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A quoi sert Bernard Kouchner ?


A quoi sert Bernard Kouchner ?

Du temps de sa splendeur et de son million d’exemplaires vendus chaque jour, le France Soir de Pierre Lazareff avait une politique originale en matière de ressources humaines : Pierrot-les-bretelles recrutait à tour de bras des « plumes » journalistiques et littéraires sans autre obligation pour ces dernières que celle de ne pas écrire pour la concurrence. Peu importait qu’ils alimentent ou non les colonnes du journal, l’essentiel étant de « geler » ces talents en les payant grassement à ne rien faire. C’est ainsi que Françoise Sagan émargea longtemps au quotidien de la rue Réaumur sans que les lecteurs de France Soir s’aperçoivent que la romancière à succès faisait partie de la maison…

Cette méthode a été adoptée par Nicolas Sarkozy dans sa politique d’ouverture de son gouvernement à des personnalités politiques venus de l’autre rive : Bernard Kouchner, Jean-Pierre Jouyet, Jean-Marie Bockel, Fadela Amara, Martin Hirsch.

Tous ne sont pas des potiches décoratives destinées à perturber, par leur seule présence au gouvernement, les électeurs de gauche.

Jeau-Marie Bockel s’est essayé, à la Coopération, à critiquer la « Françafrique » et les potentats stipendiés par Total, Bouygues, Lafarge et consorts. Cela l’a conduit tout droit au secrétariat d’Etat aux Anciens combattants. Jean-Pierre Jouyet « fait » la politique européenne de Sarkozy avec l’ambassadeur à Bruxelles Pierre Sellal, lui aussi proche de la gauche. Fadela Amara et Martin Hirsch s’attachent avec opiniâtreté à défendre les dossiers qui leur tenaient à coeur avant leur entrée au gouvernement : la promotion des jeunes des « cités » pour la première, le revenu minimal d’activité pour le second.

Mais Kouchner ? Quel usage en fait le président de la République hormis d’avoir, en le nommant au Quai, neutralisé un adversaire politique doté d’une cote de popularité inoxydable ? Tous ceux qui suivent d’un peu près l’évolution de la diplomatie française ont constaté que la rupture bien réelle opérée avec la politique étrangère chiraco-villepiniste est l’oeuvre d’un trio aussi discret qu’efficace composé de Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée, Jean-David Lévitte, chef de la cellule diplomatique de Sarkozy, et Gérard Araud, directeur des affaires politiques et stratégiques du Quai d’Orsay, ancien ambassadeur en Israël.

Si l’on ajoute à cela la nomination, comme dircab du ministre, de Philippe Etienne, vieil habitué des cabinets de droite et spécialiste des questions européennes, on voit que notre Bernard est bien « cadré », et contraint, lui, le paladin des droits de l’homme, d’avaler forces couleuvres realpoliticiennes à propos du Tibet, de la Libye, de la Syrie…

La preuve que Nicolas Sarkozy considérait comme purement honorifique et comme une simple manoeuvre de politique intérieure la nomination d’une personnalité de gauche au Quai d’Orsay, c’est qu’il a hésité entre deux candidats, Hubert Védrine et Bernard Kouchner, dont les positions sur les grands problèmes géostratégiques sont aux antipodes l’une de l’autre. Ainsi Védrine qualifie d’Irrealpolitik l’agitation droit-de-l’hommiste du fondateur de Médecins sans frontières. Peu importait, au fond, les convictions de la personnalité choisie car la ligne était tracée d’avance : réconciliation avec Washington, prise de distance avec l’Allemagne, réintégration du commandement intégré de l’OTAN, liquidation de la « politique arabe » de la France et chaleureux rapprochement avec Israël.

L’utilité de Kouchner n’est cependant pas seulement décorative : il peut aussi servir de leurre, de trompe-couillon dans certains dossiers délicats. Ainsi l’a-t-on laissé s’échiner dans une entreprise de réconciliation des factions libanaises, dans laquelle il se posait en garant de l’indépendance du pays face au puissant voisin syrien, pendant que l’Elysée prenait discrètement langue avec Damas pour gagner Bachar el Assad au projet d’union pour la Méditerranée. Le prix de sa présence à Paris les 13 et 14 juillet : on « oublie » la résolution 1559 de l’ONU exigeant le démantèlement de toutes les milices libanaises et on reconnaît le droit de regard de Damas sur la vie politique du pays du Cèdre. Le seul cri de révolte du ministre manipulé a été de déclarer que la visite à Paris de Bachar El Assad « ne le remplissait pas d’aise », ce qui, on en conviendra, est de nature à faire rentrer sous terre ceux qui l’ont organisée…

Alors, Monsieur, que fait un ministre qui n’a que peu ou même rien à faire ? Eh bien il nomme, monsieur ! Il distribue postes et prébendes dans notre vaste réseau d’ambassades, instituts culturels et médias dont le Quai d’Orsay assure la tutelle. Et comme charité bien ordonnée commence par soi-même, on fait nommer sa compagne, Christine Ockrent comme n° 2 de la holding mise en place pour gérer l’audiovisuel extérieur de la France, suscitant à travers le monde quolibets et ricanements des concurrents qui mettent en doute, les grossiers, l’indépendance éditoriale de la « CNN à la française ».

Plusieurs décennies d’intense activité germanopratine – Bernard a été naguère l’un des piliers de la section socialiste du 6e arrondissement – ont valu au « french doctor » un important réseau d’amitiés dans la presse et l’édition, qui a continûment chanté les louanges de la vedette humanitaire, puis politique. Comme il est loin d’être un ingrat, il s’efforce de renvoyer l’ascenseur à ceux qui, au fil des années, l’ont fait monter au firmament des sondages. Ainsi, il a promu au prestigieux poste de conseiller culturel en Israël son amie Annette Lévy-Willard, journaliste à Libération, à la grande fureur de l’ambassadeur en place, pourtant réputé de gauche, Jean-Michel Casa, qui ne croit pas que Mme Lévy-Willard ait les qualités nécessaires pour s’imposer dans les milieux universitaires et culturels israéliens. Son prédécesseur, l’ethnopsychiatre de renom Tobie Nathan espérait, lui, obtenir le poste de directeur du centre de recherche français de Jérusalem, antenne locale du CNRS, où il aurait pu poursuivre son travail de mise en relation des universitaires français et israéliens. Las ! Bernard avait une bonne manière à faire à un autre ami, David Kessler, directeur de France Culture, dont l’épouse Sophie Mesguich, professeur d’hébreu à l’université Paris III, briguait le même poste. Pour calmer Jean-Michel Casa, il a été décidé de reporter d’un an le départ d’Annette pour Tel Aviv, en espérant qu’elle finira par se lasser…

Philippe Berthelot (1866 -1934), figure mythique du Quai d’Orsay sous la IIIe République, avait coutume de répondre de la manière suivante aux ministres qui voulaient attribuer des postes diplomatique à des amis : « Si vous avez une personnalité hors du commun à me proposer, je suis prêt à m’incliner. En revanche, s’il s’agit d’un imbécile ou d’un incompétent, nous avons tout ce qu’il faut dans la maison. »

Photographie de une : Olivier Roller.



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