Moins d’une OQTF sur 10 est exécutée en France. Philippine serait encore vivante avec une législation adaptée.
Philippine Le Noir de Carlan était une jeune fille souriante, studieuse et bien élevée. Elle aurait pu être votre sœur, votre fiancée, votre cousine, votre amie ou votre fille. Étudiante sans histoire à l’université Paris-Dauphine, elle a disparu vendredi 19 septembre aux alentours de 14 h après avoir été aperçue pour la dernière fois au restaurant universitaire. Son corps supplicié a été retrouvé enterré à la va-vite au cœur du Bois de Boulogne. Elle a été violée, volée et finalement assassinée par un homme dont elle n’aurait jamais dû croiser la route.
Le premier viol du suspect avait marqué les esprits des policiers
Si toutes les précautions avaient été prises, Taha O. ne se serait d’ailleurs pas retrouvé sur son chemin.
Interpellé le 24 septembre alors qu’il était en fuite à Genève, Taha O. est un ressortissant marocain de 22 ans né dans la ville d’Oujda, située à l’est du Maroc près de la frontière algérienne. Venu en France en juin 2019 muni d’un visa touristique pour une durée allant du 13 juin au 27 juillet, il n’est évidemment pas reparti chez lui. Première faille dans cette histoire symptomatique de tous nos errements en matière migratoire, Taha O. avait évidemment été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance du Val-d’Oise… Quelques semaines plus tard, il violait une étudiante de 23 ans sur un chemin forestier en forêt de Taverny, à quelques encablures du foyer où l’État français le prenait en charge à l’aide de nos impôts. Il fut pour cela condamné à une peine de sept années de prison ferme en 2021. Il ne l’a bien sûr pas effectuée jusqu’au bout.
Le viol commis alors par Taha O. a durablement marqué les esprits des enquêteurs, comme le montre le poignant témoignage de Frédéric Lauze dans le journal Le Figaro. L’ancien chef de la police du Val-d’Oise se souvient d’un « prédateur sexuel très dangereux » malgré son jeune âge. Il raconte aussi que sa victime n’a eu la vie sauve qu’en dupant le psychopathe, lui faisant croire qu’elle avait l’intention de le revoir. Se disant « ému » mais aussi « en colère », Frédéric Lauze reproche dans ce même entretien l’inconscience du juge des libertés en charge du suivi de l’affaire. Il a pleinement raison, tant ce drame aurait pu et dû être évité dans un pays mieux organisé pour lutter contre une criminalité exogène particulièrement redoutable. Ces propos trouvent d’ailleurs un écho chez l’avocat Thibault de Montbrial, président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure, qui a lui estimé que la justice avait été dans ce cas « irresponsable ».
Erreur d’appréciation majeure
Comment donc Taha O. a-t-il pu se trouver dans les rues et commettre son atroce forfait ? Sorti de la prison de Joux-la-Ville (Yonne) le 20 juin 2024 grâce à un « aménagement classique des peines », le Marocain a été placé immédiatement en centre de rétention administrative après avoir été notifié d’une obligation de quitter le territoire français. C’est la loi dite « Immigration » du 26 janvier 2024 qui fait autorité en la matière. Elle est complétée par le décret n° 2024-813 de juillet 2024 prévoyant « les conditions d’assignation à résidence et de placement en rétention ». Sur le site service-public.fr, des explications et détails sont donnés quant aux différentes procédures. On y apprend ainsi que « la rétention administrative permet de maintenir dans un lieu fermé (centre de rétention administrative) un étranger qui fait l’objet d’une décision d’éloignement, dans l’attente de son renvoi forcé ». Décidée par l’administration, cette rétention est limitée à 90 jours, sauf en cas d’activités terroristes.
Concernant Taha O., nous étions dans un cas de décision de placement en rétention, après une période d’incarcération. La décision initiale a donc été ici prise par un préfet. L’éloignement de Monsieur O. n’ayant pas pu intervenir dans les 48 heures après son placement en rétention, les autorités marocaines ayant dû procéder à la vérification de l’identité du criminel, puisque ce dernier avait comme c’est toujours le cas « égaré » ou plus sûrement détruit ses papiers d’identité, le préfet a dû décider d’une première prolongation de la rétention de 28 jours francs. Ce n’est qu’à l’issue de ce délai que le juge des libertés et de la détention a été saisi. Il a eu 18 heures pour statuer et a prolongé de 30 jours francs pour plusieurs motifs en l’espèce (destruction des papiers d’identité, laissez-passer consulaire non délivré en conséquence, mais aussi menace réelle à l’ordre public).
Le drame s’est ensuite joué à l’expiration de ce second délai. De fait, une prolongation supplémentaire de la détention pouvait être demandée par le préfet et autorisée par le juge des libertés et détentions qui a pourtant choisi de placer Monsieur O. en « résidence surveillée » à l’hôtel, alors que le Maroc délivrait le laissez-passer consulaire permettant l’expulsion après avoir acquis la certitude qu’il s’agissait d’un de ses sujets le lendemain. Comme on pouvait l’imaginer, l’assassin présumé a profité du fait que la surveillance était relâchée pour s’échapper dans la nature. Il y a eu là une erreur d’appréciation majeure et une forme de démission des autorités. La dangerosité criminelle du profil aurait dû obliger à la persévérance. Des responsables doivent être désignés et sanctionnés. Le législateur et le préfet ne sont pas en reste dans cette liste. En effet, le préfet de l’Yonne a mal adressé la première demande de laissez-passer consulaire au royaume du Maroc. Une boite mail dédiée existe, ce que semble avoir ignoré la préfecture. Pis : des sources concordantes indiquent que le Maroc a averti ses homologues français que la première demande d’éloignement était mal rédigée dès le 24 juin ! Quant au législateur, sa rédaction de l’article 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) fait débat. La loi Immigration prévoit bien que la menace pour ordre public autorise une prolongation de la durée de rétention portée à 90 jours, mais le texte précise que ce trouble doit avoir été commis pendant la dernière période de prolongation… N’ayant commis aucun trouble durant les 15 derniers jours de sa rétention administrative, Taha O. a donc bénéficié de la clémence du juge qui a conclu que les conditions légales d’une nouvelle détention n’étaient pas réunies… tout en reconnaissant l’extrême dangerosité du personnage. La lettre plutôt que l’esprit de la loi.
Il faut néanmoins savoir que le contentieux des étrangers représente 50% de l’activité des tribunaux administratifs. Les juges des tribunaux administratifs doivent donc faire constamment du droit des étrangers en plus des autres dossiers qui leur sont attribuées en fonction de l’organisation locale. Le pourcentage des contentieux concernant le droit des étrangers tombe à 30% en appel et, tout de même, encore 20% devant le Conseil d’état en cassation. Colossal. C’est dire l’ampleur du problème.
Que faire ?
Il faut complétement rénover la législation en matière de rétention des immigrés en situation d’illégalité. D’abord, l’ « OQTF » n’est au fond qu’une invitation à partir. Il ne s’agit pas du tout d’une obligation de fait. Une expulsion à l’issue d’une peine de prison doit être préparée en amont de manière à ce que le criminel soit renvoyé immédiatement dans son pays d’origine. Il faut pour cela mieux coordonner l’action des différents services pénitentiaires, judiciaires et administratifs. Il faut aussi aligner le régime des criminels et délinquants de droit commun sur celui appliqué aux terroristes. Mieux encore : une personne ayant détruit ou égaré volontairement ses papiers et justificatifs d’identité étrangers devrait être placée en centre de rétention pour une durée indéterminée jusqu’à ce que son expulsion physique soit matériellement possible. Ce sont là des mesures de bon sens absolu que le gouvernement Barnier devrait tout faire pour mettre en place.