Caroline Fourest: «Je suis devenue moins libertaire»


Caroline Fourest: «Je suis devenue moins libertaire»

Caroline Fourest

Parité obligatoire en politique, lois contre le « harcèlement », pénalisation des clients de prostituées… Le féminisme accouche ces temps-ci de mesures toujours plus contraignantes, punitives. Jusqu’où cela va-t-il aller ?

Je fais partie des gens qui se félicitent qu’on ne confonde plus le droit à la séduction et le droit de harceler, qui pousse des gens au suicide. De même, on ne peut pas confondre libertinage et prostitution, à cause du trafic. Ces lois ne me paraissent pas liberticides mais au contraire émancipatrices. Bien sûr, il y aura toujours des gens pour vous dire que l’esclavage volontaire c’est fantastique, que c’est un plaisir sadomasochiste qu’il faut respecter…

Esclavage volontaire, voilà un bel oxymore ! Que faites-vous des femmes qui souhaitent continuer à monnayer leur corps ? Pour les émanciper, il faut légiférer contre l’avis des intéressées ?

Dès 1998, il y a eu un débat au sein du féminisme sur la prostitution. Je faisais partie de celles qui, par tradition libertaire, étaient plutôt réticentes à l’idée de réprimer la prostitution volontaire… Mais j’ai évolué là-dessus.[access capability= »lire_inedits »] On ne peut pas être libertaire à ce point. C’est le rôle de la loi de protéger les gens contre les processus de domination et d’écrasement, même s’ils y sont entrés de façon volontaire.

Donc, pour vous, la société doit penser à leur place, avant elles ? Difficile de vous considérer comme « libertaire » dans ces conditions.

Avec la loi contre le racolage passif, ce sont les prostituées que vous persécutez. Une loi qui punit le client, c’est une arme que vous mettez dans leurs mains. Cette arme que l’on doit à Najat Vallaud-Belkacem, protège les personnes prostituées : Elles peuvent s’en servir ou non, si elles font face à des violences. Tant que ce sont elles les fautives aux yeux de la loi, elles ne peuvent pas les dénoncer.

En l’occurrence, la loi prévoit plus précisément d’« abolir » l’activité qu’elles ont choisi d’exercer, le plus souvent en toute liberté.

Oui, mais en pratique ça n’existe pas. Et c’est une chimère, parce que la prostitution existera toujours sous une forme ou une autre. Le but est de faire en sorte qu’on aille de plus en plus vers un échange de services sexuels qui soit vécu de façon la plus égalitaire et réellement consentie possible. Aujourd’hui, des femmes vous disent qu’elles sont très heureuses dans la prostitution, qu’elles l’ont complètement choisi. Mais dans dix ou quinze ans, quand elles seront complètement esquintées, malades, elles vous diront que leur vie est brisée. De même que dans quelques années, des femmes qui portaient le voile en pensant le faire volontairement vous diront qu’elles ont mis des années à s’en libérer. Parce qu’elles auront compris, avec le recul, que c’est la pression de leur quartier, de leurs grands frères, qui les a poussées à le porter.

Si la prostitution est pour vous une forme d’exploitation, que pensez-vous de la gestation pour autrui ?

Les usines à bébés en Inde, où des femmes portent les enfants de plusieurs couples à la chaîne, je suis évidemment contre. Et même plutôt pour sanctionner ceux qui y ont recours. Mais j’ai aussi rencontré des gens qui ont fait une GPA éthique aux Etats-Unis, avec des mères qui ont déjà des enfants et font ça une fois dans leur vie, pour rendre service à un couple hétérosexuel ou homosexuel. Ces familles restent en contact avec la mère de l’enfant, qu’il connaît comme une sorte de marraine. Je ne vois pas au nom de quoi on leur pourrirait la vie.

Vous n’acceptez pas l’idée qu’une femme puisse se prostituer librement, mais vous croyez qu’on peut être une « mère porteuse » sans souffrances ni séquelles ?

Pour que ça ne reste pas le mécanisme atroce que c’est aujourd’hui, où elles font des bébés presque comme elles font des passes, dans des conditions d’abattage, il faudrait réduire la GPA à un acte unique, très bien encadré et extrêmement bien rémunéré. Cela permettrait à des pays comme l’Inde de sortir de la prostitution. Il y a une telle demande… Vous savez ce que c’est qu’un couple qui a envie d’un enfant ? Ce sont parfois des gens avec de gros moyens, qui sont prêts à payer de fortes sommes. Si une femme indienne peut toucher 100 000 dollars pour une GPA plutôt que de faire 100 000 passes, ça doit pouvoir être son choix.

Une autre question déchire les féministes actuelles : celle du port du voile islamique, vu par certaines comme un droit individuel inaliénable… Certaines doivent vous dire que vos prises de position tranchées sur le sujet ne laissent pas aux femmes le choix de s’habiller comme elles le souhaitent.

Au moment de la loi de 2004 je me suis battue pour l’interdiction du voile à l’école, quitte à me faire traiter d’islamophobe. L’équilibre que je suggère dans La dernière utopie, livre qui a reçu le prix de l’Académie des sciences morales et politiques, refuse le relativisme. Mais il refuse aussi de faire de la laïcité une règle punitive et normative, dont on se servirait pour interdire tout ce qui nous dérange. Je me suis par exemple élevée contre l’interdiction du voile dans la rue, et je suis opposée à ce qu’on interdise les sorties scolaires aux mamans voilées, parce que je pense que ce serait aller vers une laïcité liberticide. Mais je reste persuadée que l’école publique doit exiger la souplesse identitaire qui consiste à enlever le voile, par respect pour un espace républicain dédié à l’égalité.

A Causeur, on vous rejoint quand vous défendez une loi qui interdit l’intrusion de la religion à l’école, donc on a du mal à comprendre que vous souteniez les Femen, qui débarquent à l’inverse dans des lieux de culte privés en hurlant des slogans hostiles à la religion…

Il y a des actions des Femen que j’ai approuvées, d’autres que j’ai critiquées… C’est tout l’enjeu des engueulades homériques que j’ai pu avoir en particulier avec Inna Shevchenko. Et c’est l’objet de mon livre, ce que personne n’a compris : il s’agit d’un livre de dispute, essentiellement sur cette notion d’espace public. Par exemple, je n’ai pas du tout aimé l’action des Femen à Notre-Dame. Mais on a aussi pu faire des choses contre l’islamisme grâce aux Femen, et c’est évidemment cet aspect qui m’a intéressée. Une Femen comme Amina, bien qu’elle ait fait des erreurs par la suite – ce que je suis la première à avoir reconnu –, a eu un cran inouï en tenant tête à des milliers de salafistes à Kairouan, alors que tout le monde tremblait de peur.

D’accord, mais en quoi montrer ses seins en public, en France, est-il un acte héroïque et féministe ? Notez que pour ma part, je ne m’y opposerai certainement pas, justement parce que je suis un homme pour qui la vue d’une jolie poitrine n’est jamais désagréable…

Contrairement aux hommes, une femme qui manifeste torse nu est arrêtée pour exhibition sexuelle. Posez-vous la question de l’héritage patriarcal de notre droit, qui considère que le torse des femmes est plus impudique que celui des hommes. Pardon, mais c’est très proche du débat sur le voile : c’est la même démarche que celle qui fait des cheveux des femmes quelque chose de sexuel, contrairement aux cheveux des hommes.[/access]

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*Photo : Hannah Assouline

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Juillet-Aout 2015 #26

Article extrait du Magazine Causeur



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