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Pour parler anglais ? Regardez la télé !


Pour parler anglais ? Regardez la télé !

Tout Français a déjà fait l’humiliante expérience de s’exprimer en anglais et de susciter, chez ses interlocuteurs, des regards perplexes. Comment apprendre aux enfants à parler anglais ? Cette question soucie légitimement le ministre de l’Education vu le faible niveau en langue anglaise de nos têtes blondes. Pourtant, la solution ne se trouve pas à l’école.

Cette difficulté est fort ancienne, même si, longtemps, elle ne fut pas perçue comme difficulté, dans la mesure où les gens comme il faut parlaient français partout. Cet état de fait a malheureusement disparu et il n’est plus possible de se faire comprendre autour du monde si on n’a à sa disposition que l’idiome de Molière, Rabelais et Alphonse Allais réunis.

Dès lors donc que le monde refuse désormais d’apprendre la langue universelle, il nous faut universaliser nos connaissances linguistiques : si les étrangers ne viennent plus au français, c’est nous qui irons aux étrangers !

Les deux Français les plus doués pour l’anglais furent sans doute, jusqu’à présent, Athos (alias le comte de La Fère) – on apprend ce détail dans Vingt ans après d’Alexandre Dumas (& cie) – et Clemenceau (alias le Père la Victoire). Lorsqu’on s’en étonnait auprès d’eux, ils faisaient la même réponse : « L’anglais, c’est du français mal prononcé. »

Cette piste est malheureusement inutilisable dans la mesure où, la plupart du temps, nos écoliers comme nos journalistes prononcent mal l’anglais et le français.

L’enseignement traditionnel des langues se souciait fort peu d’apprendre aux élèves à s’exprimer, et beaucoup plus de développer leur aptitude à comprendre ce qu’ils lisaient. Le modèle était l’apprentissage des langues anciennes qu’on ne se soucie pas de prononcer (la prononciation érasmienne du grec reste une complète aberration !), ni de comprendre correctement à l’oral.

Au passage des XIXe et XXe siècles, apparut une méthode intitulée « la méthode directe », dont Sartre parle abondamment dans Les mots, car c’était celle que pratiquait son Alsacien de grand-père dans son enseignement ; elle consistait à s’adresser d’emblée et uniquement aux élèves dans la langue qu’on voulait leur enseigner. C’est une version améliorée de cette méthode qui a généralement cours aujourd’hui, à cette réserve que les explications sont données dans la langue connue (ou supposée telle) de l’élève.

Le problème, c’est que cette méthode directe – qui consiste à apprendre à nager en plongeant dans la piscine – n’est efficace qu’avec un petit groupe, car l’enseignant doit sans cesse s’assurer que ses élèves comprennent vaguement ce qui se dit. Résultat, nos élèves n’entendent ni ne lisent les langues étrangères, pas plus qu’ils ne savent les écrire ou les parler. Au moins la méthode traditionnelle leur apprenait-elle les bases de la morphologie et de la syntaxe. La nouvelle, certes, les fait parler. Mais si peu.

Dans le débat entre « fondamentalistes » (attachés à la maîtrise des savoirs fondamentaux) et « pédagogues » (attachés au développement de l’enfant – dût-il développer sa seule ignorance), les derniers sortent souvent une botte efficace consistant à s’extasier sur les pays nordiques – où, indéniablement, on parle anglais. Mais ce qu’on sait peu, c’est que les enfants n’apprennent pas l’anglais à l’école. Le jour de leur premier cours, ils le parlent et le comprennent déjà couramment. Ils l’ont appris en regardant la télévision. C’est elle qui pratique la méthode directe.

Comme les nôtres, leurs écrans sont saturés de programmes anglo-américains, souvent stupides mais pas toujours. Seulement, eux les diffusent en version originale, si bien qu’avant dix ans, les enfants ont entendu tant d’anglais qu’ils le connaissent.

Le ministre veut que nos lycéens soient bilingues – encore faudrait-il définir ce terme. À cette fin, il propose des stages d’anglais pendant les vacances scolaires. Il est certain que les lycéens pourront y faire des progrès, en anglais et dans d’autres domaines. Mais pour devenir bilingue, c’est beaucoup trop tard.

Si nous voulons que nos enfants soient bilingues, exigeons que les programmes anglo-américains soient diffusés en « vo sous-titrée ». Tant qu’à regarder des âneries, autant qu’ils apprennent quelque chose en même temps.

Donc, apprendre à parler anglais, ça ne se fait pas à l’école mais à la télévision.

Mais et les autres langues, me dira-t-on ? Et l’apprentissage de l’anglais écrit ? C’est précisément le boulot de l’école : apprendre à écrire et à parler correctement l’anglais et les autres langues. Laissons à la télévision l’apprentissage de l’anglais d’aéroport et les professeurs de langue pourront à nouveau enseigner la littérature anglophone ou d’autres langues que les élèves apprendront sans visée utilitaire. Pour le bonheur de se cultiver.



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A 32 ans, Cyril de Pins est professeur agrégé de philosophie. Traducteur, il poursuit des recherches en histoire de la linguistique.

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