Syrie, Crimée: la grande vadrouille des députés


Syrie, Crimée: la grande vadrouille des députés

députés Crimée Syrie

Du 22 au 25 juillet, dix députés et sénateurs français se sont rendus en Crimée, décidant de passer outre les recommandations de Claude Bartolone et Gérard Larcher. Leur voyage, malgré son caractère officieux, a soulevé une vague de réactions indignées – comment osaient-ils se rendre dans ce territoire considéré par la France, l’UE ainsi qu’un grand nombre d’autres pays comme illégalement annexé par la Russie et justement soumis à des sanctions ? En France, Laurent Fabius a condamné cette visite qu’il a qualifiée de violation du droit international, puisque la Crimée est toujours considérée par la France comme un territoire ukrainien. Bruno le Roux, président du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale, a quant à lui honte de ce voyage : « Une honte que ces dix parlementaires se rendent en Crimée sans avoir le moindre rapport avec les autorités ukrainiennes »… soutenues par la France. En Europe aussi, l’évènement n’est pas passé inaperçu, surtout chez ceux qui se considèrent comme étant en première ligne face à Moscou. Ainsi, le ministre letton des Affaires étrangères, Edgars Rinkevics, a pointé du doigt l’indignité d’une telle visite : « une honte pour l’Europe » qui porte « un coup dur à la solidarité européenne », a-t-il gazouillé sur Twitter.

Ce genre de visites – et les polémiques qui les accompagnent – n’est pas nouveau. On se souvient encore de ces députés français qui s’étaient rendus en Syrie contre l’avis du gouvernement et les positions diplomatiques françaises. A l’époque comme aujourd’hui, ces initiatives soulevaient plusieurs questions. La plus importante concernait les limites de la contestation légitime de l’opposition en politique étrangère. Dans le cas de la visite en Crimée, une deuxième question doit être débattue : celle de la solidarité entre élus car, rappelons-le, le voyage officieux de cette dizaine de parlementaires LR et d’un député du Parti Radical de Gauche a été organisé suite à l’inscription sur la liste noire de la Russie de Bruno le Roux. Cette décision du Kremlin avait causé, il y a un mois, l’annulation d’une visite officielle de parlementaires français en Russie.

Commençons par l’essentiel : cette visite est légale et même ses contradicteurs les plus véhéments n’ont pas proposé de changer la loi pour interdire ce genre d’initiatives. On peut donc en conclure que la logique donnant aux élus de la Nation une très large marge de manœuvre et d’action dans l’exercice de leur mandat n’est pas contestée. Il faut rappeler aussi que, lors du précédent syrien, et malgré les menaces, ni Gérard Bapt (PS)[1. Il devait être poussé à démissionner de son poste de président du groupe parlementaire du groupe d’amitié France-Syrie.] ni Jacques Myard (LR) – l’un des membres de la délégation en Crimée – ni leurs deux autres camarades n’avaient finalement été sanctionnés pour s’être écartés de la ligne française.

En ce qui concerne la légitimité du voyage, la réponse est plus compliquée. Ces parlementaires en goguette semblent faire fi du problème de la solidarité des élus : acceptent-ils le droit d’un gouvernement étranger de boycotter un de leurs, dans ce cas précis, Bruno Le Roux ? En se rendant en Crimée, ils ont répondu oui sans même motiver cette position.

En revanche, vu le débat français sur la question russe en général et la crise ukrainienne en particulier, cette délégation garde une certaine légitimité. Face à l’unanimisme antirusse du gouvernement et de la majorité, elle a le mérite de rappeler la complexité de la société française, loin d’avoir une opinion monolithique sur la situation de la Crimée et sur le président russe Vladimir Poutine. Dans une époque marquée par des changements diplomatiques et géostratégiques aussi rapides que profonds, il n’est pas sans intérêt d’avoir plus d’une carte dans notre manche et ce genre de voyage permettrait, le jour venu, de recréer une continuité des relations. Laurent Fabius, bien informé de la complexité de notre diplomatie puisqu’il s’apprête à se rendre en Iran, ne doit pas l’ignorer.

Pourtant, même si on est loin du chœur d’indignés, force est de constater que certains comportements et discours des membres de l’équipée criméenne ne portent pas la marque du sérieux. Car, qu’on le veuille ou non, un élu est toujours, quoi qu’il fasse et où qu’il se rende, en représentation. Même quand il affiche un désaccord profond avec la politique de la France, il parle tout de même en son nom.

Ainsi, le fait que Thierry Mariani, député LR et ancien ministre de Nicolas Sarkozy, se soit affiché avec un t-shirt à l’effigie de Poutine et Obama qui s’est avéré être une insulte à l’encontre de ce dernier, n’est ni à son honneur ni à celui de la France. Mystifié par un jeune homme qui passait par là, Mariani a ensuite présenté ses excuses. Un autre député avait fait montre du même manque de recul : le député LR Jean-Frédéric Poisson.

Le 12 juillet, suite à une rencontre à Damas avec Bachar Al-Assad, le député des Yvelines a déclaré au Figaro que « l’échange a duré 1h20 et s’est très bien passé. Il est courtois, souriant, moderne dans sa manière de parler, pas du tout guindé. Entre l’image de boucher et celui que j’ai rencontré, on ne doit pas parler du même homme ». Même si l’on pense qu’une critique de la politique française en Syrie est légitime, comme la recherche d’alternatives et le maintien du contact avec un acteur majeur du conflit, la remarque de M. Poisson laisse songeur. Conteste-il le bilan désastreux du régime ? Approuve-t-il le largage par hélicoptère des barils d’explosifs, arme improvisée et imprécise, sur des centres urbains ? S’attendait-il peut-être à rencontrer un homme portant un tablier ensanglanté ? Penser qu’Assad fait partie de la solution, soutenir que pour protéger les chrétiens et autres minorités en Syrie cet homme et son régime sont un moindre mal est une chose, suggérer qu’il serait la victime innocente d’un complot en est une autre. Quand l’argument principal est la complexité de la situation, quand on propose une dose de realpolitik, il faut surtout éviter de tomber dans le piège qui consiste à dire blanc chaque fois que l’adversaire dit noir. Nous sommes après tout au royaume du gris.

*Photo : Flickr.com



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent De quoi Têtu est-il l’adjectif?
Article suivant Caroline Fourest: «Je suis devenue moins libertaire»

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération