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King Donald, roi du monde ?

Trump occupe largement l'espace stratégique et médiatique


King Donald, roi du monde ?
Donald Trump crie en jouant au golf sur son terrain de Turnberry en Ecosse, dimanche 27 juillet 2025 © Alastair Grant/AP/SIPA

L’opération « Liberation Day », lancée le 2 avril, par laquelle Donald Trump visait à révolutionner le commerce mondial, vient d’entrer dans une nouvelle phase avec l’annonce, jeudi soir, des tarifs que les États-Unis vont imposer aux autres pays à partir du 7 août. Cette annonce, ainsi que d’autres concernant les gouvernements de la Russie et d’Israël, clôt une semaine qui, pour Trump, a commencé par la mise en scène, en Écosse, de l’humiliation de la présidente de la Commission européenne, suivie de la semi-humiliation du Premier ministre britannique. Qu’on l’approuve ou non, Trump occupe largement l’espace stratégique et médiatique et rappelle sans cesse sa propre imprévisibilité ainsi que la puissance immense de l’État qu’il dirige.


Donald Trump est le président des États-Unis. Et peut-être du monde… Du moins, il en a l’air en ce moment. Il a le bras long: ses bombardiers furtifs B-2 Spirit font la moitié du tour de la planète pour frapper l’Iran. Sa grande stratégie tarifaire secoue toutes les nations du monde, les grandes comme les petites. Enfin, il semble être partout chez lui, car c’est en Ecosse, la terre ancestrale de sa mère, sur son terrain de golf de Trump Turnberry, qu’il a racheté en 2014, que le président a conclu un accord commercial préliminaire avec l’Union européenne et tenu des pourparlers avec son allié britannique, sir Keir Starmer. Dimanche dernier, il a accueilli Ursula Von der Leyen comme un prince accueillerait un vassal. Ils ont scellé par une de ces vigoureuses poignées de main qu’affectionne le président américain ce que Trump a qualifié de “plus grand deal jamais conclu”. Si quelque chose comme cet accord préliminaire – dont les deux partenaires ont retenu des versions sensiblement différentes – est approuvé par les États-Unis (la Cour d’appel américaine doit prononcer pour ou contre l’usage par Trump des décrets dans ce contexte), ainsi que par le Conseil européen (à la majorité qualifiée) et le Parlement européen (à la majorité simple), on pourra dire au moins qu’aucune puissance commerciale comparable à l’UE n’a accepté un accord aussi déséquilibré en se montrant apparemment reconnaissante. 

Les Chinois bénéficient d’un sursis jusqu’au 12 août

Le lendemain, c’était le Premier ministre britannique qui, bien que chez lui à proprement parler, est venu chez Trump baiser la pantoufle. Certes, son pays avait obtenu un meilleur accord avec les États-Unis que l’UE, avec un tarif de base de 10% plutôt que 15% – un des avantages du Brexit – mais le leader travailliste a été contraint d’occuper une place de subalterne. Les deux dirigeants ont tenu une conférence de presse où le chevalier Starmer a eu du mal à en placer une, tandis que King Donald a soulevé les différents dossiers où son interlocuteur aurait failli : l’immigration (il est vrai que le nombre des migrants illégaux traversant la Manche a déjà atteint 25 000 cette année, un record) ; la transition énergétique (Starmer aurait dû continuer à exploiter les ressources en pétrole et gaz de la Mer du Nord, au lieu de sacrifier au dieu de l’énergie verte) ; et le maire musulman de Londres, Sadiq Khan (selon Starmer, « mon ami », pour Trump « un type méchant »). Dans la foulée, Trump a mis la pression sur son allié, Benyamin Netanyahou, en annonçant que, selon lui, le problème de famine à Gaza était réel, et brusqué celui que le commentariat progressiste tenait pour son allié, Vladimir Poutine, en lui donnant un nouveau délai, beaucoup plus court, pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Mardi, il a ouvert un nouveau terrain de golf en Écosse, avant de retourner à Washington pour – comme il l’a dit – « éteindre des incendies autour du monde », c’est-à-dire mettre fin à des guerres et d’autres crises.

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Les Français ont surnommé Nicolas Sarkozy « l’omni-président » et Emmanuel Macron « Jupiter », mais ces deux présidents de la République n’arrivent même pas à la cheville de cet Américain de 79 ans en termes d’omniprésence, d’outrecuidance et de chutzpah. On n’a nullement besoin de croire que Trump est un génie ou qu’il a raison pour reconnaître que cet homme est un véritable phénomène. À peine deux jours après son retour « chez lui » à la Maison Blanche (plutôt que « chez lui » en Ecosse), Trump annonçait par décret les gagnants (relatifs) et les perdants (probables) de sa grande opération de renégociation des échanges commerciaux internationaux. Si le Royaume Uni, l’UE, le Japon et le Vietnam ont pu s’arranger avec les États-Unis, 17 pays n’ont pas pu négocier un accord pour réduire les tarifs douaniers, dont Trump les menace, avant la date-limite de minuit le 31 juillet. Pour tous, les nouveaux tarifs entreront en vigueur le 7 août, plutôt que le 1er (comme prévu), afin de donner aux fonctionnaires des douanes le temps de se préparer. Les pays les plus sévèrement punis ne sont pas les plus grands : ainsi, la Suisse écope de 39%, Laos et le Myanmar de 40%, et la Syrie de 41%. Le Brésil, dont le président Lula a un différend avec Trump qui l’accuse de persécuter juridiquement son prédécesseur Jair Bolsonaro, tout comme les Démocrates ont persécuté Trump après la marche sur le Capitole, aura un tarif de base de pas moins de 50%. Le Japon, qui a un accord, a 15%, ainsi que la Corée du Sud qui n’en a pas. Taïwan, un proche allié des États-Unis qui est menacé d’invasion par la Chine, est à 20% mais espère toujours arriver à un accord. Le Canada, qui a un accord de longue date avec les États-Unis et le Mexique, aura 35% sur les produits qui ne sont pas couverts par ce traité. Pourquoi ? Parce que son Premier ministre Mark Carney a osé riposter aux premiers tarifs imposés par Trump et parce que, selon ce dernier, le pays du sirop d’érable n’a pas suffisamment entravé l’exportation illégale du fentanyl vers les États-Unis. Les négociations avec la Chine étant toujours en cours, ce pays a une extension jusqu’au 12 août avant une décision sur les tarifs par la Maison Blanche…

S’il y a une cohérence derrière le chaos apparent de ces différentes décisions, c’est une combinaison entre une logique purement économique et commerciale et des besoins d’influence géopolitique. C’est ainsi que le Pakistan a vu les tarifs réduits de 29% initialement, à 19% grâce à un accord sur l’exploitation commune des réserves pétrolières de ce pays. En revanche, l’Inde reste à 25%, non seulement parce que le pays n’a pas encore pu négocier un accord avec les Etats-unis, mais aussi parce qu’il continue à permettre à la Russie de Poutine d’éviter les sanctions occidentales visant l’exportation du pétrole russe. Comme le dit Trump dans le texte de son récent décret : « certains partenaires commerciaux […] ont signalé leur intention sincère […] de s’aligner sur les Etats-Unis sur des questions économiques et de sécurité nationale ». Notez bien : les questions économiques ne sont pas nécessairement séparables de celles de la sécurité nationale (il est vrai que cela conforte la justification invoquée par Trump pour fixer des tarifs, question commerciale, par décret présidentiel, outil sécuritaire).

Wall Street mise au pas

Il y a surtout deux leçons essentielles à retenir des actions récentes de Trump, du moins à court terme. D’abord, l’Amérique est de retour. Il est trop tôt pour dire si le président a rendu à l’Amérique sa grandeur – « made America great again ». Mais c’est un camouflet pour tous ces commentateurs tellement doctes – surtout en France – qui prétendaient pouvoir lire et prédire les intentions de l’imprévisible président en soutenant qu’il voulait que les Etats-Unis reviennent au XIXe siècle, qu’il cherchait un repli sur soi de son pays, qu’il envisageait une division du monde entre les sphères d’influence de l’Amérique, de la Russie et de la Chine. Non seulement un enfant devrait se rendre compte qu’une telle vision est impossible à notre époque, mais la grandeur américaine, telle qu’elle est conçue par Trump, ne peut pas accepter de céder du terrain à des rivaux. Trump vient de montrer que, selon lui, le président des Etats-Unis doit influer sur tout ce qui se passe sur la planète, non pas en envoyant ses GIs se battre en terre hostile, mais par des opérations militaires ciblées et en exerçant une pression économique non seulement sur ses ennemis, mais aussi sur ses alliés peu coopératifs.

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La seconde grande leçon est le retour de l’Etat. En combinant intérêt économique et intérêt géopolitique, Donald Trump nous montre que l’Etat, du moins le plus puissant des Etats, n’a pas à être le jouet des multinationales et des bourses. En imposant, que ce soit dans un premier temps, ses quatre volontés, sans consulter Wall Street (la finance) ou Main Street (l’industrie), il fait penser à ce mot de Boris Johnson apprenant que les entreprises britanniques redoutaient le Brexit: « F*ck business » (au diable le monde des affaires). Il ne s’agit pas de faire fi des intérêts des entreprises – loin de là – mais de rappeler qu’elles sont là pour servir la nation et pas le contraire.

Il faudra du temps pour arriver à une conclusion sur le bien-fondé de l’approche de Trump sur le plan économique. Mais entre-temps, nous pouvons au moins saluer son affirmation de la primauté de la politique. Dans les « Papiers fédéralistes », grand recueil d’essais définissant un plan d’action politique pour la nouvelle république américaine à la fin du XVIIIe siècle, Alexander Hamilton proclame que « la vigueur du gouvernement est essentielle pour la sécurité de la liberté ». Quelle nation démocratique aujourd’hui ne voudrait pas avoir un dirigeant plus vigoureux que les Macron, Starmer et Carney (ce dernier étant un peu au-dessus des deux autres) à sa tête ? Dernière nouvelle : pour tous les commentateurs qui prétendaient que Trump n’était que le fantoche de Poutine, le président américain vient d’ordonner le déploiement de deux sous-marins nucléaires en réponse à des commentaires « provocateurs » de la part de Dmitri Medvedev, le vice-président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie.

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