachets miraculeux, de promotions assommantes et de box-office fluctuant, on avait oublié combien le métier d’acteur est beau, simple, intelligent quand il est pratiqué par un maître tel que Claude Brasseur. Sa « carrière », il n’aimerait pas cette métaphore productiviste, est gigantesque ! Les derniers géants du cinéma français ne sont plus qu’une poignée (Belmondo, Delon, Marielle, Bouquet et quelques autres). Et même si Brasseur n’a pas dit son dernier mot, il est en ce moment à l’affiche de La Colère du Tigre au théâtre Montparnasse en compagnie de l’excellent Michel Aumont.

Son parcours ferait rougir de honte n’importe quel apprenti comédien, qui sous prétexte d’être passé dans une série télévisée, s’imagine arrivé. Je conseille à ces impétrants de lire et méditer cette longue conversation. Car ils pourront s’estimer heureux et chanceux s’ils vivent un petit quart de cette existence folle. Des preuves, en voici : enfant, il a sauté sur les genoux de Montand et Signoret ; son parrain était surnommé Papa (Ernest Hemingway) à la Havane ; le soir, avant de se coucher, il partageait un pot-au-feu avec Maria Casarès, Jean Vilar, Louis Jouvet et Jean-Paul Sartre ; il a vu la Libération de Paris de son balcon ; au collège, ses camarades de classe s’appelaient Jean-Jacques Debout, Philippe Noiret et Jacques Mesrine ; jeune homme, il a été assistant photographe à Match ; il a reçu les félicitations de Marcel Pagnol pour sa première pièce ; au Conservatoire, il a fait partie de la génération bénie des dieux de la scène : Marielle, Rochefort, Rich, Cremer, Vernier, Beaune, la délicieuse Françoise Fabian et l’inégalable Belmondo ; appelé du contingent, il a crapahuté trois années sous le soleil des Aurès ; il a été marié à Peggy Roch, la tendre amie de Françoise Sagan ; à la télévision, il a été Sganarelle et Vidocq ; au cinéma, le père et l’amant de Sophie Marceau ; il a fait du vélo avec Stephen Roche ; il a gagné le Paris-Dakar avec Jacky Ickx ; il a été champion de France de bobsleigh ; il a possédé une Ferrari 275 GTB ; il a tourné pour Godard et Onteniente ; il a été dentiste, vétérinaire, vendeur de voitures, juge, collectionneur, commissaire de police ou banquier ; et bien plus encore…Alors pour tout ça, Merci Claude!

Merci ! Brasseur – Père et fils – Maison fondée en 1820 avec Jeff Domenech – Flammarion

* Photo : UNIVERSAL PHOTO/SIPA.00611448_000002



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Un dealer à la NRF
Article suivant La foire aux décibels
Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération