Tout a-t-il été dit sur l’antisémitisme ? A peu près, et avec une acuité de plus en plus saillante, hormis un seul point. Qu’on le nomme antijudaïsme, antisionisme, haine des juifs, ou selon tout autre syntagme, l’antisémitisme demeure en partie un mystère insondable.
Il possède mille facettes répugnantes, cumulatives chez certains ; il n’épargne ni des femmes, ni des hommes ni des enfants qui ignorent tout de la judéité prise dans ses acceptions religieuse, philosophique, politique ou autre. Partout, l’antisémitisme est laideur.
D’où vient que pour satisfaire cette obsession muette ou virulente, des personnes deviennent capables, nous le voyons de plus en plus fréquemment, de prendre des risques déraisonnables voire insensés, au mépris et au péril de leur carrière professionnelle ou artistique ?
Nombre d’exploits récents tombés dans le domaine public démontrent que l’antisémitisme s’impose chez leurs adeptes comme une passion tournée contre soi, au sens où ce mot est issu du verbe latin pati, qui parmi ses acceptions en français a donné : pâtir.
Avec le concile Vatican II et plus particulièrement la Déclaration Nostra Aetate, l’Eglise a su se débarrasser de ce lourd problème qui pesait sur elle, la parasitant sans jamais en faire une doctrine officielle. Puis l’Episcopat français n’a cessé de prolonger cet effort remarquable.
Antisémitisme reste autant un terme inadéquat – les musulmans peuvent aussi être des sémites – que présent dans les sphères publiques et privées. Il trouve de tout temps des « affaires » pour étaler sa virulence, et chaque événement tragique au Moyen-Orient l’amplifie.
Il peut être suscité par d’autres que les ennemis déclarés des juifs. Prenons garde qu’il ne devienne aujourd’hui, à l’ère des réseaux et comme la calomnie décrite par Beaumarchais dans la tirade de Figaro, « un chorus universel de haine et de proscription. »
Que nous arrive-t-il, quatre-vingts ans après la Shoah, pour nous trouver dans l’obligation de rappeler que des enfants et des adultes juifs ne peuvent, ni ne doivent, être tenus comptables de la terrible hécatombe – y compris bien sûr celle du 7-octobre – qui sévit sous nos yeux ?
Les guerres d’Israël, depuis la création de l’État en 1948, n’avaient pas généré une telle personnalisation anonymisée, si l’on autorise cet oxymore, de l’antisémitisme. Ce phénomène renforce de fait le combat de ceux qui refusent la disparition progressive de la haine des juifs.
L’insulte, l’humiliation, l’exclusion constituent désormais des moyens à la portée des lâches qui ne peuvent plus, fort heureusement, s’appuyer sur l’appareil du troisième Reich et du gouvernement Pétain-Laval. Mais les antisémites d’aujourd’hui savent s’adapter.
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Ils appartiennent à tous les âges, sexes et catégories socio-professionnelles. En apparence, rien ne les relie. Comme avant ? En partie, car affirmer son antisémitisme passe aussi par des affichages de connivence tels que les T-shirts à l’effigie de Radis (comme radin/rabbin) Jacob.
Qu’il se cache ou se découvre, l’antisémitisme possède un ennemi, qui est son antidote : le philosémitisme. Les amis des juifs sont là, le disent et le montrent. Ils appartiennent à différentes confessions. Les chrétiens parmi eux se révèlent particulièrement actifs.
Les philosémites ont relevé la tête et se sont multipliés. Par leur sens de la République ou de la démocratie, leur volonté de considérer que les êtres humains sont égaux, leurs amitiés avec des juifs, leur religiosité ou leur laïcité, leur respect du prochain, ils ne transigent pas.
Ils constituent l’exact contraire des antisémites, les deux mots trouvant ici du sens. Leur intérêt pour le judaïsme s’inscrit à la racine de leur attitude. Un antisémite tente de convaincre, comme s’il devait à l’infini ressasser sa haine. Un philosémite intervient chaque fois que nécessaire.
Les deux attitudes s’opposent en tout. L’antisémite condamne sans comprendre et se vautre dans le mensonge, qui est nécessaire à ses arguments ; le philosémite possède, tout au contraire, le goût de l’histoire et la volonté d’approcher ou de comprendre les faits sur le temps long.
Le rapport entre l’antisémitisme et l’intelligence se révèle pervers, au sens originel d’une falsification de la raison : le premier doit écarter la seconde pour subsister, et plus exactement la « faire mal tourner », selon l’étymologie latine de pervertir, afin de la corrompre.
Que dire de ceux qui ne seraient ni l’un, ni l’autre ? La singularité de notre temps réside aussi dans le fait que l’antisémitisme pèse sur notre monde et en constitue l’une de ses grilles de lecture. Les nazis ont exterminé atrocement mais ont échoué : les juifs restent une question.




