Accueil Culture Bourgogne: l’autre pays du whisky

Bourgogne: l’autre pays du whisky

La perfection en bouteille !


Bourgogne: l’autre pays du whisky
Alexandra Couvreur-Deschamps et Cyril Deschamps © Hannah Assouline

Les whiskies de Michel Couvreur sont uniques au monde. Une élaboration 100% bourguignonne et un élevage durant des décennies dans des fûts andalous centenaires leur offrent un bouquet aromatique incomparable. L’entreprise familiale ne se repose pas sur ses lauriers et poursuit la perfection de ses précieux flacons.


Connaissez-vous Bouze-lès-Beaune ? Non ? Eh bien, honnêtement, vous n’avez rien perdu. Situé à quelques kilomètres de Beaune, en Bourgogne, ce village (non répertorié par mon GPS) est surtout réputé pour l’humidité atroce qui y règne, laquelle s’explique par la présence d’une source. « Bosa », en celte, signifiait « poche d’eau ». Mais dans l’oreille des Anglais qui visitent la région, Bouze sonne comme « Booze » qui veut dire « bibine ». Et là, l’affaire commence à avoir du sens, car pourquoi donc aller à Bouze-lès-Beaune ? Parce qu’on y élabore depuis 1978 l’un des meilleurs whiskies du monde, celui du regretté Michel Couvreur ! Ce personnage à la Simenon, né à Uccle en Belgique en 1928, non loin de Bruxelles, coche toutes les cases : il aimait les bons vins, les jolies femmes, la chasse et fumait le cigare, bref, le mâle blanc de plus de 50 ans dans toute son horreur. Longtemps, j’ai pensé comme Pierre Desproges qui disait : « Le whisky est le cognac du con. » Jusqu’au jour où j’ai goûté un whisky de Michel Couvreur.

Expérience ethétique totale

À l’aveugle, on s’y tromperait presque, tant il paraît suave et rond, avec des notes subtiles de raisins confits, comme un grand cognac. Déguster un whisky de Michel Couvreur est en fait une expérience esthétique totale. Il y a d’abord le plaisir de l’œil, la bouteille anglaise, lourde et de forme carrée (comme celles des Johnnie Walker), avec le goulot cacheté manuellement à la cire rouge et l’étiquette joliment calligraphiée « à l’anglaise » collée sur un angle. Pour ouvrir, il faut un tire-bouchon bien de chez nous : planté dans la cire, il va extraire un joli bouchon en liège agréable au toucher. Des parfums subtils émanent alors du flacon, il n’y a plus qu’à remplir un verre digne de ce nom (avec un pied et en forme de tulipe pour bien sentir les effluves).

Flacons emblématiques de la maison Michel Couvreur, au design fidèle à l’esprit britannique.

Quand on arrive à Bouze-lès-Beaune dans le brouillard, aucun panneau n’indique l’existence de la maison Michel Couvreur, privilège des riches et des domaines légendaires (comme château Rayas à Châteauneuf-du-Pape).

Cela fait un moment que nous roulons depuis Paris, la photographe Hannah Assouline et moi, et nous n’avons toujours pas vu un être humain dans cette foutue campagne française qui sent la mort. En tout cas, la famille Couvreur sait se protéger. Il faut dire que des milliers de collectionneurs dans le monde se battent pour avoir ses whiskies et, ces dernières années, des vols de toutes sortes (vins, fromages, huîtres, ruches, fruits et légumes, animaux, machines…) pourrissent la vie des gens de la campagne comme si notre pays était entré en guerre civile.

La photographe de Causeur prise d’un malaise !

Nous finissons par trouver la maison. Alexandra, la fille de Michel Couvreur, son mari Cyril et le fidèle maître de chais Jean-Arnaud Frantzen nous accueillent avec un coup de bourgogne aligoté et un morceau de claquebitou. Le but de notre visite est de comprendre comment on peut élaborer des nectars pareils, « cheu nous », en Bourgogne, dans le pays du vin !

A lire aussi, du même auteur : Le goût du large!

« Suivez-moi », ordonne la belle Alexandra, dont l’autorité naturelle me fait penser un peu à celle de Sharon Stone, « et prenez garde aux vapeurs d’alcool ». Nous voici en train de descendre un escalier glissant menant à « la cathédrale », nom donné à la galerie creusée par Michel Couvreur en 1972. Aussitôt, je suffoque, car la part des anges y est énorme, l’équivalent de 20 000 litres de whisky évaporés dans l’atmosphère chaque année. J’ai des visions, Sharon Stone vêtue d’une peau de léopard… Cette cathédrale engloutie et couverte de moisissures suinte l’humidité. Là réside l’un des secrets de la maison, car les whiskies conservés vingt ans dans de très vieux fûts andalous de Xérès perdent de leur violence, s’attendrissent, se fondent, s’harmonisent !

Prise d’un malaise, Hannah se précipite vers la sortie pour respirer un bon coup. J’observe soudain le visage de nos hôtes, comment peuvent-ils vivre au quotidien au milieu de ces vapeurs ? Curieusement, ils semblent à peu près normaux et font même plus jeunes que leur âge.

À l’origine, Michel Couvreur était négociant en vins, ici, en Bourgogne. Un jour, admirant son palais fabuleux, des amis écossais l’ont encouragé à s’intéresser de près au whisky. Michel s’est donc rendu en Écosse, a visité de grandes distilleries, étudié tout le processus de fabrication puis est rentré en Bourgogne avec la conviction qu’il était possible de produire un vrai whisky bourguignon, sachant qu’il n’existe pas d’appellation géographique protégée (contrairement au cognac ou au champagne) : n’importe qui peut faire du whisky dans le monde, à partir du moment où il y a de l’eau-de-vie de céréales (orge, blé, maïs, seigle) élevée au moins trois ans dans un fût de chêne de 700 litres.

Le génie de Michel Couvreur a été de comprendre que le plus important, dans le whisky, ce n’est pas tellement l’eau-de-vie en tant que telle (en sortant de l’alambic, elle est blanche, très puissante, et sent la poire ou la framboise), mais son contact prolongé avec un fût rare et précieux dans un chais paisible et humide. Tout est dans l’élevage ! Michel Couvreur a très vite opté pour les meilleurs fûts du monde, et les plus rares, ceux de Xérès en Andalousie. Âgés de 20 à 100 ans, ces fûts imprégnés de fino (un vin élevé sous voile, comme le vin jaune du Jura, et que les Espagnols dégustent à l’apéritif avec des tranches de pata negra) communiquent au whisky une complexité aromatique fascinante, faite de clou de girofle, de cannelle, de vanille, de tabac, de cuir, de moût de raisin frais… Mais il faut au moins douze années d’attente pour obtenir un nectar, et le stock, c’est ce qui coûte le plus cher.

La famille Couvreur est en train de réaliser le rêve du patriarche, distiller sur place, au village de Bouze, l’eau-de-vie d’orge bourguignon cultivé localement, car les distillats écossais sont devenus de plus en plus standardisés (l’orge venant d’Ukraine et du Canada). L’alambic a été construit dans une grange et les whiskies seront mis en bouteilles en 2034.

À la dégustation, les whiskies Michel Couvreur impressionnent tous par leur robe ambrée, leur nez de fleurs séchées et de pain grillé, leur longueur en bouche, leur sensation de fraîcheur, leur concentration… en un mot, leur élégance.


De 50 à 475 €. Chez tous les bons cavistes.

La « cathédrale » souterraine où mûrissent les futurs grands whiskies.
Novembre 2025 – #139

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Sur la route de Tillinac
Article suivant Délire kitsch asiatique
Journaliste spécialisé dans le vin, la gastronomie, l'art de vivre, bref tout ce qui permet de mieux supporter notre passage ici-bas

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération