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"Chez Temporel – Célébration d’André Hardellet" de Patrick Cloux (Le temps qu’il fait, 2021)


Patrick Cloux célèbre la mémoire d’André Hardellet dans un Vieux Paris ressuscité


Il y a un mystère André Hardellet (1911-1974). Il suffit de rencontrer sa prose, peu importe la forme ; fiction, nouvelles, textes épars et volatiles, réflexions au bord d’une rivière ou dans le corsage d’une servante accorte ; peu importe aussi à quel âge on le rencontre, celui des bandaisons infernales ou d’une fin de vie alitée, pour être touché par son onde nostalgique. Hardellet, alchimiste du souvenir, polisseur du temps jadis, gardien des stations de métro fantômes, est l’écrivain des mondes enfouis et parallèles. 

André Hardellet, la mémoire des terrains vagues

Il vous guide dans un voyage où les lieux et l’horloge sont des notions abstraites, la réalité n’est plus qu’un masque interchangeable, vous vous dirigez alors, sous sa dictée détraquée, vers une société secrète qui s’émeut du fuselage d’une truite arc-en-ciel et d’un sein lourd au voile de satin. On est happé par ses échappées nocturnes, la banlieue se transforme sous sa baguette en royaume de l’imaginaire, un jardin d’apparence quelconque prend des allures de palais, les herbes folles fouettent toutes vos certitudes. 

Le terrain vague est la nouvelle page blanche sur laquelle élans du cœur et du corps viennent redresser les existences molles. Hardellet joue avec sa mémoire, il entrouvre les portes d’un ailleurs fantasmé et cependant jamais coupé de ses racines populaires. Voilà pourquoi on tombe en admiration devant cet écrivain trop discret pour susciter l’intérêt calculé des élites universitaires. Contrairement aux imposteurs qui encombrent les manuels, Hardellet, regard bienveillant et moustache tombante, ne s’est jamais agité dans les cénacles. 

Hardellet, notre Nerval

Il a traversé les lettres en petit père peinard, avec le zinc comme horizon, la chanson et l’accordéon en fond sonore et puis aussi les copains, Fallet, Simonin, Boudard, Nucéra, André Vers ou Robert Giraud, toute la clique des arpenteurs du pavé, les argotiers du Paris oublié. La physionomie d’Hardellet l’a assurément desservi dans le concert des égos. Il est passé inaperçu chez les beaux parleurs de la littérature. Il n’avait pas la gueule à colloquer sur les misères du monde et échafauder des concepts savants qui ébranlent seulement les gogos. Laissons ces malfaisants des lettres à leur ignorance crasse, ces arpettes ne savent ni lire, ni écrire, leurs leçons ne sont que des insultes au style et à l’émotion parlée. 

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Car nous sommes un certain nombre à considérer Hardellet comme l’un des écrivains majeurs du XXème siècle, certains d’entre nous n’hésitent pas à le rattacher à l’arbre généalogique des monstres sacrés qui relie Villon à Proust, Nerval à Morand. Il y a chez lui, tous les ferments d’une littérature décorsetée, ondoyante, aux reflets tantôt irisés, tantôt sombres, parfois au goût amer, vénérant les épidermes et toujours ensorcelante dans son mouvement claudicant et ses sonorités diffuses. Faire passer Hardellet pour un petit maître, c’est manquer cruellement de discernement et d’oreille musicale. 

Patrick Cloux perce le mystère Hardellet

Guy Darol fut l’un des premiers à défricher une œuvre pleine de malice et d’entrelacs, il est désormais suivi par Patrick Cloux, l’orpailleur des Halles dans un livre joliment titré « Chez Temporel » qui paraît aux éditions Le temps qu’il fait. Cloux, auteur entre autres d’Un vin de paille (2004) et Au grand comptoir des Halles (2018) chausse des bottes de sept lieues pour mieux suivre cet écrivain dans ses virées urbaines. Cette balade n’a rien de scolaire, elle est portée par une écriture à fleur de peau, à fleur de mots où l’érudition ne se hausse pas du col. Délicat entremetteur et fin connaisseur du Paris disparu, Cloux a le désir ardent de faire partager sa passion pour Hardellet, de célébrer le romancier et le poète, le surréaliste et le populiste, à sa juste valeur, de lui redonner son éclat d’antan. Approcher cette bête curieuse qui a cheminé en marge des radars médiatiques, sans la brusquer et sans la trahir est une gageure. Cloux réussit brillamment cet exercice dans une langue précise et énamourée. Mais d’abord, pourquoi l’aime-t-il tant l’architecte de La Cité Montgol (1952) et le parolier de Patachou ? « Il a rendu possibles et probantes des percées ordinaires. Il habita longtemps un Paris désormais défait, autrefois féérique, éclectique, surréaliste avant qu’on ne le sache, qu’on ne s’en gausse » écrit-il. 

Cloux perce le mystère Hardellet, par touches sensibles, il s’aventure sur le terrain des surréalistes, lance des passerelles du côté de chez Gracq, Proust ou Pirotte, se fait le chantre de la mélancolie banlieusarde ou de l’eau vive des campagnes. Il cerne l’art d’écriture, presque divinatoire, d’Hardellet par cette formule qui restera : « La moindre image, comme une allumette soufrée, prenait subitement feu, dès que frottée à des souvenirs ». Hardellet nous est désormais moins inconnu grâce au travail éclairant de Patrick Cloux. Dès les premières pages de « Lourdes, lentes… », Hardellet s’amusait de la rapidité de son esprit à divaguer : « Nous avons tous du génie dans la position horizontale et les yeux clos ». Mais lui seul transformait ses fulgurances, ses rêves, ses escapades en merveilles imprimées.

Chez Temporel – Célébration d’André Hardellet de Patrick Cloux – Le temps qu’il fait

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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