Orbán : un Poutine hongrois?


Orbán : un Poutine hongrois?

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Commentant la crise ukrainienne, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a récemment déclaré lors du sommet du Groupe de Visegrád réunissant Pologne, République tchèque, Slovaquie :  « les Hongrois établis dans le bassin des Carpates sont en droit de prétendre à la double nationalité et à l’autonomie », ajoutant: « Voilà en clair ce que nous attendons de la nouvelle Ukraine. »

Des déclarations qui ont entraîné, outre la réaction indignée de Kiev, la désapprobation du Premier ministre polonais. À tel point que le ministre hongrois des Affaires étrangères János Martonyi a dû intervenir pour nuancer les propos de son patron et rectifier le tir. Prenant le mot « autonomie » dans un sens purement « culturel et personnel », et non « territorial ». Ouf!

Certes, on comprendra que les Hongrois établis sur les territoires de l’ancienne Grande Hongrie aspirent à retrouver la nationalité de leurs aïeux. Démarche qui n’est toutefois pas sans poser des problèmes. Tout d’abord du fait que, les gouvernements des pays voisins concernés[1. Slovaquie, Ukraine, Roumanie, Serbie (ainsi que, dans une moindre mesure, la Croatie).] n’ayant été ni consultés ni même avisés, elle entraîne certaines réactions de blocage. Ainsi, les autorités slovaques et ukrainiennes rejettent la notion de double nationalité. Et quand bien même. Imaginez un village d’Ukraine ou de Serbie où un ressortissant d’origine hongroise pourrait voyager avec un passeport Schengen, à la différence de son voisin serbe ou ukrainien de souche. Mais au-delà, c’est purement et simplement le droit de vote qu’entend conférer Viktor Orbán à ses nouveaux concitoyens. Voter pour un parlement qui édictera des lois ne s’appliquant pas à leur territoire, voilà qui est bien curieux. Comme si un Wallon ou un Genevois pouvait élire un député à la Chambre de Paris.

Opération qui, malgré les cris de victoire bruyamment lancés par les dirigeants hongrois, ne semble pas avoir suscité l’enthousiasme attendu. J’ignore le nombre précis de ces naturalisations, mais il semble qu’il ne dépasse guère deux ou trois centaines de milliers sur une population estimée à deux millions et demi[2. Roumanie: 1 500 000,  Slovaquie: 520 000,  Serbie: 300 000,  Ukraine: 150 000, environ 60 000 répartis sur la Croatie, l’Autriche et la Slovénie, d’après les estimations.]. Quant au droit de vote, il s’est limité à 196 000 inscrits, dont 120 000 seulement ont voté aux législatives du 6 avril.

Pour parler d’autonomie, encore faudrait-il que ces populations occupent un territoire homogène et bien délimité où elles seraient majoritaires. Or, tel n’est pas le cas, sauf pour le profil très particulier du Pays sicule (Székelyföld) qui a toujours formé un îlot exclusivement hongrois au centre de la Roumanie. En Ukraine (en mettant à part le cas des russophones), les Hongrois sont loin de former la seule minorité. Dans le même ordre de grandeur (entre 150 000 et 250 000), nous pourrions citer les Polonais, Roumains, Moldaves, Bulgares ou encore les Grecs. Une véritable mosaïque qui représente dans son ensemble un faible pourcentage, certes, mais dont l’éclatement serait fatal au pays. L’’autonomie « culturelle » des Hongrois d’Ukraine serait non seulement fatale à ce pays – déjà en proie à une quasi-guerre civile – mais inutile : cette minorité dispose déjà d’écoles, de théâtres et de bibliothèques en langue hongroise.

Plus généralement, c’est toute l’Europe qui finirait par éclater en petits morceaux si l’on se mettait à jouer à fond au petit jeu de l’autonomie par-ci, indépendance par-là. Les Catalans et Basques s’y sont déjà mis, bientôt suivis des Écossais, voire les Autrichiens du Sud-Tyrol, les Alsaciens, Bretons, Frisons, Souabes, Corses, Sardes ou encore les Français du Val d’Aoste, sans parler de la séparation Flamands-Wallons, et ainsi de suite ? Bref, une Europe morcelée en une multitude de régions et micro-régions, tel un costume d’Arlequin.

Naïf que je suis, je pensais jusqu’ici que la force de mon pays, la France, était précisément de rassembler sous une même banière, celle de la République, des peuples d’origines aussi diverses que Celtes, Normands, Germains, Latins, voire Nord-Africains, et autres. Et bien non, voilà qui est ringard et dépassé!

Mais, pour en revenir à notre ami Orbán, j’ai comme un petit soupçon : sous couvert d’autonomie (à terme, disons-le clairement, d’indépendance, puis de ralliement à la mère patrie), ne vise-t-il pas le regroupement de l’ethnie magyare au sein d’un même grand Etat? Mais je dois sans doute fantasmer…

*Photo : Yuri Kochetkov/AP/SIPA. AP21507555_000005.



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Diplômé des Langues'O (russe, hongrois, polonais), Pierre Waline est spécialiste de l'Europe centrale et orientale. Il vit a Budapest où il co-anime entre autres une émission de radio.

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