Accueil Édition Abonné S’attaquer aux plus faibles et pouvoir toujours recommencer: la décivilisation expliquée par les faits-divers

S’attaquer aux plus faibles et pouvoir toujours recommencer: la décivilisation expliquée par les faits-divers

Une violente agression choque l'opinion depuis 24 heures


S’attaquer aux plus faibles et pouvoir toujours recommencer: la décivilisation expliquée par les faits-divers
L'essyiste et journaliste Céline Pina © Bernard Martinez

Dans l’affaire de l’agression d’une grand-mère et d’une petite fille à Bordeaux, en boucle, nos médias mettent en avant le fait que l’agresseur est Français, qu’il est né à Bordeaux, et qu’il y a bien d’autres agressions de ce type tous les jours dont on ne nous parle pas. Céline Pina rappelle pourquoi. La gauche et les médias ont en tête le précédent Paul Voise.


L’agression d’une grand-mère et de sa petite fille à Bordeaux est devenue virale sur internet. Il faut dire que la vidéo est particulièrement choquante et que le profil de l’agresseur a de quoi interpeller. L’homme est très connu des forces de police. Il a en effet fait l’objet d’une cinquantaine d’arrestations et compte 15 condamnations à son actif. C’est un déséquilibré mental, violent et agressif et qui vit pourtant en liberté alors qu’il vient de faire la preuve de sa dangerosité. C’est toujours le même film qui recommence, dessinant peu à peu sous les yeux effarés des Français, le portrait d’une société où l’on ne sait plus ni sanctionner ni protéger, où les « déséquilibrés » se promènent en liberté et où une certaine presse est indifférente à ce type d’agression et préfère faire un procès en extrême-droite à tous ceux qui s’indignent plutôt que de faire le constat de la récurrence d’agressions de plus en plus violentes. Cette réaction d’une partie de la presse de gauche est due à une seule chose, la couleur de peau du suspect. Si celui-ci avait été blanc, même Libération n’aurait osé écrire qu’après tout ce type d’agression est fréquente et que la seule chose qui explique autant d’émotion est la possibilité de faire à travers cette affaire le procès de l’immigration et de notre incapacité à intégrer certaines populations.

Récupération ou éveil des consciences ?

Cette rhétorique politicienne que LFI a d’ailleurs instantanément adoptée passe à côté du vrai problème. Ce qui est choquant ici, ce n’est pas le suspect. Il est plutôt tristement conforme aux représentations. Ce sont bien les victimes. Cette grand-mère et sa petite-fille, littéralement jetées au sol avec sauvagerie à Bordeaux rappellent la tentative d’assassinats de bébés en poussette qui a eu lieu à Annecy récemment, mais aussi l’agression de feu Paul Voise, qui marqua la fin de la campagne du premier tour de l’élection présidentielle de 2002. Les images de l’agression de Bordeaux recèlent la même charge symbolique : s’en prendre à des personnes âgées, aux enfants, interpelle brutalement l’inconscient collectif. Elle a un effet de déflagration proportionnel à l’innocence et à la faiblesse des personnes attaquées. Elle est la marque à la fois de la barbarie et de la lâcheté. Les avancées civilisationnelles se mesurent à la place laissée aux plus faibles. Un empire a besoin de conquérants, la faiblesse est un boulet, la vulnérabilité, une faute, et la sélection naturelle est glorifiée puisqu’elle élimine les « hommes en trop ». La civilisation, elle, met la force au service de la protection des plus faibles, accorde une place privilégiée à l’enfance et à la vieillesse. Elle trouve son sens dans l’humanisme, l’égalité, la liberté et la solidarité, là où l’empire mesure tout en termes de domination.

D.R.

C’est pour cela que de telles images ne peuvent qu’appeler un positionnement politique. Le qualifier de récupération est peut-être excessif, ou alors la mort du petit Aylan sur une plage a aussi fait l’objet d’une récupération sordide. Les médias de gauche n’usent du qualificatif de « récupération » que lorsqu’un évènement entraîne des commentaires à droite et quand c’est la gauche qui instrumentalise une image ou une situation, alors les thuriféraires de Libération la nomment « éveil des consciences », c’est beaucoup plus chic.

Non, non, ne regardez pas cette vidéo !

En 2002, certains ont considéré que l’agression de « papy Voise » avait coûté à Jospin les quelques points nécessaires à sa qualification au 2eme tour et n’était pas pour rien dans la consécration de Jean-Marie Le Pen. Voilà pourquoi une partie de la gauche en appelle à la censure et voudrait que ce type d’évènement soit censuré car le fait de les couvrir et d’en diffuser les images favoriserait la xénophobie et le racisme. Il faudrait dissimuler le réel car il n’est pas conforme à l’idéologie qui nie la différence des cultures. Or le rapport à la violence, le fait de se sentir viril en exerçant la violence plutôt que de considérer qu’être un homme, c’est être capable de se contrôler est une différence culturelle majeure. Magnifier la brutalité ou la condamner ne fait pas émerger le même type de société.  

D.R.

Autre point qui interpelle, le sentiment d’être abandonné par l’État et la justice. La police fait visiblement son travail au vu des multiples arrestations de l’agresseur de Bordeaux. Mais une fois de plus, une fois encore, une énième fois de trop, l’individu baguenaudait en liberté sans que quiconque ne paraisse se soucier de sa dangerosité. Or ce type de défaillances dans la protection de la population qui aboutit à la mise en danger des plus vulnérables d’entre nous se multiplient. La complaisance derrière des politiciens LFI et de certains journalistes de gauche qui dédramatisent la violence de l’attaque pour faire le procès de l’extrême-droite renforce encore le sentiment d’abandon de la population. Pire même, elle envoie le signal de la trahison d’une partie de leurs représentants. La gauche Nupes préfère dans la réalité sacrifier les plus faibles, surtout s’ils sont blancs, aux prédateurs issus de la diversité pour ne pas casser son mythe de la créolisation heureuse, de l’oppression des minorités et du multiculturalisme humaniste. Le problème, c’est que ces irruptions tragiques de la réalité démontent ces belles paroles et montrent une société qui se défait, où les plus faibles deviennent des proies, ce qui est la définition même de la loi de la jungle. Ce que cette grand-mère et cette petite fille ont subi nous mène tout droit vers la levée d’un interdit symbolique : la vengeance.

On lance le mot « décivilisation » au visage des citoyens, et puis on parle vite d’autre chose

Or, rien de plus humain que la vengeance, seule l’éducation peut amener à rompre avec la spirale de violence qu’elle déclenche et le sang qu’elle appelle à verser. Pour cela il faut un État fort, un État susceptible d’exercer le monopole de la violence légitime, un État capable de lutter contre la tribalisation qui fait de la violence intercommunautaire, la base de la répartition du pouvoir politique. Un État qui sait protéger donc punir et comprend que cette tâche est à la base d’une société pacifiée et qui garantit effectivement l’exercice des libertés individuelles. Une société civilisée ne répond pas à la violence par la violence car ses concitoyens savent pouvoir compter sur la protection de ses institutions. Si cette protection n’est plus efficace, nous multiplierons les affrontements.

En boucle, les médias mettent en avant le fait que l’agresseur est Français, né à Bordeaux. Dans les faits, personne ne se sent comme son compatriote, ce qui explique que malgré cette information, le débat se cristallise autour d’une décivilisation qui serait le produit de l’impossibilité d’intégrer en masse des personnes d’horizon culturel trop différent, surtout quand on est soi-même en perte de repères et d’identité. Le problème est que le monde politique, plutôt que de répondre à la question de la décivilisation, l’évacue en traitant de fachos ceux qui la posent. Ce faisant, il transforme la peur réelle des Français face aux agressions répétées qui changent le visage de leur pays, en marqueur de l’extrême-droite. Loin de l’affaiblir, il contribue ainsi à la légitimer dans le paysage politique comme la seule capable de regarder en face une violence endémique qui a quitté la rubriques des faits divers pour devenir une possibilité susceptible de frapper chacun d’entre nous, quasiment du berceau à la maison de retraite. La France n’est plus vue comme un pays sûr par ses propres habitants et cet échec-là n’est pas collectif, il parle de la déroute de l’Etat et de la responsabilité de nos représentants.

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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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