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L’exercice chaotique du biopic

Grand entretien avec Michel Fau


L’exercice chaotique du biopic
Michel Fau © Hannah Assouline

Dans L’Inconnu de la Grande Arche, de Stéphane Demoustier, Michel Fau incarne François Mitterrand de manière troublante. Son secret: ne pas imiter mais évoquer. C’est tout l’inverse de ce que font la plupart des acteurs qui jouent le rôle d’un personnage réel. Aussi dézingue-t-il joyeusement Cotillard en Piaf, Niney en Saint Laurent ou Wilson en de Gaulle.


Causeur. Je vous ai toujours entendu critiquer les biopics et dire votre désintérêt pour ce genre. Vous m’avez parlé de l’impasse artistique dans laquelle se retrouvaient beaucoup d’acteurs s’attelant à jouer des personnages réels dont tout le monde connaissait et le visage, et la voix. Pourquoi avez-vous accepté la proposition de Stéphane Demoustier d’incarner Mitterrand ?

Michel Fau. J’avais déjà accepté de jouer des personnages historiques mais dont, effectivement, nous n’avions pas de trace filmée. J’ai par exemple joué pour la télévision Louis XVI ou encore Balzac, dans le film d’Arielle Dombasle Les Secrets de la princesse de Cadignan. Mais jouer un personnage dont tout le monde connaît la voix, le physique, la gestuelle, les tics, je trouve ça très casse-gueule. Et la plupart des acteurs s’y cassent d’ailleurs la gueule. C’est un piège.

Que faut-il ne surtout pas faire lorsqu’on joue un personnage connu de tous, selon vous ?

Ce qu’il ne faut pas faire, c’est ce que font la plupart des acteurs, c’est-à-dire vouloir absolument ressembler le plus possible au personnage réel. Que ce soit dans la voix, le phrasé ou dans le physique. Je trouve que c’est inintéressant. Quand je regarde La Conquête, film dans lequel Denis Podalydès joue Sarkozy, je trouve ça pathétique. On dirait l’imitateur Michel Guidoni dans son numéro de Sarko ! On se croirait au théâtre des Deux-Ânes. Je n’ai rien contre les chansonniers et les imitateurs, mais dans un film de cinéma, c’est-à-dire dans ce qui devrait être une œuvre d’art, ce n’est pas ce que je viens chercher ! Pour moi, c’est exactement l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire. C’est une imitation de Sarkozy. Une simple imitation. Je me demande où est le geste artistique là-dedans. C’est souvent le problème lorsque les acteurs jouent des personnages réels. On sent qu’ils ont passé des heures à regarder des vidéos de la personne qu’ils doivent incarner. Ils essaient de reproduire les moindres gestes. Parfois même, les réalisateurs leur demandent de jouer des scènes qu’on a vues en vidéo. Pour moi, c’est la négation de l’acteur. D’ailleurs, je crois qu’aucun grand acteur n’a jamais accepté ce genre de choses. Les grands acteurs acceptent de jouer un personnage réel connu s’ils ont une marge de manœuvre personnelle, s’il y a une place pour la création et pour l’imaginaire.

Tout cela n’explique pas pourquoi, cette fois, vous avez accepté !

D’abord j’ai trouvé le scénario de Demoustier formidable. Il fait de cette histoire réelle un conte, une farce effrayante et grotesque. Cependant, j’ai vraiment dit oui quand j’ai compris que Demoustier était sur la même longueur d’onde que moi, c’est-à-dire qu’il ne désirait pas que je fasse une imitation de Mitterrand. Ce qu’on voulait tous les deux, c’était que j’incarne la vanité du pouvoir. Donc pas de faux crâne, pas de dentier !

Bouquet était votre professeur au conservatoire, il est resté votre maître, et vous avez monté avec lui Tartuffe, dans lequel il jouait Orgon. C’est drôle que l’on vous propose à vous d’incarner Mitterrand comme Guédiguian l’avait proposé à Bouquet il y a vingt ans. Vous y avez forcément pensé… ?

Bien sûr. D’autant que le travail de Bouquet dans ce film, Le Promeneur du Champ-de-Mars, était selon moi exemplaire de ce qu’il faut faire pour jouer un personnage réel et connu. Il n’était pas dans l’imitation, il fuyait l’anecdote. Il m’a dit un jour : « Dans ce film j’ai cherché à jouer un représentant de commerce qui se prenait pour le roi Lear. Je n’ai jamais cherché à imiter Mitterrand. » Et l’immense réussite, c’est que lorsqu’on regarde le film, on voit Bouquet avec sa voix reconnaissable entre toutes, avec sa musique très particulière, son chant à lui, sa diction. Les imbéciles diraient en se moquant qu’il fait du Bouquet. Mais il fait du Bouquet comme Depardieu fait du Depardieu ou comme Jouvet faisait du Jouvet. Il est de cette race-là. Une personnalité écrasante et omniprésente. J’en reviens donc à mon propos. Dans ce film on voit Bouquet, on voit que c’est lui ! Mais malgré tout on voit aussi Mitterrand en transparence alors qu’il ne l’imite absolument pas. Comme si deux masques se mêlaient. C’est extrêmement troublant ça. Parvenir à nous faire voir Mitterrand sans chercher à lui ressembler. Et c’est ainsi que nous saute aux yeux l’âme de Mitterrand. C’est ainsi que nous saute aux yeux l’essence invisible de ce personnage !

Pour vous préparer, vous n’avez pas travaillé sur les interviews de Mitterrand ou d’autres archives audiovisuelles ?

Non. Après, évidemment, comme tous les Français, je connaissais déjà sa voix et son personnage. Mais je n’ai pas voulu reproduire le moindre détail de son physique ou de sa voix. Sauf une fois. Dans la scène où l’architecte présente le projet de la Grande Arche à Mitterrand, Demoustier m’a demandé de me mettre à quatre pattes pour regarder la maquette. Je trouvais ça un peu trop gros, un peu exagéré. Pour me convaincre, Demoustier m’a montré une vidéo d’archive inédite ou l’on voyait Mitterrand se mettre à quatre pattes, à la demande de cet architecte dont il s’était entiché, pour mieux voir la perspective de sa maquette. J’étais sidéré. C’était absolument énorme et gênant. Et j’ai donc reproduit la position du président sur la moquette. En dehors de cela, je ne me suis vraiment pas posé la question du réalisme, de la ressemblance. J’ai cherché à jouer cela comme un personnage de Brecht. J’ai joué un homme encore puissant, mais sentant le pouvoir filer entre ses doigts. C’est cela que j’ai voulu incarner.

Savez-vous pourquoi Demoustier vous a choisi pour incarner ce rôle ?

Mitterrand avait un côté vieille France. Il était un peu décalé par rapport à son époque. Il dégageait quelque chose de périmé. De suranné et de précieux. Je crois l’avoir aussi. Et c’est pour cela que Demoustier m’a choisi, je pense. C’est la recherche de quelque chose de commun dans l’esprit plus que d’une ressemblance physique. Physiquement, ce que j’ai essayé de dégager, c’est une certaine rigidité, quelque chose de coincé. Encore une fois, nous ne sommes pas dans l’imitation mais dans l’évocation.

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Pour qu’on comprenne mieux, donnez-nous maintenant votre avis sur quelques biopics ! Cotillard en Piaf ?

Quand je regarde ce film je ne vois qu’une chose : Cotillard avec du latex sur la gueule. Le film donne une image de Piaf totalement fausse. On a l’impression qu’elle ne foutait rien de la journée, qu’elle ne travaillait jamais, qu’elle ne faisait que de boire et s’engueuler avec son mec.

Bruno Ganz en Hitler, dans La Chute ?

Sublime ! Il y a une certaine ressemblance, mais il fait du personnage quelque chose de totalement métaphysique qui dépasse la simple histoire d’Hitler. Il ne joue pas l’anecdote. Il joue Hitler comme il jouerait Richard III. On ne voit pas un acteur jouer Hitler. On voit un acteur jouer une situation énorme et tragique.

Michael Douglas dans Ma vie avec Liberace, de Soderbergh ?

Le film est magnifique. Totalement décadent ! Ce que fait Michael Douglas est assez culotté, mais il reste en dessous de la réalité. Il n’atteint pas le kitsch, la monstruosité, le mauvais goût extrême et fascinant de Liberace. Douglas reste encore trop classe. Toutes proportions gardées, c’est un peu comme Lafitte dans Bernard Tapie. Il n’atteint pas la vulgarité de Tapie. Ni sa folie ! Pour incarner Tapie, il faut un acteur doué de folie. Là, on voit juste Lafitte avec une perruque. Ce qu’il fait en tant qu’acteur ne raconte pas grand-chose du personnage. Je préfère voir un documentaire avec de vraies images de Tapie, c’est beaucoup plus fascinant et effrayant.

Bradley Cooper en Léonard Bernstein ?

C’est intéressant car il fait une composition hallucinante. De plus le film est magnifique. Mais je trouve qu’on voit trop le travail. On se dit qu’est-ce qu’il a dû bosser pour arriver à choper tous les trucs de Bernstein. En le regardant on remarque trop la performance, c’est omniprésent.

Gaspar Ulliel dans Saint Laurent ?

C’est un chef-d’œuvre. Déjà, le film de Bonello est incroyablement beau. C’est une œuvre qui touche au sublime. Gaspard n’est pas la réplique de Saint Laurent. Il est d’ailleurs vingt fois plus beau. Mais il a le même magnétisme que Saint Laurent. Il ne cherche pas à imiter, il est une évocation et une incarnation de l’esprit de Saint Laurent. C’est extrêmement troublant. Ce qui est également très beau, c’est d’avoir demandé à Helmut Berger de jouer Saint Laurent vieux. Car là aussi, il n’en est pas la copie conforme, mais il dégage exactement ce que dégageait Saint Laurent à la fin de sa vie. En revanche, Jérémie Renier, que j’aime bien, n’était pas assez monstrueux dans le rôle de Pierre Bergé. Mais c’est aussi une histoire d’emploi. Voilà, je dirais que pour jouer un personnage réel et connu, c’est l’emploi qui est important plus que la ressemblance physique. On ne peut pas tout jouer. Une actrice formidable dans un rôle de soubrette ne sera pas systématiquement formidable en tragédienne. Un acteur bouleversant dans un emploi de jeune premier romantique (Lorenzaccio) ne sera pas forcément à sa place dans un rôle de valet de farce (Scapin). Moi, je ne me vois pas jouer Emmanuel Macron, par exemple. Tout comme Lambert Wilson ne peut pas incarner de Gaulle (bien qu’il l’ait fait !). Ce n’est pas une histoire d’être bon ou pas, ou de ressembler physiquement ou non au vrai personnage, c’est une question d’emploi ! Moi, au théâtre, j’ai bien joué Bette Davis ! Je ne lui ressemble pas, mais je pense avoir une monstruosité commune avec elle. Pour en revenir à Saint Laurent, il y a aussi Niney qui l’a joué dans un autre film insupportablement sentimentaliste. Mais Niney n’a pas le charisme pour incarner Saint Laurent. Pour incarner quelqu’un de charismatique, il faut être un acteur charismatique.

Michel Fau (François Mitterrand) dans L’Inconnu de la Grande Arche de Stéphane Demoustier, 2025 (C) AGAT FILMS, LE PACTE

Balibar dans Barbara ?

C’était très intéressant, car ce n’était pas l’histoire de Barbara. C’était l’histoire d’une actrice, en l’occurrence Balibar, qui devait jouer le rôle de Barbara. Et au fur et à mesure du film, on se perdait. On finissait par ne plus savoir si c’était l’actrice ou la chanteuse.

Toni Servillo dans Berlusconi.

Là, je trouve ça vraiment génial ! Quand Demoustier m’a proposé de jouer Mitterrand, je me suis d’ailleurs dit qu’il fallait faire exactement ce que faisait Servillo dans ce film de Sorrentino. Il joue ça comme une marionnette de Berlusconi. C’est extrêmement sophistiqué. Ce n’est pas réaliste du tout. C’est ce qui est beau. C’est une réalité fantasmée. D’ailleurs, dans la bande-annonce, on voit l’inscription : « Tout est VRAI. Tout est FAUX. » C’est exactement là qu’il faut se situer ! Avec de l’artifice, de l’onirisme, de l’exagération parfois, en tordant la réalité, en la faisant grimacer : montrer le vrai. Pour le montrer, ce vrai, il faut parfois savoir s’éloigner du réel. C’est d’ailleurs pourquoi j’aime la farce et la tragédie. Les deux se rejoignent d’ailleurs.

Pour terminer, parlons de Guitry. En ce moment, vous jouez La Jalousie au théâtre de La Michodière au côté de Gwendoline Hamon, Geneviève Casile et Alexis Moncorgé. Vous avez d’ailleurs incarné le personnage de Guitry dans un téléfilm sur Arletty.

Effectivement. Mais il n’y avait qu’une seule scène dans ce téléfilm. Je ne l’avais pas imité non plus cette fois-ci. En revanche, en ce moment au théâtre, c’est assez troublant. Je ne joue pas Guitry, je joue une pièce écrite par lui. Mais je joue le rôle que lui-même jouait, le rôle qu’il s’était écrit sur mesure. Et dans l’écriture, il y a quelque chose de la musique de sa voix, de son phrasé. C’est très étrange. C’est écrit comme cela. Parfois, quand je le joue, je crois l’entendre. Je ne cherche pas du tout à l’imiter, mais le style de l’écriture, sa musicalité font parfois inévitablement résonner sa voix !

Novembre 2025 – #139

Article extrait du Magazine Causeur




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est comédien.

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