À l’occasion de la parution-évènement du Monde de la prostitution – De la violence à l’illusion, l’œuvre d’une vie : hommage à Max Chaleil et aux Éditions de Paris.
Précaution d’usage : ce n’est pas – du tout – parce que Max Chaleil a publié mes quatre derniers livres que j’interviens ici. J’interviens pour saluer une somme, celle d’une vie – et qui la justifie (outre l’édition, son épouse, son fils, ses petits-enfants, etc. – bien sûr).
Son sujet ne me concerne pas particulièrement : l’histoire, le monde de la prostitution, ses mots (tout un dictionnaire thématique !), ses illustrations (arts, livres, films, opéras, chansons, économie, etc.) – mais je l’ai ouvert, presque par devoir d’abord (mon éditeur !).




Je l’ai refermé – épaté -, stupéfait par la quantité de lectures (et de fiches : Max est un homme « à fiches ») que suppose une telle entreprise, et depuis si longtemps (Max m’a dit avoir été piqué par le sujet depuis l’adolescence – il a… 88 ans).
Le troisième tome vient de paraître. Son titre : La prostituée comme imaginaire et création – 600 pages (les quatre tomes prévus comptent 1500-1700 pages ; tome 4 : janvier 2026).
En dépit de mon peu d’appétence pour le thème, je répète – j’ai tant à lire et écrire, tant de sujets me retiennent ou requièrent que je me réjouis presque lorsque l’un d’eux m’indiffère un peu – j’ai donc lu. Et là, stupéfaction – c’est pour cela que je prends la plume – parce qu’il est très rare d’avoir ce sentiment de « l’œuvre d’une vie ».
Un seul exemple (sur les 1700 pages en quatre tomes !), celui de la prostitution et de la prostituée dans la littérature. Max rend compte de (presque) toutes les littératures. Il couvre aussi bien les domaines « occidentaux » (allemand, anglais, américain, italien, espagnol, hispano-américain, russe, nordique, etc.) qu’ « orientaux » (indien, chinois, japonais, arabe, etc.). Quant à la « Littérature antique et littérature française » – d’Aristophane à Lucien de Samostate, de Plaute à Pétrone, de Villon à Houellebecq -, elle occupe plus de 230 pages : un manuel, presque. Je connais un peu « la littérature », j’ai « un peu » lu – mais là encore, j’ai été édifié, par la profusion, la précision et la diversité des références (livres, auteurs).
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Et n’imaginez pas que ce soit du « digest », un résumé qui sente la seconde main. Au contraire, cette œuvre-vie (je répète : de l’adolescence à 88 ans, ce sont 70 ans qui en ont été « obsédés ») a été édifiée, érigée, gré à gré – avec le temps, auxiliaire indispensable, unique, du travail accompli. Son érudition m’a fait songer à celle de ces autodidactes (versus les universitaires souvent, pas toujours) qui ont inventé seuls leur voie, leur chemin, leur sujet (et prisme) – et que leur singularité irréductible, insigne, rend absolument nécessaires. Et indémodables : qui a démodé François Caradec, Hubert Juin, Francis Lacassin ? Personne. Dans leurs domaines respectifs, ils sont non négociables. Pareil pour la somme de Max à l’avenir : non négociable. On prend les paris.
Je connais presque « bien », Max : je le vois aujourd’hui encore lire Le Figaro tous les jours, découper les articles, acheter telle ou telle revue (selon les sujets) et surligner au jaune telle ou telle page, etc.
Je crois savoir comment cette somme d’un obsessionnel a été nourrie : par la lecture, donc. Personne sans doute n’aura autant lu sur le sujet. Je laisse les spécialistes en débattre – mais je ne vois pas comment, quand, ils pourraient faire l’économie de sa lecture. En discuter : autant qu’ils veulent. La négliger : je ne crois pas.
Et puisque j’en suis à évoquer Max et son œuvre, je voudrais ajouter deux mots sur l’édition – Les Éditions de Paris.
Max et Rosie, son épouse, ont à peu près le même âge, ils ont créé Les Éditions de Paris en 1984 : il y a plus de 40 ans. Leur fils, Frédéric, qui dirige la collection « Littérature », les a rejoints quelques années plus tard.
Pour avoir travaillé avec eux, publié les quatre livres que j’ai dits chez eux, je voudrais préciser combien ils représentent pour moi « les derniers des Mohicans », éditeurs à l’ancienne qui veillent à chaque étape du livre avec une exigence qui réjouit (a fortiori lorsque l’auteur – mettons, moi – l’est beaucoup lui-même, exigeant, obsessionnel). Max (passé par Bourgois, Stock, Belfond, Galilée, etc. comme créateur ou directeur de collection) pour le choix des manuscrits ; Rosie-Roselyne, son épouse, pour tout le reste (c’est-à-dire beaucoup, puisque Max ne sait pas même envoyer un mail), avec l’aide de Frédéric – pour sa collection (de Frédéric), où la littérature côtoie les écrits sur l’art (Frédéric est un esthète, au goût très sûr, érudit et sensible – donc devenu un ami cher).
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Je précise une chose, parce que je connais la malice – parfois malveillance – des gens. Je ne flagorne pas. Je décris très précisément tels que je les ai connus et observés les Chaleil au travail. Et si l’on veut se faire une idée de l’origine de tout cela, peut-être faut-il rappeler que le père de Max, Léonce, était un paysan cévenol, protestant, dur à la tâche, qui a travaillé toute sa vie d’arrache-pied : « Les chiens ne font pas des chats » – dicton que Léonce eût peut-être employé.
Celui-ci avait publié ses « Mémoires » : La Mémoire du village (Stock, 1977 ; réédité aux Éditions de Paris), salué et régulièrement cité par Emmanuel Le Roy Ladurie (spécialiste d’histoire rurale entre autres)… et par Bernard Pivot, puisque Léonce fut l’un des invités d’« Apostrophes ». Bilan : plus de 100 000 exemplaires vendus.
A plus de 85 ans, les Chaleil, certes, lèvent le pied. Mais – mon dernier livre est paru en octobre, donc je l’atteste – la passion qui les anime, ce feu sacré, est intact(e). La fatigue, parfois, les pousse à « faire une pause » – et Frédéric la pallie si nécessaire. Mais à 40 ans, leur maison a les allures d’une œuvre (1200 livres parus) – que couronne aujourd’hui le grand œuvre de Max, sur la prostitution. Je prie ceux qui en douteraient, d’avoir l’honnêteté de faire comme moi : ouvrir le livre, le lire, l’examiner – et constater son éminence.
Coda : connaissant la nullité asymptotique de Max avec l’informatique, j’ai été d’autant plus stupéfait par sa somme. Internet ici n’a joué aucun rôle. De l’érudition à l’ancienne, avec des journées en bibliothèque(s), de la chine des décennies (!) durant pour déceler tel ou tel livre (ou rareté), des notes prises à la main, des expositions courues un peu partout quand c’était possible, etc. : cela aussi est très intéressant – et impressionnant. On ne fabrique pas les mêmes livres érudits avec OU sans Internet : il y a vraiment « quelqu’un » derrière cette somme – et on l’entend. Je ne prolonge pas – mais ceux qui lisent « de l’érudition » aujourd’hui savent de quoi je parle : cette différence, si humaine ; ce temps passé, tangible ; cette main, que l’on devine… ou discerne.
La prostituée comme imaginaire et création (Littérature, chanson, opéra, art, cinéma) – Tome 3 de « Le Monde de la prostitution – De la violence à l’illusion ». Éditions de Paris-Max Chaleil, 618 pages.
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