Hongrie : où sont passés nos héros de 1956?


Les Hongrois viennent de commémorer leur révolution de 1956 mais cet anniversaire est passé quasi-inaperçu. Et pourtant, comme cet événement avait alors bouleversé le monde libre! Après les émeutes qui avaient secoué trois ans plus tôt Ostrawa, Pilsen et surtout Berlin, suivies au printemps 1956 par l’insurrection des ouvriers de Poznań, c’était la première fois qu’un peuple  se soulevait contre l’oppression du régime communiste.

Un soulèvement dont on connaît la fin tragique, mais qui nous laissa un moment y croire, espérer…. Bien naїvement, avouons-le. Car c’était rêver que d’espérer un soutien de l’Ouest qui n’allait pas risquer un conflit ouvert pour ce petit pays, certes attachant, mais sans véritable enjeu stratégique.  On a invoqué la crise de Suez comme excuse pour expliquer la non intervention. Non. Il s’agissait tout simplement de ne pas remettre en cause les accords de Yalta et de ne pas prendre de « risques inutiles » pour « une poignée d’insurgés ».  Les Hongrois ne nous le pardonneront jamais et ils ont bien  raison.

Mais bon, c’est le passé et nous n’allons pas refaire l’Histoire. Il serait plus intéressant de voir ce qu’il en est aujourd’hui. Ce jeudi 23 octobre, jour férié en Hongrie, se sont tenues à Budapest au minimum une bonne demi-douzaine de réunions bien distinctes, si possible autant éloignées que faire se peut les unes des autres, chacun revendiquant l’héritage de 56, en évitant de se mélanger à un voisin exécré. Au lieu de se retrouver tous ensemble, ne serait-ce que le temps d’une journée, au-delà des divergences d’opinions. Autre constat : abstraction faite de ces rassemblements, peu d’écho, ou du moins pas de véritable émotion au sein de la population, sinon pour apprécier une journée de repos bienvenue et, pour certains (une minorité), trouver prétexte à réaffirner ses affinités poltiques, bien au-delà du souvenir.

Alors que mes proches et amis de France n’ont cesse d’évoquer le courage légendaire des Hongrois (qui s’est également manifesté en 1989), qu’il nous paraît loin, pour qui vit aujourd’hui en Hongrie, ce courage « légendaire », effectivement devenu « légende » plus que réalité !

Mais bon. Ne jetons pas la pierre à une population dont une grande part n’a d’autre souci que de survivre au quotidien. Rappelons que, sur 10 millions d’habitants, plus de 3,5 millions sont reconnus comme vivant à la limite ou au-dessous du seuil de pauvreté… Des  Hongrois qui ont pour la plupart mille autres chats à fouetter que d’aller manifester – ou plutôt faire le clown dans la rue, comme l’a si élégamment déclaré un jour leur Premier ministre Viktor Orbán… D’autant que – les licenciements étant autorisés sans motif dans les collectivités et la fonction publique – beaucoup risqueraient d’y perdre leur emploi.

Viktor Orbán : justement, parlons-en! Si le climat s’est passablement détérioré pour opposer en Hongrie des camps non pas « adverses », mais carrément « ennemis », c’est bien parce qu’il n’a cessé et ne cesse de jeter joyeusement de l’huile sur le feu, notre cher Premier ministre. Par une rhétorique constante de combat et de lutte oú se retrouvent pêle-mêle dans le même sac Bruxelles, Washington, le FMI, le gouvernement norvégien, les ONG et qui sais-je encore? Pour faire en contre-partie l’apologie de la Chine, des régimes Poutine et Erdoğan….et condamner ouvertement le libéralisme – voire la démocratie à mots couverts – comme l’oeuvre du diable… Rhétorique de combat qui déclare d’emblée hors-jeu tout opposant comme coco (sic, en hongrois komcsi) ou, tout simplement traître à la patrie…

Pas étonnant, dans un tel climat, que le consensus ne puisse se faire autour d’un événement majeur tel que la commémoration de 1956. Mais surtout, et bien plus grave, que la majorité de la population tourne le dos à la politique, dépitée par cette bagarre incessante qui devient plus que lassante. Résultat:  41% de participation aux dernières élections municipales et  à peine 61% aux législatives. Pas particulièrement brillant, contrairement  à ce qu’on se plaît à affirmer en haut lieu…

Petite consolation: à Paris se retrouvent chaque année sous l’Arc de Triomphe Hongrois de Paris et leurs amis français, eux au moins, réunis dans le seul souvenir et le respect des combattants de 56 qu’ils fussent de gauche ou de droite…

Merci à eux!



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Diplômé des Langues'O (russe, hongrois, polonais), Pierre Waline est spécialiste de l'Europe centrale et orientale. Il vit a Budapest où il co-anime entre autres une émission de radio.

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