
Nina (Nora Arnezeder) a de la ressource : physique de top model, championne de natation, secouriste, polyglotte, polyvalente, on comprend son impatience de trouver enfin un job pas payé au lance-pierre, son besoin de changer d’air, son envie de couper les ponts avec sa ville natale, Marseille, cette cradoque cité interlope et bigarrée, de s’éloigner d’une génitrice amerloque (Maria Bello) oppressive et givrée, de prendre ses distances avec Julien (Louka Meliava), son jeune frangin dealer récidiviste qui, tout photogénique qu’il soit, enchaîne les séjours en taule – il n’a du reste que ce qu’il mérite. Surtout, Nina voudrait échapper au lointain traumatisme qui la hante depuis des années, la mort accidentelle d’une enfant par sa faute, – c’est le prologue de Hell in Paradise.
Un film familial
L’entretien d’embauche de Nina s’avère un succès : il est vrai qu’elle coche toutes les cases, comme on dit en 2025 dans l’argot « Pôle emploi » (entre parenthèses la scène en question est d’une véracité aussi cruelle que tordante). Recrutée comme hôtesse d’accueil au Blue Coral, un hôtel de luxe en Thaïlande, Nina est prête à tout donner d’elle-même. Sauf, tient-elle expressément à préciser (tout en restant évasive sur la raison), une seule condition : ne pas avoir à s’occuper des marmailles : baby sitting, no way !
Voilà posés les jalons de l’intrigue, scénarisée par Karine Silla, à la ville épouse, comme l’on sait, de l’acteur et cinéaste Vincent Perez, et mère de Roxane Depardieu. Réalisé par la Franco-sénégalaise Leïla Sy , très investie dans le hip-hop et les clips – cf. Banlieusards (2019), film co-réalisé avec Kery James, et qu’on peut voir sur Netflix – Hell in Paradise reste, en somme, un film de famille : sa propre sœur Virginie Silla, la femme de Luc Besson, en est la productrice sous les auspices de Europacorp – elle avait déjà produit Lucy.
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Cette endogamie est-elle un handicap ? On aurait plutôt tendance à s’en féliciter. La « griffe » Besson, en l’espèce, fournit au film un vernis anti-woke tout à fait bienvenu par les temps qui courent. C’est ainsi que Nina, à son corps défendant, s’y voit confier seule la garde de trois lardons têtes-à-claque, dont un nourrisson vagissant et une fillette plantée sur ressorts, soit la triple portée en bas âge d’un couple dépeint d’emblée comme ontologiquement exécrable : le genre de clients yankees d’autant plus arrogants qu’ils ne vont que par paire, à l’instar des perruches d’élevage. L’abject et couard patron du resort tentera de les amadouer, fût-ce sur le dos de son petit personnel en cage. En vain. Et il arrive, bien sûr, ce à quoi le spectateur, perversement scotché au suspense macabre, était préparé dès l’amorce : la noyade accidentelle de la sale mioche, agonisant dans des moulinets inutiles à la surface d’une ces piscines miniatures de l’immense complexe insulaire, qui plus est à dix mètres d’une vieille femme de chambre qui, faute d’avoir appris à nager, la regarde impuissante du haut de son balcon clamser à petit bouillons dans la tiédeur du bassin d’eau chlorée…
Infernal
A partir de là, le pseudo-paradis se mue pour Nina en concentriques cercles de l’enfer : la fringante et joyeuse trentenaire armée de bonne volonté, célibataire qui proclamait ne pas vouloir, ni procréer, ni s’occuper jamais d’aucun chiard, se voit piégée de tous côtés : en deuil de leur progéniture, les Amerloques ont porté plainte comme de juste contre le Blue Coral, en bons procéduriers avides de compensation en dollars; le staff de l’hôtel se défausse sur ses employés- esclaves ; la police asiatique corrompue récrit le procès-verbal signé par Nina à ses dépens pour en finir, elle dont le passeport a été confisqué ; le consul de France, médiocre fonctionnaire faux-derche, plus inopérant que sa cravate; maman, appelée au secours in extremis, débarque à « Mathara » (le nom fictif de la baronnie tropicale) et ses conseils oiseux ne font qu’empirer la situation ; engagé par Nina, l’intègre et cacochyme avocat du cru est tragiquement éliminé, probablement sous les directives de l’oligarque local détenteur du Blue Coral (parmi quantité d’autres investissements lucratifs) ; riche, véreux et libidinal, l’élégant juge thaï tente quant à lui le coup du chantage au plan cul, mais il échoue tout de même à violer Nina, car la girl a la dentition carnassière… Etc. etc.
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Sans faire l’économie de désopilantes invraisemblances (comme par exemple, ces coups de fils passés en catimini par l’héroïne à son secourable petit frère au bras long, lequel, derrière les barreaux et à distance, parviendra miraculeusement à la tirer du pétrin !), le divertissement vous projette, de rebondissements en rebondissements, jusque sur une embarcation de fortune où la fuite éperdue de Nina, après bien des angoisses fortement contagieuses dans la salle, trouvera son heureux dénouement, ouf. Morale de l’histoire : le baby sitting reste un emploi à risques.
Hell in Paradise. Film de Leila Sy. Avec Nora Arnezeder. France, Etats-Unis, couleur, 2024. Durée : 1h42.
En salles le 26 novembre 2025.




