Tariq, le grand frère


Tariq, le grand frère
Tariq Ramadan (février 2016). Sipa. Numéro de reportage : AP21855092_000001.
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Tariq Ramadan (février 2016). Sipa. Numéro de reportage : AP21855092_000001.

Au lendemain de l’arrestation en Belgique de Salah Abdeslam, Tariq Ramadan tient tribune à Carros, dans les Alpes-Maritimes, à quelques encablures de Nice. Et devant 200 spectateurs, plus ou moins proches de la Fédération des musulmans du Sud, il déclare trouver « important » de pouvoir entendre le premier protagoniste des attentats de Paris « qu’on arrête vivant ». « Vivant » ? Quelques heures plus tôt, il se faisait plus clair, expliquant sur sa page Facebook que « tant de suspects ont été tués ou sont disparus sans que nous ne puissions savoir de quoi il retourne : espérons qu’il restera en vie ou que des raisons (d’Etat ou de sécurité) ne nous empêcheront pas de l’entendre. »  Notre homme sait marcher sur le fil, pareil à un équilibriste. Il maîtrise l’art d’en dire juste assez pour séduire son public, mais pas trop surtout, pour ne pas être pris en défaut. Ainsi, introduit-il une pincée de complotisme, sans avoir l’air d’y toucher vraiment…

Djihad de l’amour

Il en va de même pour la suite. L’auteur de best-sellers de la planète islam a beau réaffirmer sa condamnation « claire » et « ferme » des exactions de Daech et de Boko Haram dont les partisans, selon lui, « tordent l’islam » et « mentent », il servira à ses ouailles un propos tout en contorsions et dont les ressorts, au final, sont dignes des discours des coachs en développement personnel. La conférence de l’intellectuel relève en effet le plus souvent de la leçon de vie et, à l’occasion seulement, prend de fugaces accents de prêche politique. Le seul djihad évoqué sera par exemple celui de l’amour.

Notre homme se défend d’ailleurs de présenter un trouble à l’ordre public. Le patron de la salle dans laquelle il intervient cet après-midi-là est salué pour avoir « tenu bon » face aux attaques. La salle, en lisière de zone industrielle, accueille d’habitude des mariages de la communauté musulmane. Samedi, pas de youyous donc, mais des applaudissements nourris par les fidèles du petit-fils du fondateur des Frères musulmans qui l’écoutent doctement.

Lui aimerait sans doute plus de visibilité : « La France est le seul pays au monde où je ne peux pas mettre un pied à l’université alors que dans les cinq dernières années j’ai eu à refuser treize universités qui me demandaient à être prof là-bas. » Voilà pourquoi il a fini par occuper une chaire à Oxford généreusement financée par le Qatar ? Lui préfère en tout cas pointer du doigt « ceux qui traitent avec l’Arabie saoudite », un pays qu’il n’hésite pas, au passage, à décrire comme « le centre ténébreux » de la foi de l’islam. La bonne vieille rivalité entre les Frères musulmans, dont il se défend d’être tout en soutenant leur organisation égyptienne, et le salafisme-wahhabisme saoudien, n’est sans doute pas pour rien dans son « Riyad-bashing ».

Mes biens chers frères…

Dans le registre du télévangéliste islamique, Tariq Ramadan s’adresse donc à ses « sœurs » et ses « frères » pour exposer sa vision du bon musulman. Respect, générosité, patience, persévérance, don, espoir, dignité, partage, résilience. Convoquant tour à tour Socrate, Cat Stevens, Honoré de Balzac, Nelson Mandela, il dispense ses préceptes comme le feraient « Pascal, le grand frère » ou « Super Nanny ». Quitte à parfois surprendre. L’enseignant à Oxford enjoint par exemple aux hommes de participer aux tâches du foyer, conseille à toute la famille d’assister aux réunions scolaires parents-profs et invite l’assistance à veiller à son hygiène de vie et à proscrire les excès. Il se fait même grave quand il s’agit de violence conjugale, qu’il juge « anti-islamique » par essence.

Et le moratoire qu’il se contente de demander à propos de la lapidation des femmes et que ses détracteurs brandissent régulièrement, y voyant une preuve de sa complaisance à l’égard des extrémistes ? Il leur répondra dans le journal local Nice-Matin : « Je l’ai dit depuis le départ : je suis totalement opposé à la lapidation. J’ai la même position que Amnesty international : c’est de demander un moratoire. On ne peut pas aller directement à la condamnation, qui implique la condamnation de textes religieux. Le moratoire est une première étape qui doit ouvrir un grand débat pour aboutir à l’abolition de la lapidation. » Si la finalité est bien celle-là, on a du mal à comprendre pourquoi il veut prendre des chemins de traverse. Est-il vraiment nécessaire de « débattre » de la lapidation ? Et de quoi faudrait-il débattre ? De la taille des projectiles à employer ? À moins que Tariq Ramadan craigne de critiquer ceux qui, parmi les musulmans, ont une vision un brin rigoriste du Coran…

En bon prêcheur, le micro tenu du bout des doigts, Ramadan essaye de convaincre son auditoire de la nécessité de l’engagement des musulmans de France. « Notre valeur ajoutée c’est la contribution à la société dans l’espoir de la société plurielle », indique-t-il, suggérant de franchir le pas de l’engagement en politique. On comprend mieux sa love story avec Edwy Plenel, le grand chantre de la France multiculturelle en croisade contre « l’islamophobie », qui fait fréquemment tribune (et cause) commune(s) avec son frère Tariq.

Du quasi Houellebecq dans le texte

Mais s’engager où ? Au sein d’un Parti des musulmans de France, comme le prophétise Houellebecq dans Soumission ? Tariq Ramadan ne le dit pas. Mais, comme il le déclare au quotidien régional, il n’y a à ses yeux pas un parti pour rattraper l’autre : le « FN a gagné », analyse Ramadan, en installant son discours « chez les socialistes et les Républicains, chez Valls ou Sarkozy… » Et quand Mohamed, qui fut « le premier à Nice à l’inviter il y a vingt-cinq ans », lui demande pourquoi la France a un problème avec l’islam, son invité reprend mot pour mot les éléments de langage multicus du patron de Mediapart qui peut jubiler. Vous l’ignorez peut-être mais la France « est un pays musulman. La langue française fait partie de l’islam, l’islam est une religion française. »

Après deux heures de monologue et une demi-heure de questions-réponses, Ramadan superstar est finalement assailli par les demandes de selfies et de dédicaces. Un des participants joue des épaules pour atteindre le micro : la 14e Rencontre annuelle des musulmans du Sud, annonce-t-il, sera organisée à Marseille par l’UOIF dimanche 27 mars, en présence de Tariq le grand frère qui y causera « vivre ensemble ». Nul doute que son discours est déjà rôdé.



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est journaliste.

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