Notre chroniqueur nous explique comment la culpabilité occidentale est utilisé comme arme de dissolution morale, afin d’ériger la Palestine en mythe fondateur d’une régénération islamique. Ce courant de pensée développé par Sayyid Qutb irrigue aujourd’hui universités, ONG et discours politiques.
Dans son livre Jalons sur la route, l’ancien cadre dirigeant des Frères musulmans, Sayyid Qutb, formule la phrase qui contient en germe l’une des dynamiques idéologiques les plus puissantes de notre temps :
« Nous devons frapper l’Occident dans sa culpabilité pour qu’il se dissolve de l’intérieur, tandis que nous rappellerons aux nôtres la gloire des premiers combats de l’islam ».
Qui était Sayyid Qutb ?
Pour comprendre la portée de cette phrase, il faut rappeler qui était Sayyid Qutb. Né en 1906 en Égypte et exécuté en 1966 par le régime de Nasser, Qutb est considéré comme l’un des principaux idéologues de l’islamisme moderne et le théoricien majeur des Frères musulmans. Son expérience en Occident, notamment aux États-Unis à la fin des années 1940, l’a profondément marqué : il y voit une civilisation matérialiste, dissolue, incapable de spiritualité. De ce constat naît son idée centrale : l’Occident est voué à la décadence morale et doit être combattu non seulement par les armes mais par une guerre psychologique et culturelle.
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Jalons sur la route, son ouvrage majeur, est à la fois un manifeste et un programme. Qutb y développe l’idée d’une communauté islamique pure à restaurer face à la jahiliya (l’ignorance préislamique) qui, selon lui, caractérise aussi bien les sociétés occidentales que les régimes musulmans sécularisés. Sa stratégie repose sur deux axes :
1. Désarmer l’Occident en frappant sa culpabilité historique et morale.
2. Régénérer le monde musulman en réactivant le souvenir des premiers combats de l’islam.
De Qutb au Hamas : une filiation idéologique directe
Le Hamas, fondé en 1987 comme branche palestinienne des Frères musulmans, est l’un des héritiers les plus directs de Qutb. Sa Charte de 1988 porte la trace explicite de sa pensée.
Dans l’article 1 :
« Le Mouvement de Résistance Islamique tire sa voie de l’islam. Son mode de vie est l’islam. De lui, il prend ses idées, ses concepts et ses jugements ».
L’article 22 :
« Avec leur argent, [les Juifs] ont pris le contrôle des médias, de l’éducation, de la culture. Ils ont fomenté les révolutions. Ils ont utilisé les sociétés secrètes et les organisations occultes pour détruire les sociétés et répandre la corruption ».
L’article 32 :
« La question de la Palestine est religieuse. Sa solution n’est pas un simple compromis politique. Elle est la mission de l’islam pour restaurer la justice sur terre ».
Cette logique — frapper l’Occident dans sa culpabilité et ériger la Palestine en mythe fondateur — va peu à peu infiltrer des espaces inattendus : universités, ONG, discours politiques.
1. Universités : la fabrique intellectuelle de la culpabilité
Dans les années 1970-1980, les départements d’études postcoloniales aux États-Unis et en Europe ont fourni un terrain fertile. Edward Saïd, dans Orientalism (1978), tout en n’étant pas islamiste, a donné un cadre académique à l’idée que l’Occident construit l’Orient comme objet de domination et doit expier. Ses élèves et héritiers idéologiques ont transposé cette logique sur la Palestine : le Palestinien devient la victime absolue à travers laquelle l’Occident peut réparer son crime colonial.
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Dans de nombreuses universités américaines, on retrouve mot pour mot la dynamique décrite par Qutb : Israël est assimilé au prolongement du colonialisme européen, et soutenir la cause palestinienne devient un acte de purification morale.
2. ONG et discours humanitaires : la mise en scène sacrificielle
Des ONG comme certaines branches d’Amnesty International ou Human Rights Watch, en se focalisant exclusivement sur Israël comme bourreau, participent à la construction d’un récit où la souffrance palestinienne est le lieu de rédemption morale de l’Occident. Cette approche n’est pas née d’un complot, mais d’une logique : plus la victime est pure, plus la culpabilité est expiée. Qutb avait prévu cette mécanique : dissoudre les sociétés occidentales en transformant leur sens de la justice en arme contre elles-mêmes.
3. Discours politiques : l’instrumentalisation de la repentance
Des figures comme Jeremy Corbyn au Royaume-Uni ou Jean-Luc Mélenchon en France, en érigeant la cause palestinienne en pivot moral de leur discours, s’inscrivent dans cette dynamique. Ce n’est plus un conflit à résoudre, c’est un sacrement politique : chaque déclaration en faveur des Palestiniens sert autant à dénoncer Israël qu’à purger l’Occident de sa propre faute.
La récurrence du mot « génocide » dans les débats sur Gaza illustre parfaitement la victoire psychopolitique de Qutb : renvoyer Israël et, à travers lui, l’Occident à la culpabilité absolue de la Shoah, inversée et retournée contre eux.
4. Culpabilité occidentale et fonction du Palestinien
Depuis 1967 et la guerre des Six Jours, la cause palestinienne a cessé d’être seulement un conflit territorial pour devenir un miroir moral tendu à l’Occident. Le Palestinien n’y apparaît plus seulement comme un acteur politique, mais comme une figure sacrificielle.
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Jacques Ellul l’avait noté : la propagande ne touche pas les masses populaires, mais les demi-sachants, ceux qui vivent dans l’univers moral médiatique. Le palestinisme a trouvé là sa cible : étudiants, intellectuels, élites politiques façonnées par l’idée que l’Occident doit expier.
5. Conclusion : le Palestinisme comme application de la méthode Qutb
Des salles de cours de Columbia aux résolutions de certaines ONG, des hashtags militants jusqu’aux discours parlementaires, on voit se déployer la méthode que Qutb avait décrite. La Charte du Hamas n’a fait que la rendre explicite.
• Frapper l’Occident dans sa culpabilité : transformer le Palestinien en miroir sacrificiel.
• Régénérer l’islam par la mémoire des premiers combats.
Nous ne comprenons pas la puissance du palestinisme si nous le réduisons à une géopolitique régionale. C’est une guerre morale. Une guerre de récits. Une stratégie de dissolution civilisationnelle.
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