Cartographie du néoféminisme


Cartographie du néoféminisme

féminisme

C’est compliqué, les femmes. Les féministes encore plus. Surtout celles de la nouvelle génération. Bizarrement, plus la condition féminine progresse, plus elles sont énervées. Hargneuses. Il n’est pas ici question de tout le féminisme, ni du féminisme à l’ancienne, qui travaille et réfléchit. Quoi qu’on pense de leurs idées, Élisabeth Badinter, Sylviane Agacinski, Caroline Fourest et bien d’autres contribuent utilement au débat public.

Il est question ici d’un néoféminisme incarné par des groupuscules aussi bruyants qu’ils sont numériquement faibles. Ce talent pour l’agit-prop ainsi que l’ardeur délatrice et punitive constituent la marque de fabrique de cette constellation. Pour le reste, on décèlerait difficilement une cohérence idéologique dans le maquis des micro-causes et des combats décrétés prioritaires. On proposera donc une promenade subjective et impressionniste à l’intérieur de ce bazar idéologique.

Anne-Cécile Mailfert, Caroline De Haas, Rokhaya Diallo, Inna Shevchenko : il y en a pour tous les goûts. L’érotique, qui se dépoitraille dans les églises. L’ethnique, qui combat le sexisme derrière le racisme et inversement. La comptable, qui ne se sépare jamais de ses fiches noircies de statistiques sur le fameux partage des tâches domestiques. L’universitaire, qui brandit sa queer theory en théorème indépassable et se rit du bon sens des ploucs. Elles ont en commun la culture du happening et un ennemi : le mâle, c’est-à-dire l’homme à l’ancienne. Certaines chasseront plutôt le Blanc, d’autres les quinquagénaires politiciens, d’autres l’hétérosexuel ou le riche. Mais ce qu’il y a de plaisant avec le camp du Bien, c’est qu’il passe souvent le plus clair de son temps à traquer la dissidence dans ses propres rangs. Or, quoi de plus joyeux que de voir ces donzelles s’empailler, je vous le demande ? Parité, GPA, voile, prostitution, tous les prétextes sont bons pour se crêper le chignon. Passons en revue les querelles du féminisme contemporain.[access capability= »lire_inedits »]

Machos-zombies

Créé en 2009 par des militantes du planning familial, du PS, du Front de gauche et d’EELV, Osez le féminisme ! est en apparence l’archétype du mouvement progressiste féministe classique. À ceci près que, contrairement à ses ancêtres, il mène des combats largement gagnés. « Le but, c’est de montrer qu’on vit dans une illusion d’égalité », explique Caroline de Haas. Pauvres de nous qui pensions avoir gagné l’égalité des droits. Cinquante ans de révolution féministe ? Nada, niente, nothing. Qu’on se le dise, le ventre du patriarcat est encore fécond. Chez OLF, on croit que rien n’a changé depuis Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir. Tout est à faire. Ou plutôt à défaire. Surtout les hommes et leurs vilains fantasmes.

Reste que, sur le terrain du droit, il n’y a plus grand-chose à faire, et c’est tant mieux. Le féminisme médiatique des dames d’OLF entend donc désormais lutter contre les « violences symboliques ». Cela va du regard d’un homme dans le métro à « madame la présidente » à l’Assemblée, en passant bien sûr par les stéréotypes dans les manuels scolaires et les jouets. Langage épicène (vous savez, l’affreux « tout-E-s »), règles de grammaire non sexistes, promo du clito et prix du Tampax, telles sont les priorités de ces féministes institutionnelles.

« La violence sexiste, cela ne nous fait pas rire », résume gravement sur Canal+ Anne-Cécile Mailfert, actuelle présidente du groupuscule institutionnel (oxymore qui sied à merveille à une structure de 2 000 adhérent-E-s qui a ses entrées dans tous les ministères), dont le joli minois tranche avec les positions puritaines. Comme chacun, rien n’amuse plus les « réacs » qu’une femme qui se fait tabasser. Au nom de la transparence, ces Savonarole d’un militantisme 2.0 sont expertes dans l’art de la délation. Pionnières du genre, Isabelle Alonso et ses Chiennes de garde, dont le manifeste de 1999 avait été signé par Stéphane Hessel, Mgr Gaillot et Roselyne Bachelot, avaient déjà pour slogan : « Décrypter, dénoncer, résister ».

Autour d’OLF gravitent différents groupuscules connus grâce à leur talent pour le happening. Le collectif Georgette Sand, reçu à plusieurs reprises à Bercy, dénonce la « taxe rose » frappant les protections périodiques, ignoblement imposées à 20 % par l’État patriarcal, qui emplit ainsi ses caisses du sang des femmes. Les donzelles du « groupe d’action féministe » La Barbe s’invitent dans des manifestations d’« hommes de pouvoir » munies de barbes postiches, afin de « semer la confusion des genres ». Macholand, site fondé par deux proches de Caroline de Haas, Elliot Lepers et Clara Gonzales, se propose de « lutter contre le sexisme » qui continue à « s’étaler grassement sur nos écrans, dans nos journaux ou dans les prises de parole de personnages publics ». Exemple : une entreprise produisant des surfaces de sol a utilisé l’image d’une femme en maillot de bain. Un classique de la publicité de mauvais goût. « Nous sommes en 2015, et certaines entreprises confondent le corps des femmes avec des objets promotionnels, martèle le site. À se demander si Solastra est au courant que le sexisme tue encore en France. » Brrr… honte à moi qui l’avais presque oublié !

Ce féminisme qui s’affirme universaliste, libéral et républicain a un gros problème avec la différence des sexes, qu’il assimile vite à l’inégalité. Aussi ses représentantes peuvent-elles revendiquer l’égalité tout en louant les fameuses valeurs féminines qui seraient un apport si précieux pour l’entreprise ou la politique. Seulement, de même que les antiracistes ont besoin de racistes pour exister, les dames d’OLF et leurs semblables ont absolument besoin de sexistes pour pouvoir ignorer que la révolution qu’elles prétendent faire est déjà advenue. On leur suggérera d’adapter le concept toddien de zombie et de décréter que tout homme (enfin, tout homme occidental) est un macho-zombie, dont le cerveau reptilien conserve à jamais les mauvaises habitudes.

De Simone de Beauvoir à Conchita Wurst

Mais on trouve toujours plus moderne que soi. Ce militantisme de dame patronnesse est en voie d’être ringardisé par l’activisme queer importé d’outre-Atlantique. Dans Ex utero, pour en finir avec le féminisme (2009), Peggy Sastre accusait le féminisme à la maman d’être bourgeois et puritain. Et surtout terriblement hétérocentré. En effet, le combat féministe est en train de se dissocier progressivement de la cause LBGTIQ (j’en oublie ?). Il est loin le temps où le FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire) et le MLF (Mouvement de libération des femmes) défilaient ensemble contre l’ordre moral. La belle mécanique de la convergence des luttes est rouillée. Les homos veulent la GPA, difficilement compatible avec la lutte contre la prostitution, combat essentiel des féministes. Le féminisme queer, pro-sexe, et transhumaniste, dont l’horizon est la transsexualisation de la société, est en train de se détacher du féminisme traditionnel, universaliste. Marie-Hélène Bourcier, sociologue à moustache, milite ainsi pour que les « minoritaires, appelons-les comme ça », « anormaux », « monstres », « freaks » se rebellent contre « les consignes d’intégration républicaniste et universaliste ». Conchita Wurst étant bien sûr l’Olympe de Gouges des temps nouveaux.

« Droit des trans, PMA, IVG, GPA, prostitution : nos corps, nos choix ! » : tel était le mot d’ordre de la Marche des fiertés lyonnaises de 2014. OLF publia un communiqué très critique, regrettant un « amalgame entre des revendications légitimes et progressistes, et des réclamations clairement machistes ». En l’occurrence, il s’agit de la prostitution et de la GPA, qui, pour OLF, sont deux faces de l’exploitation. Et qu’on ne leur dise pas qu’il y a des femmes volontaires pour les deux. Ah bon, « mon corps m’appartient », c’est fini ?

Le féminisme « indigène » !

Une autre fracture, qui s’élargit sans cesse, tient au rapport à l’islam. Le 27 mai dernier, l’antenne lyonnaise d’Osez le féminisme ! a annoncé sa démission collective de l’association dans un communiqué dénonçant un « fonctionnement pyramidal, parisianiste et centralisé », mais surtout des interventions médiatiques « honteuses et irrespectueuses envers les femmes voilées ». La fitna a été déclenchée par une interview d’Anne-Cécile Mailfert sur Canal+ : « D’abord, a-t-elle dit, nous pensons qu’il faut parler des voiles, pas seulement du voile musulman (où sont les autres ?). Pour nous, c’est un signal qui ordonne aux femmes de se cacher, et ça, nous sommes contre. » Timide condamnation qui a suscité l’ire du féminisme « indigène », en l’occurrence de Rokhaya Diallo : « OLF reste à l’image de tous les mouvements qui se disent progressistes en France, syndicats, partis politiques : très, très, très blanc et assez bourgeois. » La tête de file des Indivisibles pratique la méthode Angela Davis : mixer la race, la classe et le genre, dans un amalgame autorisé, qui fait de la femme voilée, victime d’une triple domination due à sa condition de femme, de pauvre et d’ex-colonisée, la nouvelle figure de proue de ce féminisme « indigène ».

Le postcolonialisme repose sur le relativisme victimaire enrobé de dénonciation du deux poids, deux mesures. Ainsi peut-on voir côte à côte des défenseurs des femmes voilées et des défenseurs du travail sexuel. Chacun fait ce qui lui plaît. Ohé, ohé ! Chef-d’œuvre du gloubi-boulga sociologique de l’intersectionnalité, cette phrase de Rokhaya Diallo : « Je trouve qu’il y a une parfaite cohérence dans mes engagements : je me bats pour que les femmes puissent disposer de leur corps, c’est-à-dire se voiler ou se prostituer. » En voilà un horizon féministe réjouissant !

Le sextremisme : de quoi les Femen sont-elles le nom ?

J’ai du mal à trouver des qualités aux Femen. Leur goût du scandale, leur guerre débraillée, dépourvue de ligne claire et de corpus universitaire, sont pour moi un repoussoir que même leur passage à tabac par Civitas ne parvient pas à rendre sympathique. Un jour elles miment un avortement dans l’église de la Madeleine, l’autre, elles décapitent la statue de cire de Poutine au musée Grévin, ou abîment les cloches de Notre-Dame aux cris de « Pope no more ». On a envie de les ignorer, au mieux de les gratifier d’un sourire de dédain. Cependant, leur parti pris ouvertement inculte et anti-intellectualiste ne manque pas de fraîcheur : elles donnent moins mal à la tête qu’une conférence de Judith Butler sur le gender. S’auto-qualifiant de « religiophobes », ces Voltaire sans jupons revendiquent « la victoire totale sur le patriarcat ». Inna, arrivée de l’Est avec vingt ans de retard sur la révolution féministe, semble croire que la France vit sous la coupe de l’Église.

Leur universalisme low cost n’est guère prisé la gauche anticolonialiste. Mona Chollet, dans Le Monde Diplo, les accuse de servir de « caution à un corps féminin figé par l’industrie publicitaire ». Après que deux de ces amazones s’étaient publiquement embrassées à Rabat pour dénoncer l’homophobie marocaine, la revue Orient XXI a publié, sous le titre « Rhabillons les Femen ! », un texte fustigeant « le caractère islamophobe et impérialiste de leurs actions », et ce féminisme réduisant « l’homme arabe au patriarcat ». La même logique inspire Houria Bouteldja, présidente des Indigènes de la République, quand elle fonde le collectif Les Blédardes, clairement destiné à contrer Ni putes Ni soumises.

Le féminisme des cités ?

D’ailleurs, où est passé le féminisme des cités ? L’engouement médiatique pour Ni putes Ni soumises a laissé place à un vide sidéral. Le film La Journée de la jupe avait mis en lumière le sort des filles des « quartiers », obligées de cacher leur corps face au mélange de puritanisme religieux et de virilité exacerbée par un patriarcat d’importation. Aujourd’hui, quand il n’a pas disparu, ce « féminisme des cités » a été grossièrement récupéré par la droite. Ainsi Lydia Guirous, jeune pousse des Républicains, tente d’apparaître comme la nouvelle Fadela Amara, qu’elle surpasse dans l’outrance calculée. Tandis que, dans les hautes sphères, on lutte contre les stéréotypes en maternelle, le féminisme indigène et sa rhétorique postcoloniale font un tabac dans les quartiers, où Edwy Plenel explique doctement que ses « deux grand-mères bretonnes sortaient avec un foulard », autrement dit que le voile ne pose aucun problème. Sauf à ceux qui n’aiment pas les Bretons…

Un féminisme orwellien

Le combat pour les femmes est empêtré dans ses incohérences, embourbé dans des impasses théoriques bien éloignées de la réalité de la « vie ordinaire » (Lasch) des femmes. Abolir la prostitution mais autoriser la GPA. Promouvoir la lutte contre les stéréotypes de genre à l’école et imposer la parité qui fige les femmes sous une étiquette. Réclamer l’émancipation et le droit de se voiler. Se dire « pro-choix » (c’est-à-dire pro-IVG), mais s’indigner que l’on puisse évoquer la souffrance de l’avortement. Se proclamer de gauche tout en s’efforçant de faire entrer au chausse-pied la condition féminine dans le paradigme capitaliste du salariat.

Telle est la tragédie du féminisme contemporain. Militant avec furie pour un avenir radieux déjà advenu, nos ayatollettes sont aveugles à ce qui menace la liberté des femmes : l’islam orthodoxe, qui remet en cause l’idéal égalitaire de la civilisation judéo-chrétienne ; l’indifférenciation, qui s’attaque à la mixité des sexes à la française ; la technique et le marché, qui menacent le privilège féminin de la maternité. Peu importe que la majorité des femmes concrètes n’en demandent pas tant. Le féminisme orwellien et revanchard entend bien en finir avec le passé et promouvoir la déconstruction tous azimuts. Par tous les moyens de l’ingénierie sociale, et surtout par le plus vieux : la peur.[/access]

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*Photo : Thomas Samson

Juillet-Aout 2015 #26

Article extrait du Magazine Causeur



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Journaliste au Figaro, elle participe au lancement de la revue Limite et intervient régulièrement comme chroniqueuse éditorialiste sur CNews.

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