Euthanasie : le docteur Bonnemaison jugé dans la dignité


Euthanasie : le docteur Bonnemaison jugé dans la dignité

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On nous avait annoncé un procès historique. Mais ce n’est pas l’« euthanasie active » qui a été jugée à Pau, c’est bien le docteur Nicolas Bonnemaison, urgentiste bayonnais qui l’a pratiquée en violation de la loi en vigueur. Rappelons brièvement les faits : le 12 août 2011, Nicolas Bonnemaison est interpellé à l’hôpital de Bayonne, où il dirige une unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD), puis placé en garde à vue et mis en examen. La procédure a été déclenchée par un rapport, transmis au parquet par un cadre hospitalier, faisant état de témoignages d’infirmières et d’aides-soignantes sur des cas d’« euthanasie active » de patients admis dans le service. Peu après, Nicolas Bonnemaison est placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d’exercer. Il est soupçonné d’avoir précipité la mort de sept personnes. Dans la quasi-totalité des cas, il s’agissait de morts attendues de patients à l’agonie. En outre, les familles des victimes n’ont pas porté plainte, un seul couple choisissant de se constituer partie civile dans le but d’avoir « accès au dossier ».

Ce n’était pas le procès de l’euthanasie, car le procès du docteur Bonnemaison aurait eu lieu même dans les pays où elle est légale, comme l’a justement rappelé Jean Léonetti, qui a donné son nom à la loi contre « l’acharnement déraisonnable ». Les lois belge et néerlandaise soumettent l’euthanasie à des critères stricts : souhait explicite de mourir d’un patient capable de discernement, transparence de la procédure menant vers cette fin, et enfin, consultation et prise de décision collégiales engageant au moins deux praticiens. Aucun de ces éléments n’apparaît dans les agissements du docteur Bonnemaison. [access capability= »lire_inedits »] Les dogmatiques de la « mort douce » rétorquent que c’est précisément la prohibition de l’euthanasie dans l’Hexagone qui est la cause de cette absence de règles – ce qui est indéniable sur le plan logique. Et pourtant, avant même la promulgation de la loi Leonetti du « laisser mourir » et de la sédation terminale, donc dans une situation bien plus contraignante sur le plan législatif, le docteur Frédéric Chaussoy avait trouvé le courage et la circonspection nécessaires pour décider de l’arrêt du traitement de Vincent Humbert en concertation avec son équipe médicale.

Plus encore peut-être que le refus d’une souffrance inutile, le premier argument en faveur de la dépénalisation de l’euthanasie, c’est la liberté: le droit du citoyen-patient de décider du moment de sa mort lorsque la médecine n’a plus rien à lui proposer. Bien qu’agonisants, les patients du docteur Bonnemaison n’avaient pas exprimé leur volonté de voir leur vie abrégée, pas plus qu’ils n’avaient laissé de directives anticipées allant dans ce sens. C’est assez embarrassant. Moins, hélas, pour Nicolas Bonnemaison que pour tous ceux qui voudraient voir la loi évoluer : leurs adversaires, qui promettent que jamais une loi autorisant l’empoisonnement des vieillards malades, aussi compassionnel qu’il puisse paraître, ne sera votée par l’Assemblée nationale, ont sans doute marqué des points.

Il faut donc rappeler que ce n’était pas le procès de l’euthanasie. Et si, très bêtement, cela n’avait été que celui d’une liaison extraconjugale ? Expliquons-nous : le docteur Bonnemaison a eu l’idée fort périlleuse, en 2009, de mélanger sa vie professionnelle avec sa vie personnelle, en nouant une relation intime avec une de ses infirmières. L’histoire a dû mal se terminer : en tout cas, l’infirmière n’a pas perdu son temps pour aller rapporter à la surveillante du service qu’elle avait vu des « choses graves » en rapport avec le traitement réservé par le docteur Bonnemaison à certains de ses patients. Détail supplémentaire : la veille de son audition par le juge d’instruction, la galante a encore hurlé devant l’avocat de Nicolas Bonnemaison : « Je vais lui pourrir la vie ! » Pari gagné. Car, ne soyons pas dupes, Bonnemaison n’est ni le seul, ni le premier, ni le dernier médecin en France à pratiquer des euthanasies clandestines ou semi-clandestines. Claire Compagnon, représentante des usagers aux hôpitaux de Paris, évoque des chiffres qui impressionnent : « En 2010, une étude sur 2500 décès dans 174 services d’urgences a été faite. La moyenne d’âge lors de la mort est de 77 ans. Pour près de 80%, une décision de limitation ou d’arrêt des traitements a été prise. En clair, une décision d’euthanasie passive. Dans un cas sur deux seulement, cette décision a été discutée avec la famille. » Il convient de préciser que la différence entre euthanasie active euthanasie passive et sédation terminale tient à la durée de l’agonie : de quelques minutes dans le premier cas jusqu’à une semaine ou dix jours dans le dernier. Il y a fort à parier que le procès de Nicolas Bonnemaison n’aura aucune influence sur l’ampleur du phénomène. Tout au plus, il fera réfléchir les médecins, et plutôt deux fois qu’une, sur le choix de leurs maîtresses. Plus prudent, Nicolas Bonnemaison aurait pu opérer sans être inquiété dans la zone grise de la loi Leonetti s’étendant entre le « laisser mourir » et la sédation palliative.

Le procès de Bonnemaison ne cacherait-il pas, d’ailleurs, celui de Leonetti, initiateur d’une loi dont on ne cesse de dénoncer les insuffisances et l’hypocrisie, tout en déplorant qu’elle soit ignorée, y compris par le corps médical ? Une mauvaise loi donc, puisque Jean-Luc Romero, de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), quand il y a une bonne loi, « la société s’en empare ». Soit. Il n’est pas sûr que la société ait envie de s’emparer des questions de fin de vie, du handicap ou de la mort. Jusqu’à présent, on n’a pas vu de manifestations populaires en faveur de la création d’un « fichier national des directives anticipées », lesquelles, d’ailleurs, n’ont toujours pas de force contraignante, les médecins conservant ainsi le pouvoir de décider en dernière instance ce qui est, ou pas, souhaitable pour chacun de nous. Michèle Delaunay, l’ancienne ministre déléguée chargée des personnes âgées et de la dépendance, a touché juste en observant, en marge du procès du docteur Bonnemaison : « Le législateur ne peut pas s’absoudre de sa responsabilité sur les questions de fin de vie. Mais il ne pourra jamais en couvrir tous les aspects. » Que la loi Leonetti soit loin d’être parfaite n’exige pas une longue démonstration. Le cas de Vincent Lambert en témoigne, le Conseil d’Etat ayant dû statuer sur le sort d’un malade qui, sans l’aide des « machines à vivre », ne résisterait pas longtemps, alors que la loi interdit formellement l’acharnement thérapeutique – décision en outre suspendue par la CEDH.

Il faut cependant avoir à l’esprit qu’une loi autorisant le suicide assisté, voire l’euthanasie − aussi souhaitable ou nécessaire qu’elle paraisse aux yeux d’une écrasante majorité de Français − ne nous prémunir pas contre les « dérives de la médecine », cet autre mot pour désigner le « progrès ». Il y a trente ans, il n’y aurait pas eu de cas Vincent Lambert, parce qu’il y a trente ans, la médecine ne savait pas encore « fabriquer le handicap », selon la pertinente formule de la neurochirurgienne Anne-Laure Boch, pas plus qu’elle ne savait produire massivement la démence sénile, notre avenir commun. Sommes-nous vraiment prêts à l’entendre ?

Le procès de Nicolas Bonnemaison aurait-il alors été celui de la médecine technicisée, trop scientifique et, paradoxalement, trop performante ? Non plus. Pour autant, ce procès n’aura pas été Mais celui d’un « assassin ». Et il faudrait être d’une extrême mauvaise foi pour affirmer le contraire face aux témoignages des experts psychiatres, de l’avocat général et surtout des familles des victimes. Ce procès était simplement le nôtre. Le procès d’une société « devenue intolérante à l’agonie », comme l’avait pointé avec force le professeur Didier Sicard. D’une société de mortels qui s’ignorent, qui continuent à croire aux promesses d’une éternelle jeunesse et qui s’étonnent, sinon s’offusquent, en « découvrant » la réalité brutale de la vieillesse grabataire, de telle ou telle autre maladie dont on ne se remet pas mais dont on ne meurt pas non plus, d’un diagnostic ne donnant plus aucun espoir. Nicolas Bonnemaison est le produit de cette société et, somme toute, en tant que médecin, il n’a tenté que de répondre à ses attentes contradictoires. [/access]

* Photo : Bob Edme/AP/SIPA/AP21580564_000003

Eté 2014 #15

Article extrait du Magazine Causeur



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Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l'édition.

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